lundi 5 mai 2025

Robert Schumann: Konzerstück 4 cors, Symphonie n°2… Lyon, CNSMD. Les 16 et 17 octobre 2008

A lire aussi

Robert Schumann
Konzerstück pour 4 cors

Lyon, Cnsmd. Salle Varèse
Les 16 et 17 octobre 2008

Trois œuvres qui reposent la question d’un affaiblissement créateur dans les dernières années de Schumann : l’Orchestre du CNSMD lyonnais, dirigé par Peter Csaba, interrogera notamment le Concerto pour violon, longtemps minimisé, et le passionnant Concerto pour 4 cors (couplés avec la Symphonie n°2).

Merci, Professor Wieck !
Il y a des légendes qui ont la vie tenace, et quand on écrit « légendes », c’est un trop beau mot pour désigner d’un terme plus énergique et bref la… sottise des « idées reçues ». Sur Schumann, le Dictionnaire flaubertien (inédit) contient deux types d’opinions toutes faites, que musicologues, interprètes et mélomanes ont volontiers recopiées et transmises de génération en génération. « Schumann : 1) Il orchestre mal et lourdement ; 2) Il n’a plus rien écrit de beau quand il est tombé fou ». « Plus rien de beau », soit, mais selon quel ordre de valeurs ? Pas « comme avant » ? Et alors, chronologie, s’il vous plaît ! Combien d’années à soustraire de la date de mort physique (1856) ou cérébrale (1854 : le suicide manqué, l’entrée à l’asile d’Endenich) ? Mais s’il s’agit d’invasion par « les idées noires », il faudrait remonter jusqu’à l’adolescence où s’instaure un processus l’apparition puis la récurrence désormais quasi-permanente de crises (dépression, hallucination, délire…), sans d’ailleurs (et heureusement pour l’histoire musicale !) que la création cesse vraiment de s’épanouir à l’ombre de ces fleurs vénéneuses de l’esprit. Tout au plus pourrait-on soustraire au total de la problématique du psychisme cinq « petites » années, depuis le moment où le père de Clara Wieck barre la route à l’amour fou de Robert qui joue désormais sa vie en « prouvant » qu’il est digne de Clara par la force et la maîtrise de sa composition, jusque vers 1842, deux ans après le mariage, où les crises recommencent. Avec ironie et au 4e degré, disons : « Merci, Herr Professor Wieck ! » (et ajoutons plus discrètement : le Vater Wieck n’avait pas entièrement tort de supposer que sa fille ne « vivrait » plus normalement après un mariage avec le dépressif Robert)…

Les sons du lointain
Le triptyque que Peter Csaba et son toujours passionnant Orchestre (de jeunes) du C.N.S.M. vont ouvrir salle Varèse permet justement de se poser ces questions irritantes, non sur le génie totalement indubitable de la musique schumanienne, mais sur les « intermittences de l’esprit » à travers les dix dernières années, « lucides » mais menacées. Et de se rendre compte qu’il faudrait « franchement mettre au cabinet », comme on dit chez Molière, les « idées reçues » du Dictionnaire : Schumann compose, écrit, orchestre autrement, mais selon sa propre logique visionnaire, et ne « perd » pas ( sauf peut-être dans les semaines ultimes avant le suicide manqué) son extraordinaire capacité d’architecte de pénombre (selon la si belle expression d’André Boucourechliev) et d’explorateur de l’imaginaire. Prenons la 2e Symphonie, commencée dans l’hiver 1845-46, justement après un retour assez grave de crise psychique : est-ce vrai, ce que Schumann lui-même en dit, « la résistance de l’esprit est ici manifeste » ? Et en arrière du rôle thérapeutique joué par l’écriture, on peut en effet lire une certaine défiance de Robert vis-à-vis de l’invasion d’une angoisse « nocturne », et donc la prédominance d’un bâti solide. La rationalité a aussi recours à J.S.Bach, « pain quotidien » de Schumann qui cite dans le magnifique adagio « L’Offrande Musicale » et fait revenir son thème – procédé « cyclique » encore plus net dans l’antérieure 4e Symphonie – au finale, où les forces claires triomphent de l’obscur. Encore 3 ans, et voici en 1849 le Konzertstück pour 4 cors, formation instrumentale d’une parfaite originalité, partition que le compositeur tenait pour l’une de ses meilleures. L’écriture en est périlleuse, surtout pour le 1er soliste, à découvert dans le registre aigu. Une romance s’y intercale entre deux mouvements rapides, lieu du « lointain » (die ferne) qui résonne des appels du rêve.

