vendredi 29 mars 2024

Le Royaume oublié. La croisade contre les Albigeois. Jordi Savall (3 cd Alia Vox)

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Pilier de la
révolution sur instruments d’époque, Savall ne nous inflige pas une
énième restitution strictement musicienne: il sait aussi inscrire son
travail d’interprète, dans un cycle de réflexion à la fois historique
et surtout spirituel. Son acte interprétatif se double d’une volonté de
mémoire qui apporte comme un témoignage éclairant, un engagement
résolument humaniste…


La « Tragédie Cathare »…

A mesure que ses programmes initialement joués en concert sont ensuite enregistrés et paraissent sous son label Alia Vox, Jordi Savall
approfondit pas à pas deux notions qui lui sont chères: le voyage qui
suscite l’imaginaire; un engagement humaniste qui conduit désormais ses
choix musicaux.

Pilier de la révolution sur instruments d’époque, Savall ne nous
inflige pas une énième restitution strictement musicienne: il sait
aussi inscrire son travail d’interprète, dans un cycle de réflexion à
la fois historique et surtout spirituel. Son acte interprétatif se
double d’une volonté de mémoire qui apporte comme un témoignage
éclairant, un engagement résolument humaniste.

Concrètement, l’objet qui s’offre à nous aujourd’hui renouvelle aussi l’édition discographique et sous la forme d’un formidable livre-disque, l’iconographie et l’abondance d’informations voire d’érudition conditionnent une autre conception de la musique enregistrée.
L’objet n’est pas en soi nouveau: il a été précédé de bien d’autre volumes tout aussi aboutis donc nécessaires.
Chacun parle autant à l’âme qu’à l’ouïe. De musique engagée, Jordi
Savall se fait désormais le chantre exemplaire. Réconciliation des
peuples, rapprochement des cultures et des pratiques, approche métissée
des sonorités… surtout dévoilement de la beauté pour que naisse enfin
l’homme nouveau, « libre », celui qui tolérant, compatissant aimant et
solidaire, pourrait construire le nouvel ordre mondial… chaque
nouveau programme, celui-ci a été enregistré à l’été 2009 à la
Collégiale de Cordona (Catalogne), mais aussi à Paris et Fonfroide, est
l’objet d’un long travail de recherche documentaire, de séances
pratiques qui en réalisent l’univers sonore. C’est aussi, et l’on
aurait tort de l’écarter, un manifeste qui en re-situant l’héritage
albigeois et Cathare dans son contexte originel, miraculeux et
tragique, nous parle d’un monde pacifié dont l’existence fugace permet
pourtant d’espérer qu’il renaisse un jour.
Or comme l’expose Jordi Savall dans une préface très claire et
argumentée, ce pays a bel et bien réalisé le fantasme de la paix
partagée; il a pour nom le pais d’oc (Auxitans Provincia):
une terre historique, avérée depuis des siècle, propre à l’époque
romane, où toutes les cultures du nord et du sud, de l’est et de
l’ouest – celles que notre civilisation aime toujours opposer sous la
bannière médiatico-opportuniste-électoraliste, de « choc des cultures »-,
ont su cultiver un dialogue fructueux, porteur d’essor et de paix.

… une nouvelle odyssée musicale et spirituelle

La culture occitane médiévale
favorise une pensée différente (hérétique) de celle de l’église
officielle, transmise par l’art des troubadours et qui s’affirme
essentiellement en Occitanie, aux XIIè et XIIIè siècles. Ce mouvement
indépendant et singulier des idées et des modes de vie, estimé tel un
creuset de dissidence suscite de la part de Rome, la fameuse et triste
croisade (instituée par Innocent III en 1208) contre les albigeois,
l’éradication brutale et sanglante de toute vie cathare. Comme souvent,
sous l’étendard de la religion et de la « juste foi », se cachent des
intentions plus politiques dont évidemment l’annexion de la prospère
Occitanie (dont le Languedoc) à la faveur des puissants de l’époque
dont évidemment le roi de France. Avec l’autodafé de Montségur et
après, un à un, l’assassinat de tous les derniers Prêtres Cathares (Parfaits), c’est désormais l’ère des Rois de France qui façonne le destin des peuples asservis.
Comprendre ses quelques données historiques, spirituelles, politiques,
permet de mieux mesurer l’enjeu du programme musical conçu par Jordi
Savall, résumé dans cette superbe publication, en 3 disques et une
partie documentaire de 50 pages, laquelle est éditée en 7 langues soit
au final, un volume de près de 570 pages, offrant en outre une très
belle sélection d’illustrations.


