BEETHOVEN 2020, volet 3 : Ludwig Ă©pique (1802 – 1812) – HEILINGENSTATD, 1802 : une nouvelle naissance. FinancĂ© par lâaristocratie viennoise, Beethoven croit un moment quâil peut prĂ©tendre rejoindre la classe supĂ©rieure ; nenni, musicien, il reste un ĂȘtre infĂ©rieur car il nâest pas noble. BientĂŽt en 1806, le prince Lichnowski qui le dotait dâune rente confortable lui enjoint de jouer pour ses invitĂ©s selon son plaisir : Beethoven se rebiffe ; il nâest pas un serviteur : fiĂšrement, aprĂšs quâil ait Ă©tĂ© congĂ©diĂ© par son protecteur, le compositeur Ă©crit : « des nobles il y aura toujours ; mais il nây aura jamais quâun seul Beethoven ». Le voilĂ comme Mozart quittant Salzbourg, en artiste crĂ©ateur misĂ©rable mais libre.
volet 3 : dossier Beethoven 2020
Le BEETHOVEN ACCOMPLI : un souffle Ă©pique (1802 – 1812)
LâaprĂšs Heiligenstatd
Le sourd qui doute profondĂ©ment du sens de son Ćuvre, part Ă Heiligenstatd au printemps 1802 ; il nâentend plus : pour lui, concerts et carriĂšre de concertiste comme de pĂ©dagogue sont arrĂȘtĂ©s nets, impossibles. Suicidaire, il songe Ă rompre le fil de sa vie (septembre). Acte de confession et examen de conscience sĂ©rieux, lâĂ©pisode lui permet dâanalyser sa situation et de redĂ©finir dĂ©sormais ce Ă quoi il doit prĂ©tendre : affirmer sa voix singuliĂšre, visionnaire, prophĂ©tique, mais vivre en banni ; isolĂ©, solitaire du fait de sa surditĂ© ; accepter dâaimer, et souvent de nâĂȘtre pas aimĂ© en retour. Le coeur ardent revendique sa tendresse de fond, sa gĂ©nĂ©rositĂ© ; Beethoven demeure incompris, souvent rĂ©duit Ă des sauts dâhumeur⊠pourtant dans lâaffaire oĂč il tend Ă prendre la tutelle de son neveu, le compositeur se montre soucieux de lâautre, protecteur, et dâune loyautĂ© constante. Dans cette perspective existentielle noire, lâart le sauve ; elle lui impose une Ă©thique personnelle, un idĂ©al hors normes. La composition devient une mission morale qui doit Ă©clairer la sociĂ©tĂ© pour rĂ©ussir Ă rendre lâhumanitĂ© plus Ă©voluĂ©e. Le musicien est ce guide messianique et prophĂ©tique qui Ćuvre Ă la sublimation du genre humain. Plus tard, Wagner prolonge cette vision de lâartiste-prophĂšte. Pour lâheure, Beethoven Ă peine trentenaire, couche sur le papier les piliers moraux de sa prise de conscience.
RenforcĂ©, raffermi dans sa vocation reformulĂ©e, le Beethoven bien que sourd et isolĂ©, est Ă 32 ans, une nouvel ĂȘtre ; plus fougueux et radical que jamais : la Symphonie n°3 Heroica / HĂ©roĂŻque (opus 55) suit directement la rĂ©daction du Testament dâHeiligenstatd. Lâampleur du projet quâil sâest fixĂ©, se lit dĂ©sormais dans lâarchitecture mĂȘme de chaque symphonie ; une construction inĂ©dite dans laquelle Beethoven Ă©difie son projet pour lâhumanitĂ©. Beethoven Ă©difie, construit ; mais il produit aussi un son nouveau, inspirĂ© certes de Mozart et de Haydn, mais surtout des compositeurs français de la RĂ©volution (MĂ©hul). Les vents, les cuivres gagnent un relief particulier : signe que Ludwig connaissait Ă©troitement lâĂ©criture des symphonistes français, grĂące entre autres Ă Kreutzer, prĂ©sent Ă Vienne. Au caractĂšre militaire de son inspiration, Beethoven affirme aussi un souffle nouveau Ă la fois Ă©pique et poĂ©tique.
