CD Ă©vĂ©nement, critique. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie â Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, dĂ©c 2017) – enregistrĂ©e sous la voĂ»te de la chapelle royale de Versailles, cette lecture du Messie de Haendel, chef dâĆuvre incontestable du Saxon baroque dans le genre de lâoratorio anglais (1742), ravira les plus exigeants. Arguments de poids de cette production sous la direction du catalan Jordi Savall, parmi les solistes, le trĂšs subtil soprano de lâĂ©cossaise Rachel Redmond (habituĂ©e des Arts Flo et laurĂ©ate du Jardin des Voix), mais aussi le formidable baryton Matthias Winckhler, nuancĂ©, Ă©lĂ©gant, souple et naturel⊠sans omettre le geste choral palpitant des chanteurs de la Capella Reial de Catalunya. Le Concert des Nations et son « concertino » Manfredo Kraemer assurent le relief et le souffle dâune partition irrĂ©sistible dans ses Ă©vocations naturalistes et spirituels.
La partition tel un miracle inespĂ©rĂ©, lumineux surgit aprĂšs lâannĂ©e noire 1737 quand le théùtre dâopĂ©ra quâil avait fondĂ© fait faillite, que surmenĂ©, et trop productif, il est foudroyĂ© par une paralysie (du bras droit, en avril), que meurt le 20 nov, sa seule protectrice la plus fervente et amicale, la Reine Caroline (Ă©pouse de Georges II), honorĂ©e dans le sublime Funeral Anthem. Pourtant Haendel au fond du gouffre ressuscite. De ce traumatisme intime naĂźt un nouveau genre lâoratorio anglais dont il fait un Ă©crin spirituel dâune exceptionnelle intensitĂ©. La renaissance de Haendel passe ainsi : aprĂšs une cure de vapeur Ă Aix la Chapelle, on le pensait fini, il enchaĂźne ressuscitĂ©, une nouvelle carriĂšre qui le mĂšne directement vers la gloire. Le Messie / The Messiah raconte cela surtout : la sublimation et le salut dâune Ăąme donnĂ©e pour perdue. Dont la partition du Messie exprime lâinflexible espoir, lâinaltĂ©rable foi en Dieu. Les textes des trois parties sont invitation Ă la mĂ©ditation, dans la confrontation de ce quâa rĂ©alisĂ© le Christ.
Ă Versailles,
Majesté et méditation du Messie
par Jordi Savall
A Versailles, Jordi Savall offre une lecture pleine de panache et de ferveur, selon lâexpĂ©rience personnelle de Haendel Ă lâĂ©poque de la composition de la partition du Messie. Le chef catalan en construit lâarchitecture mĂ©ditative, telle la confession sincĂšre dâun homme miraculĂ© qui rend grĂące et remercie dans la joie. Jordi Savall souligne la profondeur des textes qui citent et Ă©voquent la grandeur morale du Christ sans le portraiturer directement mais lâexposent continument comme source dâadmiration. Le chĆur participe intensĂ©ment Ă la suggestion et les solistes soulignent la nĂ©cessitĂ© de mĂ©diter cet exemple de vertu inlfexible et de volontĂ© tragique.
Passons sur les petites faiblesses de cette lecture globalement superlative (en rĂ©alitĂ© qui concernent 2 solistes Ă©reintĂ©s). Le tĂ©nor Nicholas Mulroy plafonne ; voix fatiguĂ© et trop lisse, il nâempĂȘche pas son medium dâĂȘtre voilĂ©, ce qui lâĂ©carte dâune rĂ©elle brillance du timbre (en particulier dans la seconde partie oĂč le tĂ©nor est le plus sollicitĂ© ; ses airs manifestent lâautoritĂ© belliqueuse divine ; le timbre est sans aucun Ă©clat ; dommage). MĂȘme triste constat pour un Damien Guillon en déça de ce que nous connaissons : voix faible et intensitĂ© comme justesse en fragilitĂ©. CâĂ©tait pour le chanteur français, un soir sans Ăąme ni Ă©clat.
