Kurt Weill
Grandeur et décadence
de la ville de Mahagony, 1930
Angers Nantes Opéra
Du 21 février au 15 mars 2009
Nantes, Théâtre Graslin
samedi 21, mardi 24, jeudi 26 février,
dimanche 1er, mardi 3 mars 2009
Angers, Grand Théâtre
mardi 10, jeudi 12, dimanche 15 mars 2009
Babylone prophétique
Incroyable vision prophétique que celle de Kurt Weill associé à Bertold Brecht: leur réalisation autour de Mahagony, image délirante d’une métropole bâtie au milieu de nul part, au coeur du désert par trois malfrats préfigure le Las Vegas que nous connaissons.
Pour tout ceux qui en paye le prix, Mahagony est une Babylone moderne qui dispensent tous les plaisirs: jeu, amour, frissons de tout genre… En 1930, les deux auteurs anticipent la marche de l’histoire. Ils empruntent aux rythmes endiablés américains l’expression frénétique d’un mal être, ou d’une fureur, impatiente, traçant sa course à 100 à l’heure (grandeeur et décadence), avant la chute de la civilisation. Jazz et cabaret singent la fuite d’un monde désormais aveugle sur lui-même, trop concentré sur ses recettes immédiates. Profiter, jouir, jeter et mourir. Qu’advienne le déluge, pourvu qu’on ait trouvé l’ivresse.
Trois ans après la création de Mahagony, Weill et Brecht s’exile aux USA, fuyant l’horreur nazie, ce dérèglement sans moral ni éthique qu’ils ont dénoncé dans leur oeuvre. La mise en scène du duo (familier désormais sur les scènes d’Angers Nantes Opéra(, Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui avait aborder de façon magistrale Tosca de Puccini (septembre 2008), souligne la justesse de vue du compositeur et de l’homme de théâtre: sans jamais forcer le trait, leur démarche sur la partition dévoile son actualité. La production qu’accueillent Nantes puis Angers, enfin Lille, a été créée en 2007 à Lausanne et au Spoletto Festival USA 2007 de Charleston.
L’idée de Mahagony occupent Brecht et Weill dès 1927 (Mahagony Songspiel, esquisse de l’opéra à venir, sorte de cantate lyrique présentée à Baden-Baden): certes, les auteurs trentenaires (Weill est né à Dessau le 2 mars 1900), se montrent à la page en empruntant au folklore américain (foule tirée d’un farwest ou d’une ruée vers l’or…). Mais sous la révérence aux notes de l’avant-garde, ils réinventent l’opéra, à rebours de l’oeuvre totale « inaccessible » wagnérienne et bourgeoise… Ici, la scène est d’essence populaire (chansons, danses, truismes du livret à foison). Mieux, le sens du texte, son engagement moral voire politique priment sur la musique: Brecht, lecteur de Marx, y précise déjà une critique en règle du système capitaliste où l’homme tue l’homme, par exploitation, cynisme esclavagiste… Depuis sa création à Leipzig le 9 mars 1930, l’opéra Grandeur et décadence de la ville de Mahagony ne cesse de troubler, perturber, convaincre, non dans ses excès scéniques, sa noirceur évidente, sa fausse espièglerie, mais bien par sa justesse.
Opéra social et politique
Néo classicisme busonien, mais aussi expressionnisme âpre, jouant avec l’atonalité, dans la mouvance de Schoenberg: l’écriture du jeune Weill indique très tôt sa marque personnelle (cf Concerto pour violon et instruments à vent de 1924 et son premeier opéra, Der Protagonist, de 1926).
Une étape est franchie lorsque le compositeur travaille avec Brecht en 1927. Son affection pour l’acidité et l’expressivité trouve un écho stimulant dans le théâtre de Brecht, déjà très engagé. Les deux hommes réalisent en particulier un premier chef d’oeuvre dans Mahagony, où à la dénonciation amère, haineuse et délirante du capitalisme homicide, répond la musique syncopée, ivre d’un Weill génial recycleur de l’esprit cabaret et du cirque social.
Les événements historiques, avec à partir de 1933, la prise de pouvoir par Hitler, leur donnent raison. La décadence de l’Europe se réalise alors: Weill quitte Berlin et s’installe à partir de 1935 aux USA: en cohérence avec son idée de théâtre social, il se passionne pour le genre musical populaire, la comédie musicale, dans lequel il compose plusieurs oeuvres mémorables aux chansons désormais légendaires: Johnny Johnson (1936), Knickerbocker Holiday (1938), dont le célèbre air « September Song » est toujours sur toutes les lèvres.
Kurt Weill: Grandeur et décadence de la ville de Mahagony
Opéra en trois actes. Livret de Bertolt Brecht (1898-1956)
assisté d’Elisabeth Hauptmann, Caspar Neher et Kurt Weill.
Créé au Neues Theater de Leipzig, le 9 mars 1930.
Direction musicale : Pascal Verrot
Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
Décor : Christian Fenouillat
Costumes : Agostino Cavalca
Lumière : Christophe Forey
Nuala Willis, Léocadia Begbick
Beau Palmer, Fatty, le « Fondé de pouvoir »
Nicholas Folwell, Moïse la Trinité
Elzbieta Szmytka, Jenny Hill
Andrew Rees, Jim Mahoney
Eric Huchet, Jack O’Brien / Tobby Higgins
Randall Jakobsh, Bill, surnommé Billy Tiroir-caisse
Frédéric Caton, Joe, surnommé Joe le Loup d’Alaska
Choeur d’Angers Nantes Opéra (Xavier Ribes, direction)
Fanfare de la 9e Brigade Légère Blindée de Marine de Nantes
Orchestre national des pays de la Loire
Illustration: Kurt Weill, Bertold Brecht (DR)