Alors inspirĂ© par lâidĂŽle Bonaparte, ce libĂ©rateur attendu par toute lâEurope, Beethoven achĂšve mi 1804, sa symphonie Bonaparte (HĂ©roĂŻque), hymne au monde nouveau Ă construire, vĂ©ritable manifeste dâune humanitĂ© libĂ©rĂ©e, sublimĂ©e, accomplie. A partir de lâEroica, Beethoven affirme sa propre voix, celle du chantre de la modernitĂ©, le prophĂšte qui offre Ă entendre la musique du futur. Son but est dâemporter avec lui, le peuple des hommes vers ce monde meilleur, harmonique qui nâexiste pas encore. Leonore ou Fidelio, aprĂšs 3 ouvertures diffĂ©rentes et deux versions est son seul opĂ©ra, achevĂ©e en 1805 / 1806, dĂ©montre lâavenir radieux dâune humanitĂ© conduite par lâamour, la fidĂ©litĂ© et la libertĂ© contre toutes les tyrannies ; surtout sa 5Ăš symphonie (et des 4 premiers coups du destin), et son double simultanĂ©, la 6Ăš « Pastorale » indique les vertus de lâhomme qui combat pour son Ă©mancipation et qui sait se fondre dans lâunitĂ© prĂ©servĂ© de la Nature. Amour, libertĂ©, Nature : voilĂ la trilogie beethovĂ©nienne, quâil ne cesse de commenter, analyser, expliciter Ă travers tout son Ćuvre. Et jusquâĂ sa mort le 26 mars 1827 Ă 56 ans.
De cette premiĂšre pĂ©riode de grande luciditĂ© et maturitĂ© hĂ©roĂŻque donc, datent les Ćuvres maĂźtresses telles les Sonates Waldstein, Appassionnata ; les 3 Quatuors Razoumowski, le Quatuor n°10⊠sans omettre la Fantaisie pour piano, choeur et orchestre de 1808 ni le Concerto Empereur de 1809. Son travail est encouragĂ© par le soutien des princes viennois : lâArchiduc Rodolphe (son Ă©lĂšve), Lobkowitz et Kinsky qui payent une rente annuelle (mars 1809) sans rien lui demander sauf quâil reste Ă Vienne (Beethoven avait fait savoir quâil deviendrait le kapelmeister de JĂ©rĂŽme Bonaparte, souverain de Westphalie).
Au travail du bĂątisseur de cathĂ©drales symphoniques et concertantes rĂ©pond aussi une vie personnelle aussi passionnĂ©e que frustrante : Beethoven par son origine modeste nâĂ©tant jamais aimĂ© comme il le souhaite en retour. Avait-il raison de rechercher coĂ»te que coĂ»te sa bien aimĂ©e parmi les jeunes femmes de lâaristocratie viennoise ? DĂ©raisonnable ambition qui se paye au prix fort, entre dĂ©sillusions Ă rĂ©pĂ©tition et amertume croissante.
Mai 1809, les soldats de NapolĂ©on occupent Vienne ; Beethoven perd des protecteurs qui ont tous fui la capitale impĂ©riale. Les bombardements le font atrocement souffrir. AprĂšs la victoire française de Wagram, Kinsky meurt ; Lobkowitz est ruinĂ© ; seul lâArchiduc Rodolphe survit mais aura du mal Ă payer rĂ©guliĂšrement le reste dâune rente atrophiĂ©e.