Les interprètes en grand nombre
de cette nouvelle
odyssée musicale et spirituelle sont tous excellents, unis, et portés
par un projet musicalement et spirituellement stimulant: les voix
délectables de Pascal Bertin, Marc Mauillon et Furio Zanassi sans
omettre, ce chant maternelle et irrésistible de Montserrat Figueras.
Aux musiciens familiers de ses ensembles (Hespèrion XXI et La Capella
Reial de Catalunya), Jordi Savall ajoute aussi plusieurs solistes
invités, illustrant ce métissage des sensibilités et des pratiques:
instrumentistes d’Arménie, de Bulgarie, de Turquie et du Maroc.

Huit siècles après leur destruction, les Cathares
fascinent toujours: ils nourrissent même notre espérance moderne.
Savall ressuscite avec une finesse palpitante dont il a le secret,
grâce au jeu virtuose des mélanges dont nous avons parlé, le chant des
troubadours, de Guilhem de Peitieu (le « premier ») à Raimon de
Miraval et Guilhem Figueira… sans omettre les mélodies non moins
captivantes de la mystérieuse et légendaire « trobairitz », Condesa de
Dia.
Plusieurs extraits de L’Apocalypse de Saint-Jean dont La Sybille
Occitane, restituée à travers la plume d’un troubadour demeuré anonyme,
mais aussi une citation de l’Apocalypse selon l’Evangile Cathare du
Pseudo Jean, comme l’improvisation par les instruments à vents
orientaux (duduk et kaval), expriment ici le souffle de la Croisade
barbare auquel répond en un contrepoint « individualisé », le chant des
victimes hérétiques, brûlées vives par milliers (sur roulement de
tambours comme à l’époque où les bûchers étaient ainsi rythmés de façon
lugubre). Jordi Savall rappelle le génocide perpétré sur les 20.000
habitants de Béziers qui avaient refusé de livrer les soit disant 230
hérétiques résidant entre les murs de la ville… ce 22 juillet 1209.

Comme le précise, le directeur musical d’Hespérion XXI, dans un texte
fondateur et manifeste de toute la philosophie qui soustend son oeuvre
musical: « nous
avons pour tâche urgente, et permanente de dévisager ces deux mystères
qui constituent les extrémités de l’univers vivant: d’un côté le mal;
et de l’autre la beauté. Ce qui est en jeu n’est rien de moins que la
vérité de la destinée humaine, une destinée qui implique les données
fondamentales de notre liberté »
.

Les 3 disques récapitulent l’épopée albigeoise, de 950 (les Bogomiles
au temps des « origines », jusqu’à l’an 1463 avec la fin du Catharisme
oriental et l’hommage aux « Bons hommes »), selon les 3 grandes parties
ou 3 cd (1. Apparition et rayonnement du Catharisme; 2. La Croisade
contre les Albigeois; 3. Persécution, diaspora et fin du Catharisme).
Apport magistral et réalisation musicale jubilatoire.

Le Royaume oublié. La croisade contre les Albigeois. La tragédie Cathare. Conception musicale du projet : Jordi Savall & Montserrat Figueras.
Distribution : Montserrat Figueras, chant et cithare ; Pascal Bertin,
contre-ténor ; Lluís Vilamajó, ténor ; Furio Zanasi, baryton. La
Capella Reial de Cataluya : David Sagastume, Francesc Garrigosa, Jordi
Ricart, Daniele Carnovich. Les récitants : Réne Zosso (latin et
français), Georges Besombes (occitan). Hespérion XXI : Jordi Savall
vièle, lire et rebab ; Andrew Lawrence-King, harpe médiévale et
psaltérion ; Dimitri Psonis, santur et morisca ; Hakan Güngör, kanun,
Pierre Hamon, flûtes ; Gaguik Mouradian, kamancha ; Haïg
Sarikouyoumdjian, ney et duduk ; Jean-Pierre Canihac, cornet ; Nedyalko
Nedyalkov, kaval ; Christophe Tellart, vièle à roue et cornemuse ;
Béatrice Delpierre, chalémies ; Daniel Lassalle, sacqueboute ; Pedro
Estevan & David Mayoral, percussions et cloches. Direction: Jordi
Savall.

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