jeudi 18 avril 2024

Lyon. Auditorium, le 14 novembre 2007. Macmillan, Beethoven (5e concerto, Paul Lewis), Dvorak. Orchestre de Bournemouth, dir. Marin Alsop.

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L’Orchestre National de Lyon étant parti en tournée japonaise a invité le Bournemouth Symphonic Orchestra. L’occasion idéale – mais pas universellement saisie par le public – de faire connaissance avec un autre son collectif, de retrouver le chef américain Marin Alsop, et d’admirer un des plus grands pianistes actuels, Paul Lewis, schubertien et beethovénien de haute intuition.


Public sympathique, novice dans l’art de l’approbation
Un public orphelin – ou qui joue à se sentir tel -, c’est curieux, mais jusqu’à un certain point. Et ça peut manquer de curiosité. On en a vu un « joli » exemple à l’Auditorium le 14 novembre. L’Orchestre National de Lyon est en tournée japonaise, nul ne l’ignore ici. Pourquoi, chers spectateurs, ne pas « en profiter » pour écouter un autre son collectif, une autre esthétique ? Les invitations lancées à l’étranger ou ailleurs en France permettent une telle démarche, salutaire notamment pour qui ne peut se permettre les grands voyages. Mais,en ce 14 novembre triste et froid, la conque de l’Auditorium très partiellement remplie (euphémisme) abrite un public certes sympathique, mais dont une minorité agissante a l’enthousiasme intempestif – applaudissements entre les mouvements -, ce qui souligne une large mise en congé des abonnés de l’ONL. Les musiciens anglais du Bournemouth Symphony Orchestra, leur chef Marin Alsop (déjà venue ici en 2002), et le soliste Paul Lewis ont tout de même l’air un peu surpris de cette translation-jazz-attitude chez Beethoven et Dvorak, mais la courtoisie britannique fait qu’il n’en paraît presque rien. Voilà qui n’empêche apparemment pas d’apprécier en ouverture un exaspérant mais bref collage de James MacMillan : ce Stomp aux très lourds effets citationnels voudrait évoquer les amours d’une Cécilia – pardon, Elvira – Madigan dans l’imaginaire pétersbourgeois avec un avatar de Piotr Illytch , donc – nous avertit l’auteur -, « le concerto K.467 et la 4e de Tchaïkovski » sont convoqués entre Neva et canaux pour cet article de Gala-International. A fuir. Le Bournemouth et bien sûr Paul Lewis méritent mieux que ce concentré de vulgarité raccoleuse.