Les Immortelles bien-aimĂ©es⊠Parmi les aimĂ©es de Ludwig, JosĂ©phine von Brunswick (portrait ci contre Ă gauche), jeune veuve de 24 ans Ă peine⊠qui lâaime mais renonce finalement au compositeur certes douĂ© mais qui nâest que âŠroturier. LâintĂ©rĂȘt et le confort, avant lâamour et lâattraction des cĆurs. Puis paraĂźt Bettina Brentano (portrait ci dessous) Ă partir de mai 1810 : malgrĂ© un visage marquĂ© par la petite vĂ©role, « laid » en vĂ©rité », Bettina trouve la face de Ludwig admirable et noble grĂące Ă son front sculptural ; sa naĂŻvetĂ© dâenfant ; sa grĂące de seigneur. Intimement Ă©pris, Beethoven lui adresse des confessions profondes : « je suis le Bacchus qui vendange le vin dont sâenivre lâhumanité ». Sous lâaile de cette rencontre qui semble bĂ©nie des dieux, le compositeur enivrĂ© compose la Sonate Lebewohl (Adieu), le Quatuor n°11 (dit « Quartetto serioso » par lâauteur lui-mĂȘme), le Trio LâArchiduc de 1811 (dĂ©diĂ© Ă Rodolphe, son protecteur le plus fidĂšle et le plus fiable). Bettina connaĂźt Goethe avant Beethoven : elle fait se rencontrer les deux esprits en juillet 1812 ; Ludwig admire lâĂ©crivain dont il a composĂ© la musique dâEgmont. Mais les deux tempĂ©raments ne se comprennent pas vĂ©ritablement ; Goethe trouve Beethoven, Ă©nergique, concentrĂ© mais radical, « dĂ©chainé » et impossible voire insupportable ; et Beethoven qui aurait rĂȘvĂ© de mettre en musique son Faust, trouve lâhomme de lettres, trop obsĂ©quieux et courtisan. Un « vendu » nous rions nous aujourdâhui. Radical, extrĂȘmiste, Beethoven ? Câest que sa fureur dans sa grandeur est au diapason de son amour fraternel et de sa bontĂ©. VoilĂ qui a Ă©chappĂ© Ă Goethe qui malgrĂ© les envois multiples de Ludwig, restera totalement hermĂ©tique et ⊠sourd.
En juillet 1812, la correspondance de Beethoven laisse entendre quâil a enfin rencontrĂ© celle quâil attendait ; quâil aime et qui lâaime en retour : « lâimmortelle bien aimĂ©e » Ă©crit-il. Peut-ĂȘtre sâagit-il encore de JosĂ©phine von Brusnwick dont la fille Minona serait de Ludwig⊠Dans lâexaltation de ce transport phĂ©nomĂ©nal, le compositeur Ă©crit les Symphonies 7 et 8, envisage mĂȘme, dĂ©jĂ , une 9Ăš, qui fermerait le triptyque. Mais en dĂ©cembre 1812, tout sâĂ©croule, et ses rĂȘves dâune liaison installĂ©e sâĂ©croulent dĂ©finitivement. Pour lui, la solitude dâun hĂ©ros incompris. Il faudra dĂ©sormais 6 annĂ©es pour se reconstruire et rĂ©aliser ce sommet de lâentendement humain, cime fraternelle surtout, la 9Ăš et son ode Ă la joie, de Schiller et non de Goethe.
volet 4 : dossier Beethoven 2020
Lâhomme qui aimait les hommes qui le dĂ©testait
la crise (1813 – 1815)
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LIRE notre grand dossier BEETHOVEN 2020 : Ă©lĂ©ments biographiques clĂ©s, piĂšces et partitions maĂźtresses au cours de la carriĂšre Ă Vienne…
DOSSIER BEETHOVEN 2020 : 250 ans de la naissance de Beethoven. Lâanniversaire du plus grand compositeur romantique (avec Berlioz puis Wagner Ă©videmment) sera cĂ©lĂ©brĂ© tout au long de la saison 2020. Mettant en avant le gĂ©nie de la forme symphonique, le chercheur et lâexpĂ©rimentateur dans le cadre du Quatuor Ă cordes, sans omettre la puissance de son invention, dans le genre concertant : Concerto pour piano, pour violon, lieder et sonates pour piano, seul ou en dialogue avec violon, violoncelle⊠Le gĂ©nie de Ludwig van Beethoven nĂ© en 1770, mort en 1827) accompagne et Ă©blouit lâessor du premier romantisme, quand Ă Vienne se disperse lâhĂ©ritage de Haydn (qui deviendra son maĂźtre fin 1792) et de Mozart, quand Schubert aussi sâintĂ©resse mais si diffĂ©remment aux genres symphonique et chambriste. Venu tard Ă la musique, gĂ©nie tardif donc (nâayant rien composĂ© de trĂšs convaincant avant ses cantates Ă©crites en 1790 Ă 20 ans), Beethoven, avant Wagner, incarne le profil de lâartiste messianique, venu sur terre tel un Ă©lu sachant transmettre un message spirituel Ă lâhumanitĂ©.  CLASSIQUENEWS dresse le portrait de la vie de Beethoven (en 4 volets), puis distingue 4 Ă©pisodes de sa vie, particuliĂšrement dĂ©cisifs⊠LIRE ici notre grand dossier BEETHOVEN  2020, biographie, partitions clĂ©s, discographie (les enregistrements majeurs, parus l’automne 2019 et pendant toute l’annĂ©e 2020)