Gouvy en gloire
Pour sa première Biennale de musique, tout le département de la Moselle a résonné en octobre des partitions romantiques signées par les compositeurs du territoire, souvent injustement méconnus. D’où la pertinence d’une programmation très équilibrée. qui sait mettre en lumière compositeurs renommées et méconnus ou oubliés, dans des lieux habituels des concerts ou d’autres en marge du circuit traditionnel et identifié.
Ainsi avant Venise (car la Biennale est en partenariat avec le 1er festival de musique romantique proposé par le Palazzetto Bru Zane à Venise et partage avec lui plusieurs programmes de concert), les mosellans ont pu écouter (et découvrir) Jadin, Onslow ou Hérold, pionniers romantiques formant désormais une trilogie nouvelle révélée, propre à l’essor d’un romantisme à la française… Lire notre compte rendu du concert Jadin, Onslow, Hérold par le Concerto Köln et Andreas Spering, samedi 3 octobre 2009).
Temps fort pour nous de cette édition mosellane, riche en découvertes tant patrimoniales (beaucoup de lieux investis sont méconnus) que musicales, le concert donné par l’Orchestre National de Lorraine, le 11 octobre 2009 à l’église Saint-Etienne de Hombourg-Haut: sous la direction de son chef, Jacques Mercier, la phalange a souligné le tempérament à la fois classique et profond, formaliste et opulent (qui a suscité l’admiration de Berlioz!) de Théodore Gouvy (1819-1898), dans une Symphonie n°1 particulièrement flamboyante menée avec énergie et sens du détail.
L’enjeu et le sens de la Biennale se trouvaient à Hambourg-Haut comme synthétisés: offrir un concert découverte en faveur d’un immense compositeur de Moselle (dont le rayonnement et la sensibilité se situe très exactement, en dépit des nationalismes de son époque, entre l’Allemagne et la France), dans un lieu du territoire hors des salles de concerts habituels. Mettre ainsi Gouvy en perspective avec Félix Mendelssohn (Symphonie Réformation) était naturellement très pertinent.
Gouvy est une figure atypique et visionnaire, déjà européenne quand l’Europe est la proie des nationalismes bientôt sanguinaires. Né prussien, mais français de coeur et de culture (il sera naturalisé français vers sa trentaine!), il réussit une synthèse unique entre écriture française et allemande: ses maîtres sont évidemment Beethoven et Mendelssohn. En symphoniste accompli, – pas moins de 9 symphonies sont à son catalogue-, le compositeur est un formaliste exigent, porté par un idéal d’équilibre et de plénitude sonore. A la tension proche de Brahms, l’énergie et le scintillement rythmique et mélodique de Mendelssohn, Gouvy ajoute sa propre potion, un élixir irrésistible, fait de mesure, de tact, de raffinement et de délicatesse. C’est un amoureux de la forme classique et aussi un vrai tempérament romantique à 1000 lieues des goûts de la capitale parisienne, davantage portée vers l’opéra et la musique légère.
Soucieux de musique pure et de développement, Gouvy, frontalier inclassable, est évidemment un « ovni » dans le paysage musical de son époque, dont le sens profond de la musique demeure toujours méconnu.
C’est pourquoi ce concert inscrit dans le cadre de la Biennale mosellane revêt une couleur spécifique: associant défrichement et réhabilitation. Jacques Mercier connaît d’autant mieux le style du musicien qu’il enregistre avec l’Orchestre de la Radio Sarroise, l’intégrale des Symphonies de Gouvy (chez CPO). Nervosité mais détail et précision, énergie mais sens de l’équilibre des pupitres, travail spécifique sur les timbres (solos de clarinette), le chef sait mesurer ses effets, suivre le développement musical, captiver par son écoute des dialogues instrumentaux, dans la clarté et la transparence. Une révélation d’un grand musicien, porté par l’engagement communicatif des interprètes. Il reste invraisemblable que les Symphonies de Théodore Gouvy ne soient pas à l’affiche des concerts parisiens. Les salles des orchestres allemands ont de ce point de vue pris une avance significative.
Le visiteur de Hombourg-Haut ne manquera de se recueillir sur la tombe du compositeur dans le cimetière derrière l’église Saint-Etienne ni de visiter l’Institut Gouvy (dirigé par Sylvain Teusch) dans la villa Gouvy, au centre ville au contrebas, au premier étage du bâtiment qui abrite aussi l’office de tourisme.
Réformation. Orchestre national de Lorraine. Jacques Mercier, direction