vendredi 29 mars 2024

Saint-Saëns et le Prix de Rome (Niquet, 2010)Livre + 2 cd Glossa, Palazzetto Bru Zane

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Saint-Saëns et le Prix de Rome

Volume 2, de la collection éditée par le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française et les éditions Glossa, dédiée aux Prix de Rome. Après un premier recueil captivant consacré aux oeuvres académiques de Debussy (Claude Debussy et le Prix de Rome), voici l’activité de Camille Saint-Saëns, pris dans le jeu de « la fabrique à Cantates » afin de décrocher le fameux Prix romain. Mais hélas, ses tentatives furent vaines (comme s’agissant de Ravel): ni sa proposition de 1852, ni celle 12 années après, de 1864, ne suscitèrent d’enthousiasme: le compositeur quitta le banc de la compétition sans palmes ni distinction.

Superbes révélations que sont les deux cantates pour Rome: Le retour de Virginie de 1852 puis Ivanhoé (1864), dévoilant le parcours stylistique du musicien français, différemment marqué par ses influences au moment de la composition de chacune d’elle.
Virginie évoque le jeune organiste célébré, apprenant la composition chez Halévy et recyclant selon ses propres mots, les formules de Mendelssohn (ouverture Meerestille). Trop jeune, métier embryonnaire… Saint-Saëns regrette son manque de maturité, pourtant il y a dans ce monologue de Paul (très articulé Bernard Richter) attendant Virginie dont le corps sans vie lui sera rendu par les flots impétueux, une sensibilité orchestrale indiscutable, sachant sertir l’élocution du texte avec une grande maîtrise (dommage que le livret n’évite pas les mignardises fleuries: c’est le seul élément faible de la partition). La scène dramatique atteint le format de l’opéra dans le duo avec la mère Marguerite (voix ample certes mais timbre dur et métallique de Marina De Liso)…

des cantates romaines aux liturgies parisiennes

D’après Walter Scott, Ivanhoé montre une toute autre esthétique en 1864 sur un sujet exotique: Rebecca, israélite prisonnière du templier en Palestine, Bois-Guilbert, doit assumer la proposition de son geôlier qui veut l’épouser et la faire renoncer à sa foi: mais Ivanhoé la libère, tuant Bois-Guilbert, avant de mourir lui-aussi mortellement blessé… A la surprise générale, le jury présidé par Auber attribue le premier prix à … Sieg, le second à Saint-Saëns, plutôt défait. D’autant que le compositeur s’était distingué en 1853 avec sa Première Symphonie et l’écriture de musique d’église parmi la plus aboutie du Second Empire (Motets). Ivanhoé annonce déjà l’écriture dramatique de Samson (dont Saint-Saëns travaille l’acte II dès 1867!), un souffle symphonique dense et impétueux, résolument verdien (Le Trouvère n’est pas loin) qui accentue la rivalité du baryton (Guilbert) et celle du ténor (Ivanhoé) qui se disputent le coeur de la belle israélite Rebecca…
Malgré ses insuccès pour le Prix de Rome, Saint-Saëns, âgé de 25 ans en 1864, allait cependant atteindre à la gloire lyrique grâce à Samson et Dalila, son grand oeuvre dont la forme orchestrale balance entre l’opéra et l’oratorio. Plus tard élu à l’Institut en 1881, il sera de nombreuses fois membre du jury pour le Prix de Rome. En 1904, Saint-Saëns est même pressenti pour diriger la Villa Medicis, mais il déclinera cette offre pour préserver sa santé et aussi son indépendance d’interprète…

L’apport des articles éclaire les rapports de Saint-Saëns avec la filière académique et l’organisation du Concours de composition dramatique (chapitre intitulé: « Camille Saint-Saëns, témoignages sur le prix de Rome »... ): en musicien soucieux de l’apprentissage des jeunes talents français, le compositeur s’interroge sur les enjeux du Prix, son fonctionnement: il critique la solitude des pensionnaires à Rome, le manque d’accompagnement de l’Institution dans la reconnaissance et la réception critique de leurs envois… En témoigne son commentaire légitime quand aux conditions de création des oeuvres sous la coupole des Beaux-Arts: concert unique, aboutissement bancale de répétitions insuffisantes où de surcroît les partitions sont même recoupées et d’autant dénaturées !
En complément, un éclairage double met en lumière la très riche (et si méconnue) musique religieuse au XIXè, sous le Second Empire et jusqu’à la Troisième République: un monde foisonnant de ferveur contrastée et nostalgique (avec ses « néo » et ses « post », dans le culte des grands polyphonistes tel Palestrina…): Saint-Saëns, qui a donc échoué pour le Prix de Rome se tourne très vite à l’orgue et dans l’écriture des liturgies dominicales: le 2è cd du coffret nous offre un aperçu éloquent de son inspiration: qu’il s’agisse des Motets au Saint Sacrement (superbes Ave Maria et Deus Abraham, sans omettre l’Ave Verum), des extraits de la Messe opus 4 (1857), ou de l’Ode d’après un texte de Jean-Baptiste Rousseau (1864)… Le choeur des Sylphes, extrait de Zirphile et fleur de myrte (1852) ajoute à l’exploration réussie de l’écriture chorale d’un Saint-Saëns, maître de la couleur et de la mélodie suave. Plus qu’un témoignage discographique convaincant, grâce à l’engagement des troupes réunies par Hervé Niquet, le présent coffret présente le double argument de la lecture défricheuse et de l’écoute de trésors inestimables. Superbe édition.

Camille Saint-Saëns et le Prix de Rome, Musiques du Prix de Rome, volume 2. Livre + 2 cd. Ivanhoé (1864), Le Retour de Virginie (1852). Ode, Choeur de Sylphes, Messe opus 4, Motets au Saint Sacrement. Brussels Philharmonic, the Orchestra of Flanders, Flemish Radio Chor. Julie Fuchs, Marina De Liso, Solenn’Lavanant Linke, Bernard Richter, Pierre-Yves Pruvot, Nicolas Courjal, François Saint-Yves. Hervé Niquet, direction.

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