1610. Claudio Monteverdi, en visionnaire de génie, publie et dédie à un Pape (qui restera sourd car c’est Venise qui va accueillir le talentueux mantouan) une somme d’œuvres religieuses qui 400 ans après font toujours un effet puissant sur le public. Cette partition baroque foisonnante, dédiée à la Vierge, alterne des motets à l’antique, et des airs et ensembles dans le si audacieux stile nuovo révélé par l’Orfeo en 1607. Souvent les voix sont mises au service de l’émotion sublimant le texte, tout comme à l’opéra.
Ce soir a semblé béni des dieux, tant la splendeur musicale et vocale, l’intelligence de la musicalité, la beauté sous bien des formes et la spiritualité sensible se sont donné rendez-vous. L’association des forces musicales vives de Toulouse a permis cette interprétation absolument majestueuse. Jean-Pierre Canihac qui dirige les Sacqueboutiers de Toulouse, s’est associé au Chœur du Capitole, savamment préparés par Alfonso Caiani et les solistes comprenaient des spécialistes baroques bien connus et particulièrement appréciés. L’osmose entre tous ces excellents musiciens a été d’une rare subtilité. Une même qualité d’écoute, une même mise de leur art au service de la partition a permis à une magie, bien difficile à décrire, de s’installer. Les Sacqueboutiers de Toulouse ont participé à 6 intégrales discographiques de l’œuvre sous les directions les plus prestigieuses, c’est dire si Jean-Pierre Canihac et ses compagnons sont des familiers de ces Vêpres. Le Chœur du Capitole est moins attendu dans ce répertoire, mais Alfonso Caiani a choisi les choristes pouvant rendre justice à cette œuvre si exigeante avec beaucoup de soins. Les solistes ont tous été merveilleux, nous y reviendrons, participant aussi aux parties de chœur. L’instrumentarium était d’une richesse somptueuse avec 18 musiciens, cornets et sacqueboutes par trois, répartis en deux orchestres. Dix chanteurs solistes et dix huit choristes formaient deux chœurs de part et d’autre de l’orgue et du clavecin au centre. Devant, très proches du public théorbe et archiluth. Jean-Pierre Canihac n’a pas dirigé les airs et duo. L’écoute entre chanteurs et continuo a été si parfaite que tout semblait d’un naturel si évident que toute direction eut été superflue. Les oppositions entre moments solistes et grands chœurs ont fonctionné à merveille offrant une palette de nuances extrêmes dans une très belle spatialisation sur le grand praticable devant la porte nord. On ne peut parler de lourdeur, car l’acoustique était trop floue, mais d’opulence sonore dans les chœurs imposants. Toute l’interprétation a été basée sur des contrastes permettant de jouir de toute la richesse de cette partition protéiforme. L’autre particularité de cette interprétation tient au patient travail d’écoute et de recherche de fusion entre voix et instruments. Deux CD chroniqués sur classiquenews.com permettent de découvrir cette vocalité si particulière des Sacqueboutiers. Il ne s’agissait pas de doublage des voix mais d‘appuis et de savant mélange de sons, les chanteurs apportant aux instrumentistes les mots qui leur manquent. La souplesse du phrasé identique formant un tout d’une sensualité délicieuse.
Les moments de magie ont été nombreux : cornets et sopranos, sacqueboutes et ténors, plus tard flûtes et sopranos et basson et basses. Un lyrisme de tous les instants a diffusé y compris dans l’extraordinaire Sonata instrumentale. Les échos ont été réalisés avec art, profitant de l’acoustique complexe de la vaste voûte gothique. Le chœur a été ductile et très engagé toujours attentif aux propositions du chef dont la direction a été un modèle de modestie au service des audaces de la partition. La délicatesse des sopranos dans le cantus firmus de la Sonata puis du Magnificat a confiné au sublime. Seule réserve pour le Lauda Jerusalem ou le cantus firmus des ténors a été insuffisant car ils étaient placés trop loin du public.
Les solistes ont offert dans leurs airs des drames humains et spirituels avec une parfaite réalisation de gorgie exquise dans les passages de virtuosité. Bruno Boterf a abordé Nigra sum en poète avec un timbre malléable, des couleurs et des phrasés d’un naturel confondant. Du Pulchra es, duo sensuel, Adriana Fernandez et Anne Magouët ont offert une interprétation d’une beauté sonore constante dans une écoute en imitation mutuelle pleine de grâce. Le Duo Séraphim a été non seulement le grand moment de virtuosité attendu, avec cette extraordinaire technique vocalisante en double et triple croche, trilli et arabesques ici parfaitement réalisée, mais surtout une ouverture vers les mystères les plus insondables. Bruno Boterf et Vincent Bouchot ont uni leurs deux voix avec des effets d’écho magiques et lorsque Furio Zanassi les a rejoints le mystère a rempli la vaste nef raymondine, chacun retenant le moindre souffle. Même sentiment de toucher au sublime dans l’Audi Coelum et la fin du Magnificat. Les diverses interventions des solistes ont toutes été de la même qualité sans oublier la basse Renaud Delaigue qui faisait grande impression à la moindre de ses interventions, et le cantus firmus des trois altos d’une beauté à couper le souffle.
L’opulence de cette version invitait des images d’une Venise flamboyante et riche de mystères. Celle dont Monteverdi avait rêvé en composant ces Vêpres et qu’il allait connaître bientôt.
Toulouse. Cathédrale Saint-Etienne, le 24 juin 2010. Claudio Monteverdi (1567-1643) Vespro della Beata Vergine 1610. Adrianna Fernandez, Anne Magouët : sopranos ; Jean-Louis Comoretto, Jean-Yves Guerry, Marc Pontus : altos ; Bruno Boterf, Vincent Bouchot, Furio Zanassi: ténors ; Yves Berger, Renaud Delaigue, basses. Les Sacqueboutiers de Toulouse. Le Chœur du Capitole, chef de chœur Alfonso Caiani. Direction : Jean-Pierre Canihac
Illustration: © P. Nin 2010