Par contre le choeur final de la partie centrale (II) « Allelujah » confirme lâexcellente tenue des choristes ; aussi racĂ©s, exaltĂ©s, dramatiques mais sans Ă©paisseur, dĂ©taillĂ©s, articulĂ©s que les chanteurs des Arts Flo : câest dire. Dans cette conclusion de la seconde partie,- la plus virtuose et Ă©clatante, Ă la fois majestueuse et volontaire de Haendel (rappelant Zadok), le collectif choral se montre nerveux ; il confirme lâexcellente prĂ©paration de la Cappela Real de Catalunya et une Ă©vidente intelligence haendĂ©lienne. AssociĂ© Ă lâorchestre et aux autres solistes, le chĆur ainsi convaincant, demeure le pilier de cette lecture sur le vif. La vivacitĂ© de chaque pupitre renforce la clartĂ© de la polyphonie (fugue finale), ainsi que le geste dramatique de chaque section chorale. Voici un chant habitĂ©, incarnĂ© : celui des fervents illuminĂ©s Ă la fin, et auparavant chĆur des anges, des brebis Ă©garĂ©es, chĆur de haine, de violence, selon lâexhortation des solistes et les Ă©pisodes bibliques quâils Ă©voquent ; la justesse expressive des choristes est indiscutable ; elle rĂ©ussit Ă dĂ©ployer le souffle spirituel et lâardente aspiration dans lâespĂ©rance.  Le choeur, la soprano, la basse associĂ© au geste impĂ©tueux, Ă©clatant mais nuancĂ© de lâorchestre rĂ©alisent un sans faute.
La prĂ©sence rayonnante, son angĂ©lisme pour le coup lui aussi, lumineux et sĂ»r de Rachel Redmond, son Ă©mission naturelle, sa couleur tendre et dĂ©terminĂ©e, reste le second pilier de cette lecture ; son air de ferveur apaisĂ© et accomplie, (dâaprĂšs Job), « I know that my RedeemerâŠÂ » qui ouvre les lumiĂšres de la Partie III – Ă©voquant surtout la RĂ©surrection, atteste de cette certitude de Haendel, ce miraculĂ© terrassĂ©, Ă jamais confirmĂ©. La succession de ces deux sĂ©quences – chĆur exultant, soprano en lĂ©vitation-, demeure trĂšs convaincant.
MĂȘme tenue exemplaire, autant dramatique quâinspirĂ©e, du baryton Matthias Winckhler qui affirme tout autant une suretĂ© naturelle, ronde et magnifiquement timbrĂ©e – expression du fervent touchĂ© par la grĂące quâil reçoit peu Ă peu (son dernier air solo avec trompette « the trumpet shall sound » rayonne littĂ©ralement, Ă la fois sobre, flexible, libre).
Dâailleurs, toute la troisiĂšme partie, confirmation du miracle de la RĂ©surrection et de la dĂ©faite de la mort – grĂące aux airs pour soprano, pour basse (avec trompette) et dans le duo tĂ©nor / alto, exprime la profondeur et lâactivitĂ© de la mĂ©ditation Ă laquelle Haendel nous invite : il a vu comme une rĂ©vĂ©lation, – aprĂšs sa guĂ©rison miraculeuse, Dieu dans le ciel dans une vision spectaculaire et Ă©blouissante ; ce tĂ©moigne nous est offert Ă travers la musique, vivante, fragile, vibrante sous la direction trĂšs fraternelle de Jordi Savall. Magnifique lecture qui mĂ©rite bien cet enregistrement mĂ©morable. CLIC de CLASSIQUENEWS de dĂ©cembre 2019.
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CD Ă©vĂ©nement, critique. HAENDEL : MESSIAH, Le Messie â Redmond, Winckhler, Capella Real de Catalunya⊠Jordi Savall (2 cd ALIA VOX, Versailles dĂ©c 2017)  -   CLIC de CLASSIQUENEWS de dĂ©cembre 2019.
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ApprofondirÂ
visiter le site du baryton mozartien / haendélien :
https://www.matthiaswinckhler.de/en/oper
celui de la soprano Rachel Redmond
http://rachelredmondsoprano.com/fr/accueil/
voir Rachel Redmond dans le Messie de Haendel,
autre production 2015 Â - Â Le Concert d’Anvers
/ Bart Van Reyn
https://www.youtube.com/watch?time_continue=834&v=xSWreIkLM3E&feature=emb_logo