Paul Lewis disciple d’Alfred Brendel
Car le pianiste, élève d’Alfred Brendel, éminent schubertien, est aussi en train de bâtir une intégrale Beethoven (sonates, concertos) dont l’Empereur se fait écho glorieux. Et certes le Bournemouth Symphonic exalte ici sa puissance, sa cohésion, ses effets d’éloquence par pupitres – on entend rarement d’aussi belles interventions des cors -, son opposition de dialogue parfois implacable et véhément, emmené au combat par une Marin Alsop généreuse et qui n’en respecte pas moins l’individualité du soliste. Car Paul Lewis est de ceux qui sans se substituer à la volonté organisatrice du chef – certains solistes ont tendance à cela, conscients qu’ils seraient d’un rôle plus exposé…- dialoguent tout en frayant leur voie dans les registres et les timbres de la sonorité, dans les « gestes » qu’implique tel ou tel élément de la pensée musicale. L’entrée en cascade pour le 1er allegro, « tout le monde » la réalise, et d’ailleurs elle garde son potentiel d’émerveillement, comme si un personnage d’opéra se ruait pour son récitatif flamboyant. Mais composer ensuite avec l’orchestre, pour étager ses propres plans sonores – et là, on serait plusieurs personnages, ou le même, partagé entre un présent, une mémoire et le désir d’être autre -, continuer à les faire sentir au cœur des tumultes du mouvement entier, cela, « tout le monde » ne le fait pas. Ni de devenir soi-même, avec un son d’arrière-plans, venu du lointain cher au romantisme, un son de clairière comme avec le soleil qui jouerait à travers les feuilles. Ou de se livrer à un travail d’analyste et de psycho-acousticien sur la nature et les modalités du trille dans tous ses états beethovéniens. Ce qui n’empêche nullement ce « héros de notre temps », analogue au romantique russe Lermontov qui consuma sa vie dans l’urgence de l’engagement pour la liberté, d’assumer tout à coup la fureur de vivre qui parcourt dans les deux sens toute l’étendue d’un clavier séduit. Le chant pudique de l’adagio, Paul Lewis, en merveilleux accord avec un orchestre qui sonne désormais moins en puissance, peut l’exalter dans la sérénité retrouvée, caressant les touches et faisant naître une courbe aérienne, séparée des pesanteurs du réel. Quant au mystérieux « déversement » qui s’opère avec un finale à la joie de reconquête spirituelle, le pianiste en donne une traduction initiatique, avec ses accords,faits de la matière du rêve…Au-delà de Beethoven, il y aura en bis un Schubert –là aussi, la substance musicale même dont Paul Lewis s’est nourri avant tout -, un temps admirablement lié, complexe en sa forme impromptue comme le récit qui s’agrandirait à la mémoire de toute une partie de la vie, lumière intense et tout à coup filtrée, sublime mélancolie qui nous rattache au bonheur pourtant déjà quitté.

Les fausses Amériques d’Europe Centrale

Puis l’orchestre anglais paraît dans toute sa splendeur, et ce qui parfois chagrinait un peu dans un Beethoven à tentation de puissance devient nécessaire pour les « fausses Amériques » de Dvorak en voyage au Nouveau Monde. Marin Alsop conduit, lutteur penché en avant et marin à la passerelle (à cause du 2e bis, pourquoi ne pas songer aussi à l’attitude en scène du « petit taureau Nougaro » ?), dans un esprit qui souligne ces plans étagés de timbres et d’intensités dont son orchestre peut s’enorgueillir. Topographie sonore comme on lirait un paysage : à nouveau les cors, et aussi les trombones, les flûtes, les bois dans leur ensemble sont étonnants ; rarement le largo de cette symphonie tant aimée, si admirable (et parfois rabâchée) n’aura fait voir tant de « scènes aux champs », de frémissements des cordes comme les blés sous le vent d’été, une « odor di campagna » en Europe Centrale où le cor anglais instille sa nostalgie. L’éparpillement du son à la fin du largo, cette ponctuation d’adieu aux contrebasses, voilà qui à soi seul justifierait un voyage en ce brave new world revisité grâce un à orchestre en pleine inspiration, et qui sent parfaitement l’imaginaire des couleurs et des rythmes réinventé par son chef.
En bis, on rejaillit sur la chorégraphie dvorakienne puis sur un Sweet Georgia Brown bien revigorant. A bientôt, chers Bournemouthiens ? Et allons, excellents spectateurs, cool, tranquille : ils reviennent, vos enchanteurs symphoniques, que dis-je, ils sont déjà revenus, ils ont posé leurs valises. Mais côté orchestral-chauvinisme, revoyez un peu vos habitudes, non ? Merci pour eux et leurs invités d’outre-Manche. Pour vous aussi, avant tout…

Lyon. Auditorium, le 14 novembre 2007
. Bournemouth Symphonic Orchestra. Marin Alsop, direction. Paul Lewis, piano. Ludwig Van Beethoven (1770-1827): 5e Concerto pour piano. Antonin Dvorak ( 1841-1904): 9e Symphonie. J.MacMillan (né en 1959): Stomp.

Crédit photographique: Paul Lewis (DR)
Crédit photographique: Marin Alsop (DR)

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