Récemment révélés au dernier festival de Saintes (juillet 2012), le jeune et déjà mûr Quatuor Eleusi transfigure ici Pietro Nardini dont ils nous offrent la première intégrale des Quatuors pour cordes, sommet de la littérature italienne chambriste, nourrie d’élégance et de grâce. néoclassique et dans l’esprit des Lumières, à l’époque de Haydn et de Mozart.
L’élève surdoué et favori de Tartini à Padoue jusqu’en 1740, devient ensuite une personnalité musicale essentielle de la ville de Livourne (Leghorn), à partir de 1760, enseignant à son tour à Brunetti et Giuseppe Cambini.
A Vienne en 1767, Nardini participe aux festivités musicales pour les Noces de l’Archiduc Joseph et d’Isabelle de Bourbon. En 1762, il accompagne Jommelli à Stuttgart, s’activant étroitement à la Cour de Karl Eugen comme premier virtuose. C’est à cette époque, en juillet 1763 que Pietro joue devant Leopold et Wolfgang Mozart à la résidence ducale de Ludwigsburg. Sa réputation gagne un statut européen, travaillant aussi à Berlin, Dresde, à la Cour de Braunschweig.
Fervent chambriste, il participe à l’essor du Quatuor Toscano, formation reconnue de son vivant et comprenant aussi d’autres virtuoses compositeurs comme lui: Filippo Manfredi (violon), Giuseppe Cambini (alto), Luigi Boccherini au violoncelle. Pietro Nardini rejoint finalement Florence où en février 1770, il est employé comme directeur de musique. Il se lie avec la poétesse Maria Maddalena Morelli (dite aussi Corilla Olimpica) avec laquelle il improvise au violon. C’est à Florence qu’il meurt en 1792. Son principal disciple à l’époque de son séjour toscan reste Bartolomeo Campagnoli.
Elégance chambriste
Les Eleusi savent exprimer et l’extrême virtuosité technique de Nardini et son expressivité juste jamais pédante ni artificielle ; il y a beaucoup de complexité savante mais le souffle et la fluidité collective du quatuor rend justice à l’une des écritures les plus abouties du néoclassicisme italien. Les jeunes musiciens italiens respectent en particulier la suprême finesse des adagios et des mouvements lents ; le style de Nardini malgré ses difficultés redoutables doit s’écouler comme s’il était improvisé : approche spécifique et nuance majeure pour réussir son interprétation. D’un fini absolu, emblématique de l’esthétique galante et classique, les Quatuor de Nardini approchent sans atteindre leur sincérité dramatique, ceux de Mozart, son contemporain, rappellent évidemment par leur éloquence formelle équilibrée et inventive, ceux de Haydn dont ils partagent un même souci de la mesure (en cela proches de la conversation musicale). Datés de septembre 1782, les 6 Quatuors de Pietro Nardini, certainement destinés à la Cour de Florence incarne ce bon goût italien tout emprunt de la grâce esthétique des Lumières. Les trois premiers laissent une part majeure au violon solo, tandis que les trois derniers offrent plus d’espace expressif à l’alto et au violoncelle. Nardini doit à ses nombreux déplacements en particulier en terres germaniques, une sensibilité aiguë dont son écriture témoigne. De forme libre, les Quatuors sont diversement composés de 2 ou 3 mouvements : la liberté pleine de grâce et d’une juvénile énergie que leur apportent les membres d’Eleusi fait merveille : elle témoigne d’une compréhension profonde et pleinement investie des œuvres choisies. La subtilité qu’y développe les musiciens s’accomplit en particulier dans la forme rondo des finales du II et du IV précisément, où les reprises ne sont jamais téléguidées mais caractérisées avec le naturel qui s’impose. Superbe réussite pour une musique de très grande beauté.
Et défendus ici par de sémillants et très convaincants jeunes ambassadeurs.
Pietro Nardini: 6 Quatuors florentins, 1782. Quatuor Eleusi. Enregistré en janvier 2012 (Padoue). 1 cd Brilliants 94438.