Le langage perdu en pays étranger
Et puis, 4 ans après ce 1849 si inspiré (Scènes de Faust, Manfred, Scènes de la Forêt), voici le bord de l’abîme. Entre temps, la présence à Düsseldorff s’est révélée délicate puis catastrophique : Schumann a dû démissionner de la direction orchestrale, les troubles gagnent à nouveau la conscience (dépression, hallucinations, gêne de la parole), des substituts dérisoires tentent d’y remédier (les tables tournantes, il est vrai très à la mode en cette époque). Puis une éclaircie se manifeste : le jeune Brahms apparaît,Robert reprend la plume du publiciste pour saluer « celui qui devait venir » et surtout compose ses ultimes grandes partitions, parmi lesquelles le Concerto pour violon. Une œuvre longtemps négligée ou minimisée, dans laquelle on pensait tenir « la preuve de la folie qui domine », et qui est aujourd’hui remise à une haute place : obstination de forme et d’écriture, tragique de la recherche, vitalité de la Polonaise finale, et surtout poésie de l’adagio, dont le thème reviendra quelques mois plus tard dans les problématiques Variations de piano Geisterthema, où Schumann vraiment égaré ne reconnaîtra même plus son Concerto (« la musique s’est tue , du moins extérieurement » : et il pense que les Anges lui dictent de l’intérieur ce thème nouveau)… Est-ce un manque trop flagrant de virtuosité-pour-elle-même ? Ou la profondeur du drame intime qui s’y déchiffre ? L’ami Joachim comprendra si peu une partition qui lui est affectueusement dédiée qu’il la mettra au placard, et la création n’aura lieu qu’en…1937 ! Ensuite, Schumann entrera tout à fait dans le même monde que celui où le poète Hölderlin avait basculé 50 ans plus tôt et dont il avait écrit : « Nous sommes un signe, mais plus aucun sens, ni même aucune souffrance. Nous sommes et nous avons presque perdu le langage en pays étranger. » Là aussi où se perd, deux ans après le musicien allemand, le poète français Nerval, et qu’on appelle officiellement la folie.

Le programme de ce concert est une magnifique occasion – donnée de plain-pied dans la salle Varèse qui n’a ni estrade ni coupure entre musiciens et public – de réfléchir sur « le sens » des (re)créations, surles énigmes de la raison raisonnante et de l’imagination dominatrice. Une occasion aussi d’admirer des solistes qui sont « de la maison », enseignants ou enseignés au sommet du temps de formation : la violoniste Anne-Cécile Brielles, le très connu corniste (et trompettiste) David Guerrier avec ses 3 élèves, Guillaume Bégni, Anne Boussard et Pierre Burnet. Tous emmenés, au cœur de l’Orchestre des Etudiants leurs camarades, par l’intuition et l’autorité de Peter Csaba.

Jeudi 16 et vendredi 17 octobre 2008. CNSM de Lyon, Salle Varèse, 20h30. Robert Schumann (1810-1856) : 2e Symphonie, Konzerstück 4 cors, Concerto pour violon. Orchestre du CNSM, dir. Peter Csaba. Information et réservation : T. 04 72 19 26 61 ; www.cnsmd-lyon.fr

Derniers articles

CRITIQUE CD. RACHMANINOFF : Concerto n°3 / Yunchan LIM, piano (Van Cliburn Competition 2022) – Fort Worth Symphony, Marin Alsop (1 cd Decca classics)

Virtuosité libre qui paraît improvisée, tempérament et clarté, élégance et aussi jeu voire facétie poétique… ce 17 juin 2022...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img