COMPTE-RENDU, CRITIQUE, CONCERT. VERBIER festival 2019, le 22 juil 2019. MARC BOUCHKOV, violon, NAREK HAKHNAZARYAN, violoncelle, BEZHOD ABDURAIMOV, piano, VERBIER FESTIVAL, 22 juillet 2019. Babadjanian, Rachmaninoff, DvorĂĄk.
Au Verbier Festival, la musique de chambre a ses quartiers d’Ă©tĂ©, et pas des moindres. On y vient Ă©couter des formations constituĂ©es comme les quatuors Ă cordes (Arod et ĂbĂšne par exemple), mais aussi des formations occasionnelles qui viennent donner des concerts inĂ©dits et uniques, et des programmes originaux lors des « Rencontres inĂ©dites ». Ces artistes arrivent de tous les coins du monde de lâexcellence musicale. Le 22 juillet le violoniste français Marc Bouchkov, le violoncelliste armĂ©nien Narek Hakhnazaryan (Premier Prix et Grand Prix au concours TchaĂŻkovski), et le pianiste ouzbek Behzod Abduraimov, tous trois bardĂ©s de prix et de distinctions, s’Ă©taient rĂ©unis en trio Ă lâĂ©glise de Verbier pour un concert matinal.
Quelle bonne idĂ©e de faire dĂ©couvrir au public le compositeur armĂ©nien-soviĂ©tique Arno Babadjanian (1921-1983) avec son Trio en fa diĂšse mineur! Une Ćuvre plaisante Ă Ă©couter, trĂšs bien Ă©crite, aux accents dâEurope centrale et au beaux Ă©lans lyriques. Le tandem violon-violoncelle trĂšs en phase, aux vigoureux coups dâarchets, chante dâune mĂȘme voix sur le jeu soutenu et expressif du piano. Le pianiste tient solidement sa partie, socle dâoĂč sâenvolent les traits mĂ©lodiques des cordes dans un dialogue enflammĂ© (premier mouvement). Lâandante chante magnifiquement par la voix du violon dans un premier temps, perchĂ©e haut dans des aigus trĂšs doux, trĂšs tĂ©nus par moment, mais somptueusement timbrĂ©s. Il est rejoint par le violoncelle au beau son veloutĂ©, qui reprend le long souffle de sa mĂ©lodie dans une profonde respiration intĂ©rieure. Câest Ă©mouvant et apaisant! Lâallegro vivace commence comme une danse Ă©lectrisante, trĂšs scandĂ©e, inspirĂ©e de la musique des Balkans. Les musiciens jouent avec une passion tenue, contenue, d’autant plus intense quâils ne la laisse Ă aucun moment dĂ©border et ne se perdent pas dans une expression dĂ©bridĂ©e. Quelle force de caractĂšre!
Le concert se poursuit avec le premier Trio ĂlĂ©giaque de Rachmaninov, Ćuvre de jeunesse en un seul mouvement. Le jeu de Behzod Abduraimov sâimpose ici dans toute son envergure: il sâĂ©rige en pilier robuste de lâensemble; trĂšs prĂ©sent et timbrĂ©, ferme et lyrique, il devient orchestral, se mue en baryton basse par endroits. Le trio du jour triomphe pour finir dans le fameux Trio « Dumky » n°4 en mi mineur de DvorĂĄk. On mesure le niveau dâexcellence de ces trois musiciens, solistes, oserait-on dire, tant leurs personnalitĂ©s sont marquantes et sâaffirment individuellement en mĂȘme temps quâelles se rejoignent dans la mĂȘme Ă©nergie. Abduraimov tient toujours les rĂȘnes et lâossature de lâensemble, dans la succession de ses multiples mouvements. On traverse des moments Ă©minemment poĂ©tiques, de la nostalgique douceur du violoncelle, sur les effets de cymbalum du piano au dĂ©but, Ă la variĂ©tĂ© des phrasĂ©s du violon. Les « Dumky » sont superbes de reliefs, de couleurs, et emportent lâengouement du public qui explose dâapplaudissements, rappelant par quatre fois les trois garçons prodiges sur la scĂšne. Pas de bis, mais un souvenir impĂ©rissable demeurera de cette heure de bonheur musical.
Illustration : © Diane Deschenaux