ed inconvenienze teatrali, 1827, 1831
Depuis l’opéra seria de Gasmann et la texte acerbe de Marcello (Teatro alla moda, dont l’acidité critique fustigeait Vivaldi à Venise), nombre d’auteurs en parodiant le milieu des chanteurs et des compositeurs, ont su exploiter la verve voire le délire expressif nés de la parodie du monde lyrique: caprices et rivalités, arrogance et suffisance, cruautés et barbaries familières… Tout est bon pour briller en écrasant les autres. L’idée d’une troupe où chacun tient sa place pour l’unité et la magie de l’action éclate littéralement. D’ailleurs, Donizetti puise le sujet d’Inconvenienze de la comédie de Sografi représentée… à Venise en 1794.
Vitalité satirique
Donizetti avait écrit un intermezzo comique en un
acte qui dès sa première (Teatro Nuovo à Naples, 1827) suscite un
extraordinaire succès. Il revoit sa copie et enrichit son propos: l’intermezzo devient ouvrage en deux actes (créé à Milan le 20 avril 1831), inspirée cette fois d’une autre source, également signée de Sografi (Le inconvenienze teatrali, créé à Padoue en 1800): la seconde partie (scène de l’audition des chanteurs en fin d’acte) étant prétexte comme dans La Chauve Souris de Strauss où à l’invitation du Prince Orlowski, de vrais solistes viennent chanter leur air à succès, à une série de portraits de chanteurs bien trempés qui permet à chacun de déclamer et pousser son aria di baule (air de bagage ou de malle, ou tubes qu’un castrat ou une diva impose partout pour subjuguer les foules).
Piquant, Donizetti y mêle aussi l’âpreté du dialecte napolitain (comme Philidor lorsqu’il emploie dans Sancho Pança les aspérités rocailleuses d’un patois de campagne). En outre, le compositeur ajoute un rôle travesti pour le baryton, qui incarne la mère hystérique (Mamma Agata), personnage délirant qui rêverait que sa fille devienne prima donna. A la création le rôle était tenu par l’exceptionnel buffo de légende Gennaro Luzio qui porta en grande partie le succès comique de la partition donizettienne.
En 1845, le compositeur envisage même une troisième version mais rattrapé par la maladie, il ne devait jamais achever son entreprise.
Fidèle à l’esprit de la Commedia dell’arte, le Inconvenienze convoque les protagonistes de la scène lyrique, celle d’une troupe de musiciens invités à donner un opéra: première et seconde chanteuse, leur mari et leur mère, ténor envahissant et bientôt en fuite; compositeur (le musico, à la présence lui aussi bien fugace…), et imprésario excités, subjugués par la Prima donna, directeur de théâtre soucieux que la représentation soit maintenue, en dépit des répétitions houleuses, car le public a déjà payé ses places…
Dans le petit théâtre de Lodi, règne un désordre chaotique où les jalousies s’enveniment… surtout quand Mamma Agata exige que la partie de sa fille Luigia, seconde chanteuse, soit davantage développée pour mettre en avant son gosier vocal! Mais la Prima donna refuse de chanter un duo avec une artiste subalterne. Mamma Agata n’en reste pas là: en voulant chanter un duo ardent avec le ténor, elle fait fuir ce dernier. Il est remplacé par le mari de la Prima Donna… Encadré par les policiers, les chanteurs qui se détestent, reprennent tant bin que mal, leur répétition sous le regard exacerbé du directeur de théâtre: déjà les spectateurs se pressent à l’entrée du théâtre… Mamma Agata symbolise le délire qui est ici au centre de l’action: elle entonne son grand air buffo et satirique: « Assisa a piè d’un sacco… » (« assise près d’un sac »… parodie à peine déguisée de l’air du saule de Desdemone de l’Otello de Rossini de 1816).
Mais le directeur de théâtre annule la représentation à cause de l’abandon du ténor et du musico: tous décampent pour ne pas à avoir à restituer leur salaire déjà versé. Ainsi, l’opéra est-il entaché d’un scandale financier. On sait combien dès son origine, la machine lyrique a causé pour mauvaise gestion, la ruine des impresarios et des directeurs, tiraillés entre l’appétit du public et le cachet des vedettes toujours plus avides et capricieuses…
DVD. Marco Guidarini a dirigé une production exemplaire de cette perle buffa, à la Scala de Milan en octobre 2009. Le dvd est annoncé à la fin 2010. La version de l’excellent chef italien, baguette ciselée et fine, attention portée à la psychologie savoureuse et caricaturale des personnages, devrait confirmer sa réussite au dvd: Marco Guidarini ne fait pas que souligner le génie délirant d’un Donizetti parodique (y compris de lui-même: il reprend un air extrait d’Elvida, seria créé l’année précédent Le Inconvenienze): sa vision dramatiquement aboutie, restitue au drame comique son unité scénique, son relief vocal, malgré la dilution possible d’une action éclatée.
Avec Philippe Cantor dans le rôle de Mamma Agata.
