vendredi 19 avril 2024

Nannerl, la soeur de Mozart Film de René Féret (juin 2010)

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actualité cinéma

Nannerl, la soeur de Mozart


Un film de René Féret




Comme l’ascension de Mozart fut une affaire de famille, René Féret
tout en poursuivant son oeuvre de cinéaste à l’orée des sentiers
remâchés, (il est plutôt intimiste et indépendant), retrouve ses proches dans
ce nouveau film éblouissant par sa sensibilité, audacieux dans son
portrait émouvant d’une femme musicienne écartée, captivant par la
justesse de son regard sur un certain XVIIIè siècle.







Mademoiselle Mozart




Prenez plutôt un tableau de
Chardin, épaississez l’ombre, préférez le chant des intériorités,
l’humain plutôt que le décoratif, recherchez les regards indirects, la suggestion et l’allusif, plutôt que le tapage d’une reconstitution en costumes, et vous obtiendrez un long métrage tout en nuances, qui
nous parle d’une oubliée de l’histoire, Nannerl, la soeur aînée
de Mozart
(respectivement 14 et 11 ans dans le film) dont les
dons prodigieux de musicienne (chanteuse attachante et claveciniste
remarquable) inspirèrent et renforcèrent clairement la vocation de son
frère cadet.


Sur les routes d’Europe et de France, côtoyant les grands de ce monde,
les deux enfants font les délices des princes mélomanes (pas toujours
très ponctuels mais généralement conquis et généreux en tabatières…!).
Le père Leopold accompagne cette enfance géniale qui troque son
insouciance oublieuse et volontiers oisive pour une vie de tournées et
de concerts, de performances et de courtisanerie continue, de
concentration et de virtuosité entretenue comme une seconde nature.




Le portrait de Nannerl par René Féret est d’autant plus tendre et
subtile qu’il a demandé à sa propre fille Marie (15 ans) d’incarner la
jeune femme-adolescente qui dut renoncer … apprentissage déchirant à
peine exprimé mais vécu avec une intensité lumineuse… par petites
touches. Elle a déjà le destin d’un adulte; son père a choisi contre
elle: son fils plutôt que sa fille. Il n’est pas bon d’être née femme
dans ce siècle. Soumise et consciencieuse, Nannerl d’ailleurs devra
abandonner un premier mariage sous la pression paternelle, mais devint
baronne à 32 ans (von Berchold zu Sonnenburg) en épousant un quinqua
veuf, déjà père de … 5 enfants. Mademoiselle Mozart vit les
contradictions destructrices d’une société où la femme doit amuser et
séduire sans jamais contraindre. Servir, rester dans l’ombre (de son
frère), et certainement pas composer comme elle en avait probablement la
capacité…




Déjà avant Camille Claudel ou Adèle H, Nannerl, née en 1751 à Salzbourg,
sans connaître leur fin tragique (elle meurt le 29 octobre 1829 à 78
ans), se dévoue entièrement aux hommes de sa famille: fille obéissante,
soeur exemplaire qui comme Constance Weber, l’épouse de Wolfgang
(qu’elle n’appréciait guère), réunit jusqu’à sa mort les oeuvres du
compositeur mort trop tôt (1791).


Sans jeu forcé ni calcul apparent, les acteurs de René Féret, tous
comédiens inconnus, donnent vie à la chronique de la famille Mozart,
avec le réalisme d’un tableau de Chardin ou de Liotard. Le réalisateur
éclaire les relations entre les individus comme à mots couverts, de
manière allusive et détournée, par un geste esquissé, l’amorce d’un
sourire, les rêves jamais formulés d’un regard… Ainsi paraît Nannerl à
la Cour de France qui doit approcher le Dauphin, déguisé en garçon…
En abordant le destin tragique des enfants Mozart, René Féret touche au
coeur du mystère et du lyrisme de l’enfance sacrifiée: musicienne
écartée, enfance domestiquée et par trop voyageuse, éreintante: mais
l’épuisement n’a-t-il pas emblématique des génies précoces? Nannerl la
soeur de Mozart vécut longtemps quant à elle, pour entretenir le mythe
de son frère. Et le film met en lumière la résignation de l’aînée mise
dans l’ombre de son frère trop génial. Poignant et élégant.




Nannerl,
la soeur de Mozart.
Film de
René Féret
avec Marie Féret, Marc Barbé, Delphine Chuillot, Clovis
Fouin (juin 2010, 2 heures), actuellement dans les salles. Depuis le 9
juin 2010.

Illustrations © S.Bonniol 2010

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