C’est peu dire que la soprano finnoise Karita Mattila est Floria Tosca: ardente et féline, (d’une sauvagerie carnassière même dans la scène du meurtre du Baron calculateur, assénant à sa victime un second coup de couteau!), tendre et candide aussi, c’est une diva accomplie, douée d’une couleur vocale prenante, d’une sensibilité active, d’un vrai talent de tragédienne… prête à s’embraser dès que le poids du soupçon distillé par l’abject Scarpia (vénéneux et diabolique George Gagnidze qui se prête idéalement à l’entretien vidéo à la sortie du I: même cynisme pervers chez Scarpia que chez Iago dans l’Otello de Verdi) se fait sentir sur son âme oppressée… D’autant que ni poseuse ni affectée, « La » Mattila a ce grain charnel, cette évidence physique et aussi la maturité troublante du personnage (son Vissi d’arte, au II, même détimbré dans l’aigu, reste d’une tendresse sobre déchirante). La diva qui n’a plus l’intensité ni l’éclat de ses aigus, sait pourtant jouer avec ses limites, offrant de Tosca, un portrait juste, dramatiquement très abouti. Le visuel de couverture en témoigne qui représente la diva défaite, au bout de ses limites, après avoir tué son bourreau, reprenant péniblement sur le fauteuil, sa respiration et ses esprits… Quelle présence et quelle richesse subtile dans l’incarnation… (sa courte interview au sortir du II montre la montée d’Adrénaline que la diva a su conduire dans l’accomplissement de son meurtre sur scène).
D’autant que son partenaire Marcelo Alvarez, vrai chanteur romantique, lumineux et articulé, musicien jusqu’au bout de chaque phrase, partage cet art des nuances vocales et psychologiques, ce miel des phrasés, avec une maestrià égale: et même sa tenue, influence de la diva à ses côtés, a tendance à s’améliorer en cours de soirée. Leur duo est très captivant. Le ténor apporte un engagement réel, une suavité héroïque qui évite le démonstratif: lui aussi sait incarner un rôle avec ses doutes, ses troubles, son passé. Voilà un vrai grand ténor italien: mordant et vocalement audacieux, qui de plus, est capable de finesse et de subtilité dans l’intonation, a contrario de combien d’autres bellâtres limités, pourtant poussés par un marketing forcené….
Dirigés par Luc Bondy (qui lui aussi dans son entretien de coulisse, souligne la peine physique du rôle-titre, et l’engagement que les chanteurs doivent apporter à leur incarnation), les deux chanteurs fascinent par leur intelligence scénique. Visuellement la réalisation théâtrale est à couper le souffle: chaque tableau est vraisemblable et scéniquement probant: la fuite d’Angelotti, l’ex consul de Rome au début du I, son arrivée dans l’église, l’exclamation amoureuse du peintre à son travail (très belle ardeur juvénile du ténor, aux couleurs irrésistibles) et surtout l’acte II, prodigieux dans le bureau du tortionnaire Scarpia (avec ses airs de maffieux lubrique)…
La mise en scène inscrit avec clarté l’opposition de deux mondes opposés: l’ancien lié à la royauté catholique, celle du Sacristain superstitieux et soupçonneux; le nouveau, porté par la vision exaltée et amoureuse des deux amants, le peintre libertaire bonapartiste et sa maîtresse qui par amour suit jusqu’au bout de son chemin, le destin de Mario.
Choc fracassant qui écrase le romantisme de deux âmes trop ardentes, dans un monde cynique et barbare.
Oui pour l’émotion ardente, fatiguée, charnelle de l’immense Mattila. Ici, l’opéra n’est jamais loin du théâtre: ce qui renforce la pertinence de la réalisation d’un ouvrage qui s’inspire directement d’une pièce de théâtre (texte homonyme de Victorien Sardou)… Autre oui, tout aussi partisan pour le Mario d’Alvarez d’une intelligence surprenante et que les fans pourront retrouver dans un cd Decca (Marcelo Alvarez: the tenor Verdi, paru en décembre 2009) lui aussi consistant et ouvragé. Les rôles complémentaires sont de la même cohérence, entre vérité et subtilité. L’Orchestre du Met convainc sous la direction souvent étincelante de Joseph Colaneri. Du très très grand spectacle. Dvd événement de décembre 2010.
Giacomo Puccini (1858-1924): Tosca. Karita Mattila (Floria Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi), George Gagnidze (Scarpia)… The Metropolitan Opera orchestra and Chorus. Joseph Colaneri. Luc Bondy, mise en scène.