Servitudes d’un amour condamné, mise à mort d’une amoureuse éconduite… La Voix humaine dépeint avec froideur et même cynisme, l’agonie d’une femme blessée, trahie, dépossédée d’un amour dont elle ne peut faire le deuil. Le monologue lyrique pour soprano et orchestre composé par Poulenc sur le texte de Jean Cocteau scelle l’amitié durable des deux hommes. Presque sexagénaire, Poulenc s’attaque en 1958, à un texte sans complaisance, acide, d’une efficacité machiavélique et dont la chute, ne laisse aucune issue à la protagoniste.
Le compositeur a déjà écrit la majorité de son œuvre, du ballet plus léger, « les biches », à la partition concertante « Aubade », qui sont aussi à l’affiche de cette production. L’année précédente, il a créé son opéra Dialogues des Carmélites. En vérité, la rencontre des deux artistes remonte à 1920 quand le texte du poète « Le Coq et l’Arlequin » fut le manifeste du Groupe des Six dont faisait partie Poulenc. La pièce de Cocteau date de 1930 : ils auront attendu presque quarante ans pour réaliser l’adaptation du texte en monologue lyrique. Conjonction de destins parallèles, le poète au moment de l’écriture de sa pièce vivait une rupture difficile ; Poulenc lui-même souffrait de dépression en 1958 ; surtout la créatrice du rôle lors de la première à l’Opéra-Comique, en février 1959, Denise Duval, vivait un drame sentimental.
Autant d’expériences qui firent de la création un événement exceptionnel et un succès jamais démenti depuis.
On sait que dans sa pièce créée à la Comédie Française (le 15 février 1930), Cocteau exposait dans le chant théâtral de l’actrice soliste Berthe Bovy, ses propres ressentiments, son amertume impuissante face à la séparation que lui inflige son amant auquel il a tenu, Jean Desbordes. Dans la salle, un spectateur choqué se lève et crie de son balcon: « C’est obscène! Assez, assez! C’est à Desbordes que vous téléphonez« . Eluard, comme tous les surréalistes qui détestent explicitement l’auteur des Enfants Terribles, se déchaîne alors contre Cocteau qui n’a pas à vomir sur la place publique l’histoire de ses amours intimes. « Je finirai bien par vous tuer; vous me dégoûtez! » inflige Eluard à Cocteau dans le bureau du directeur de la Comédie-Française, après le spectacle, particulièrement applaudi.
Concert Poulenc. Cocteau: La Voix Humaine. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts. Les 26 et 30 mai à 20h. Le 28 mai à 15h. Les Biches, suite d’orchestre. Aubade, concerto choréographique. Arco Renz chorégraphie – Jan Maertens (éclairages )- Eric Le Sage (piano) – Su Wen-Chi (danse). La Voix humaine, tragédie lyrique en un acte. Catherine Malfitano, soprano (la femme, mise en espace) – Jan Maertens (éclairages). Orchestre Symphonique de la Monnaie, direction : Stéphane Denève
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Illustration : le groupe des Six par Jacques-Emile Blanche, 1922. Poulenc et Cocteau sont représentés dans le coin supérieur gauche de la toile.