La Chambre Philharmonique, Emmanuel Krivine, Debussy, Stravinsky, Ravel
Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial, Sabino Pena Arcia.
La Chambre Philharmonique est programmée à la Cité de la musique dans le cadre du cycle « Hommages »(au programme: Debussy, Ravel et Stravinsky), accompagné par Bertrand Chamayou au piano. Ils nous montrent comment ces trois compositeurs icônes de la modernité musicale font preuve de mémoire vis-à-vis du passé comme d’invention et d’originalité dans leurs créations.
Les impressions néo-classiques
ou la rhapsodie mondaine
La Petite Suite (1888) pour piano à quatre mains de Claude Debussy, dans sa version orchestrée par Henri Büsser (1907), ouvre le concert avec une flûte prodigieuse qui vole tranquille sur la mer des cordes sensibles et transparentes, pimentée par des cuivres magistrales et une harpe très juste. La maestria des vents continue dans les deux mouvements intérieurs, galants et pompeux. Le Ballet qui clôt l’œuvre rappelle l’opérette avec sa joie facile et son caractère sautillant.
Suite du programme, le Concerto pour Piano et Orchestre en Sol majeur (1931) de Maurice Ravel, interprété par le pianiste Français Bertrand Chamayou. Parlant de son Concerto, Ravel a dit « La musique d’un concerto, à mon avis, doit être légère et brillante », il assumait plus facilement l’influence spirituelle de Mozart et de Saint-Saëns que celle, moins abstraite, de Satie, Stravinsky ou même Gershwin.
Le premier mouvement paraît comme une sorte de rhapsodie jazzy mais il s’agît d’une forme sonate typique du compositeur. Ici les contrastes presque psychotiques de l’écriture ravélienne sont interprétés avec finesse et sensibilité par le pianiste virtuose. Il gère les passages difficiles avec prestance et naturel. Le dialogue avec les vents est privilégié et la harpe accompagne de façon impressionniste, dans des moments qui obligent les vents à suivre sa voix, créant une atmosphère onirique sans pareil.>
L’Adagio assai qui suit commence légèrement accéléré, mais cela n’enlève en rien la tendresse des notes pianistiques qui fait penser au Quintette pour Clarinette de Mozart et rappelle également l’intimité minimaliste d’un Satie. L’orchestre fait preuve d’une charmante sensibilité avec ses vents extraordinaires et le piano, exquis, avec tant de grâce et parfois de sensualité, montre une virtuosité sublime sans paillettes ni feu d’artifices. Un des plus précieux bijoux du XXe siècle, véritablement. Le Presto finale d’une certaine urgence est théâtrale et brillant. Le mouvement perpétuel du piano rappelle la Sonate pour violon et piano. Chamayou a un contrôle totale des passages difficiles et l’orchestre sous la baguette de Krivine reste plein de verve et de vitalité jusqu’à la dernière seconde.
Suit une réelle avalanche d’applaudissements passionnés. Le soliste décide d’offrir au public un bis d’élégance et sensibilité, La Fille au cheveux de lin de Debussy. Un cadeau qui a provoqué des sourires et des soupirs.
Après l’entracte nous continuons avec la version orchestrée de Ma mère l’oye (1908/1911) de Ravel. Cette attirante fantaisie d’enfance pour piano à quatre mains est dans la veine des grandes pièces enfantines antérieurement signées Schumann ou Moussorgsky. Elle commence par une pavane d’une douceur tout-à-fait impressionniste. Puis, le tableaux musical du « Petit Poucet » avec le beau dialogue des cordes imposantes et les vents qui tracent la piste des miettes de pain dans un mystérieux chemin. « Laideronnette, impératrice des Pagodes » est exotique et brillant. L’inspiration mélodique et harmonique vient de la musique de l’île de Java, quoique Ravel ne dédaigne pas le contrepoint, et le timbre orchestral est d’une grande originalité malgré la filiation pentatonique avec Debussy et ses Pagodes. Ensuite « Entretiens de la Belle et de la Bête » est une remarquable invitation à la valse,où la couleur du contrebasson représentant la Bête se marie parfaitement avec la mélodie dansante des vents pour créer un timbre très particulier. « Le Jardin féerique » qui finit l’œuvre est un mouvement sentimental et évocateur d’une mystique simplicité. La merveilleuse sonorité de l’orchestre, avec un solo du violon d’une beauté fantastique, n’arrête pas d’étonner. Les instruments convergent en un crescendo final sublime et triomphal.
La suite de ballet Pulcinella (1920, révision 1949) d’Igor Stravinsky est la dernière pièce au programme. Il s’agît à l’origine d’un arrangement des extraits de Pergolèse commandé par Diaghilev pour les Ballets Russes. Cependant, les recherches récentes en histoire de la musique et en musicologie ont démontré que seulement la moitié des thèmes appartiennent à Pergolèse, le reste est issu des divers compositeurs mineurs du XVIIIe siècle. Ceci n’est pourtant pas très important.
L’ouvrage éclectique se démarque officiellement de la période néo-classique de Stravinsky, qui disait par rapport à cette commande qu’elle était pour lui sa découverte du passé. Dès l’ouverture, nous sommes devant l’économie néo-classique, qui va de la chambre à la symphonie sous la baguette d’Emmanuel Krivine. L’originalité de l’œuvre réside dans le traitement humoristique, ironique et détaché des thèmes baroques/classiques. Stravinsky ne change pas la structure tonale et formelle des thèmes, mais surimpose des ornements modernes et des effets orchestraux, d’essence théâtrale, propre à son langage musical. Ainsi, les bois sont lyriques et pastoraux et les cordes brillantes, mais la trompette et le trombone sont des protagonistes drôles et irrévérencieux, créant une ambiance anachronique, un peu cubiste et surtout savoureuse. La trompette et le premier violon ont été les vedettes du ballet, et le public (comme l’orchestre) les a récompensé avec les plus éclatants et chaleureux applaudissements.
Krivine nous offre ensuite le Lullaby pour cordes de Gerswhin en tant que bis gracieux et sérieux; le maestro termine ainsi la soirée en parfums à la fois archaïques et mondains, reflets dignes et sincères de la modernité impressionniste, néo-classique, hétéroclite, rendant hommage au passé, certes, mais aussi aux génies érudits et éclectiques du XXe siècle.
Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial, Sabino Pena Arcia.