Parfois, le mélomane connaît des chocs profonds. Au disque, la Cinquième de Mahler par Gustavo Dudamel et le Simon Bolivar Youth Orchestra of Venezuela, publiée récemment chez Deutsche Grammophon, en fut un : vision absolument stupéfiante, à acquérir absolument et vous découvrirez, soyez en sûrs, l’une des baguettes les plus extraordinaires de la nouvelle génération. Le jeune Norvégien Eivind Gullberg Jensen appartient aussi à cette race d’exception. Au mois de janvier dernier, il avait dirigé l’Orchestre National dans Kullervo de Sibelius, et nous en étions ressortis impressionnés. Nouveau concert, avec l’Orchestre de Paris cette fois-ci, incontestable réussite, triomphe absolu. Tout au long de cette soirée, Eivind Gullberg Jensen fascine par sa façon de s’immerger dans la musique ; il en ressort ainsi des interprétations suprêmement équilibrées, d’une indéniable profondeur d’inspiration. Il obtient de ses orchestres (c’était aussi le cas au mois de janvier avec l’Orchestre National) des sonorités rondes, chaleureuses mais incroyablement fines et transparentes. Dans la Symphonie n°13 pour basse, chœurs d’hommes et orchestre « Baby Jar » de Chostakovitch, Sergei Leiferkus, qui tenait la partie de basse, a certainement trouvé en Gullberg Jensen un partenaire à sa mesure, l’un des seuls capables de soutenir dramatiquement pendant une heure entière une partition aussi ingrate que difficile. S’il y a en effet un élément qui fascine ici, bien plus que le traitement des couleurs, ou la concentration totale et absolue des musiciens, en totale symbiose avec leur chef invité, c’est la force dramatique de l’interprétation. L’auditeur ressent physiquement la tension sombre et inéluctable qui anime chaque page. Quel souffle, quel sens incomparable de l’architecture ! Quelle noblesse, quelle grandeur ! C’est certain : Gullberg Jensen est un grand. Il doit revenir. Il doit continuer à nous offrir des soirées aussi inoubliables, d’autant qu’il est par ailleurs un formidable accompagnateur : en première partie de soirée, le Concerto pour piano n°17 de Mozart enthousiasmait par ses phrasés solaires et ses tons d’automne. L’un des plus beaux concerts de la saison, c’est évident. Expliquer pourquoi devient réellement difficile, tellement nous atteignons l’indicible. Le Paradis ?
Paris. Salle Pleyel, le 23 mai 2007. Wolfgang Amadeus Mozart
(1756-1791) : Concerto pour piano et orchestre n°17 en sol majeur KV
453. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie pour basse, chœur
d’hommes et orchestre n°13 « Baby Yar » op. 113. Jonathan Gilad, piano.
Orchestre de Paris. Eivind Gullberg Jensen, direction.
Crédit photographique
Eivind Gullberg Jensen © P.Bernhardt