Soirée électrisante au Théâtre des Champs-Elysées pour ouvrir la saison des Grandes Voix, deux voix d’exception à l’arrogance plus que grande, immense. Tout entier tourné vers l’art du bel canto, de la technique vocale, du rayonnement virtuose, ce concert a visiblement enthousiasmé un public littéralement frénétique. Avouons qu’entendre ce répertoire exigeant servi avec autant de perfection et d’éclat est un plaisir si rare aujourd’hui qu’il en est simplement délectable.
Passons rapidement sur l’orchestre, bien dirigé par la baguette du chef italien Daniele Callegari dont les intentions semblent pleines de couleurs et d’imagination, mais auxquelles les instrumentistes semblent peiner à répondre, se limitant au forte et au mezzo-forte, avec une sonorité d’ensemble parfois bien pâteuse, manquant de brillant et de scintillement.
Défaut bien vite oublié, tant la performance des deux solistes qu’il accompagne est exceptionnelle. Car c’est bien pour ces deux grands noms du chant que s’est déplacé tout entier le public. Et les prouesses tant attendues ont été au rendez-vous, au-delà même de toute espérance.
Deux tempéraments différents, deux timbres presqu’opposés, et qui se marient pourtant si bien. D’un côté le ténor sicilien Antonino Siragusa, réputé pour son affinité avec le répertoire rossinien notamment, qu’il a défendu jusqu’à Pesaro, et dont il magnifie les couleurs en ce moment même à la Bastille dans le rôle du comte Almaviva dans le Barbier de Séville. Parfaitement placée, accrochée très en avant, comme sut le faire en son temps un Alfredo Kraus, sa voix passe sans effort la masse orchestrale et c’est avec une apparente facilité qu’il atteint les uts meurtriers de l’air de Tonio, qu’il bisse, à la demande du public, avec plaisir. Dans Ramiro et Norfolc, il fait valoir son agilité stupéfiante, toute entière sur le souffle, aux vocalises déroulées avec un naturel rare. Avec Nemorino, sa maîtrise de la mezza voce se fait jour, légère et aérienne, d’une infinie délicatesse. Ne se prenant pas au sérieux, il met l’assistance dans sa poche avec quelques mimiques amusantes, montrant à quel point son plaisir de chanter est évident.
Tout l’inverse de Sumi Jo, diva jusqu’au bout des ongles. Vêtue, comme à son habitude, de robes somptueuses, elle ne se départit jamais d’une certaine distance avec la salle, toute concentrée qu’elle est autour de son art. Un art d’une grandeur rare, cependant. Malgré les années, sa voix a gardé sa fraicheur et sa pureté originelle.
Sa maîtrise de la technique vocale tient du miracle, tant elle est stupéfiante. Pianissimi flottants et pénétrants, coloratures perlées, trilles parfaitement battus, suraigus encore arrogants, rien du vocabulaire de l’art belcantiste ne manque à l’appel. Mais c’est son contrôle du souffle qui retient davantage encore l’attention : cette capacité a exécuter des messe di voce – crescendo, decrescendo, sans pousser ni détimbrer, l’exercice le plus difficile exigé par les maîtres italiens – infinies, sans effort ni tension, lui fait tendre la main aux grandes cantatrices du siècle dernier, Patti et Tetrazzini en tête.
Bien qu’ils réclament des natures vocales plus corsées que la sienne, elle sait faire siens ces airs, fondant avec une infinie musicalité la couleur unique de sa voix à la douce mélancolie des héroïnes qu’elle incarne tour à tour. Amina et Gilda ne sauraient lui échapper, tant elle ne fait qu’une avec elles. Amusant, l’air de Catherine extrait de la rare Etoile du Nord de Meyerbeer, pure démonstration de virtuosité, mais assumée avec tant de grâce et d’aplomb qu’on en redemande.
Les duos soulignent l’harmonie parfaite que forment le timbre chaud de la soprano coréenne et la nature acérée de la voix du ténor sicilien, notamment celui de la Fille du régiment. En outre, ils mettent en lumière la complicité qui semble unir ces deux artistes, un vrai bonheur.
En bis, une incontournable « Donna è mobile » parfaitement menée – et avec beaucoup d’humour – par Antonino Siragusa, un « Son vergin vezzosa » des Puritani ciselée avec art par Sumi Jo, et un – plus inévitable encore – Brindisi de la Traviata, durant lequel le ténor a fait admirer ses talents de danseur, entrainant sa partenaire dans une courte valse, emporté par l’élan de la musique.
Un grand moment de bel canto, de démonstration vocale, de prouesses techniques, pour tous les amateurs du genre – et ils étaient visiblement nombreux ce soir-là – une grande fête, qu’on aurait voulu sans fin.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 26 septembre 2009. Gaetano Donizetti : Don Pasquale, Ouverture. L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima ». Gioacchino Rossini : La Cenerentola, « Si ritrovarla io giuro ». Vincenzo Bellini : La Sonnambula, « Care compagne ». Giuseppe Verdi : Rigoletto, « Caro nome ». Vincenzo Bellini : La Sonnambula, « Prendi l’anel ti dono ». Gioacchino Rossini : Guillaume Tell, Ouverture. Giacomo Meyerbeer : L’Etoile du Nord, « C’est bien l’air que chaque matin ». Gioacchino Rossini : Elisabetta regina d’Inghilterra, « Deh troncate ». Gaetano Donizetti : La fille du régiment, « Quoi ? Vous m’aimez », « Ah ! mes amis ». Vincenzo Bellini : I Puritani, « Fini, mi lassa ». Sumi Jo, Antonino Siragusa. Orchestre National d’Île-de-France. Daniele Callegari, direction. Compte-rendu rédigé par Nicolas Grienenberger.
Illustration: Sumi Jo (DR)