Giuseppe Verdi
Don Carlo
Version italienne de 1884
Paris, Opéra Bastille
Du 11 février au 14 mars 2010
Graham Vick, mise en scène
Carlo Rizzi, direction
Verdi chez Schiller= l’opéra noir
On peut être étonné que Paris s’entête à ne pas reconnaître la validité de l’opéra de Verdi, le plus sombre, le plus âpre d’après Schiller, dans sa version première en français. Schiller est un auteur familier pour Verdi, depuis Luisa Miller (autre opéra qui continue d’être mésestimé à notre avis): en particulier dans sa version française d’origine (créé à l’Opéra de Paris en 1867): Don Carlos (avec un « s ») a bien été écrit à l’origine pour la scène parisienne dans le style du grand opéra hexagonal, respectant les usages de la Cour impériale du Second Empire, scène collective fiévreuse et épique, héroïsme, ballets, grandeur et noblesse.
La production à l’affiche de Bastille en février et mars 2010 est celle de la Scala de Milan, créée en 1884, en langue italienne soit 17 années après la création parisienne.
Mais le génie de Verdi n’est pas dans la complaisance et son sens dramatique aime les coups de théâtre dans la veine d’un Hugo ou d’un… Schiller. La vertu libertaire de quelques uns met en branle l’équilibre des systèmes politiques. Ici, les souverains et l’église ne sont guère idéalisés (comme dans l’opéra hérité de l’Esprit des Lumières et de Métastase): Philippe II est un roi terrifié par l’église (le grand inquisiteur), solitaire, lâche et même criminel: il méprise son épouse Elisabeth, sacrifie son propre fils Carlos, fait assassiner son ami, Posa; enfin soumet les Flandres qu’il met à feu et à sang au nom de la loi des Habsbourg, brandissant l’étendard d’une foi radicale… Mais Verdi va plus loin: tous les protagonistes sont peints avec un cynisme rare. Le pouvoir rend fou (Philippe II) voire paranoïaque, esseulé, mélancolique. Tous sans exception sont écartelés, démunis, impuissants. Ce sont des personnalités politiques sacrifiées, des individualités inadaptées désirantes, insatisfaites.
Le tableau est noir sans alternative. Seul Posa (Rodrigue), offre aux barytons un personnage sublime, porté par son idéal fraternel de liberté et de respect. Mais il paiera cher l’éclat de sa vaillance morale: il mourra.
Verdi signe une oeuvre remarquable par sa concision et sa violence dramatique. En rien décorative. L’expérience est unique dans l’histoire de l’opéra français: un italien et pas n’importe lequel renouvelle le genre poussiéreux de la grande machine académique (comme Rossini l’avait fait avant lui, autre italien, avec Guillaume Tell, ouvrant la voie des Meyerbeer et Halévy). A défaut de la version française dont la langue souligne davantage que la vocalità sensuelle italienne, le portrait au scalpel des caractères vocaux, Paris accueille la production du Don Carlo italien (donc sans « s »), créé à la Scala de Milan, après Paris, en 1884, à partir du 11 février 2010. Production événement (avec le Carlo de Stefano Secco et le Posa de Ludovic Tézier, dans la mise en scène de Graham Vick).
Pour ceux qui souhaitent retrouver la saveur originelle du Don Carlos Français de Verdi, reportez vous sans hésitations sur l’excellente version enregistrée par Claudio Abbado chez DG, avec une distribution non francophone mais à la diction musicale surprenante, entre autres celle de Katia Ricciarelli (Elisabeth), Placido Domingo (Carlos), et le Posa étonnant de Leo Nucci. L’orchestre y est d’une finesse psychologique, à l’intimisme stupéfiant. Un must! E outre la version d’Abbado est celle plus riche encore que celle de 1864, datant de 1886, avec un perfectionnement supplémentaire des parties d’orchestre et de scènes dans leur ensemble comme le tableau préalable de Fontainebleau qui insiste sur la relation impossible des jeunes amoureux, Elisabeth et Carlos…
Don Carlos à l’Opéra Bastille à Paris
Carlo Rizzi , direction musicale
Graham Vick, mise en scène
Giacomo Prestia, Filippo II
Stefano Secco, Don Carlo
Ludovic Tézier, Rodrigo, marchese di Posa
Victor Von Halem, Il Grande Inquisitore
Balint Szabo, Un Frate
Sondra Radvanovsky, Elisabetta di Valois
Luciana D’Intino, La Principessa Eboli
Jason Bridges, Il Conte di Lerma
Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris