Fromental Halévy (1799-1862)
La Juive, 1835
Après plus de 550 représentations sur la scène de l’Opéra de Paris, La juive, opéra populaire, applaudi par les romantiques, est retiré de l’affiche, en avril 1934. Le signe est sans appel: le public parisien n’aime plus les grands opéras spectaculaires. Ainsi en est-il du goût, de ces césures brutales. Finis, comme La Juive, les machines ambitieuses signées Auber (La Muette de Portici), Meyerbeer (Les Huguenots), Rossini (Guillaume Tell, 1829).
Pourtant quand fut créé le 23 février 1835, Salle Le Peletier, l’opéra de Halévy, le triomphe fut immédiat: il est vrai que l’ouvrage bénéficiait de chanteurs légendaires qui ont imposé l’autorité dramatique du groupe de protagonistes, un quintette de voix caractérisées, comprenant deux ténors (l’un cultivant le médium: Eléazar; l’autre l’aigu: Léopold), deux sopranos (l’une dramatique: Rachel et l’autre, lyrique: Eudoxie), surtout une basse profonde et noble (Brogni). Pour la création, Halévy put compter sur les meilleurs chanteurs de son temps, avantage de taille pour la réussite d’un ouvrage nouveau et pour son impact sur le public: Adolphe Nourrit (Eléazar), Cornélie Falcon (Rachel), Nicolas-Prosper Levasseur (Brogni).
La vision de Pierre Audi
Qui ne connaît, au détour d’un récital lyrique, porté par un ténor audacieux, le fameux air d’Eléazar: « Rachel, quand du Seigneur… »? La passion sombre et vénéneuse emporte les personnages de cette intrigue où s’affrontent le Cardinal de Brogni et le marchand juif Eléazar, lequel a adopté Rachel, une jeune juive qui se révèle être la fille… du Cardinal, qui fut un homme marié avant d’être homme d’église.
Pour la scène de l’Opéra Bastille, Pierre Audi, metteur en scène britannique, actuel directeur de l’Opéra d’Amsterdam, remonte une oeuvre dont le style doit être retrouvé pour le plaisir des spectateurs. C’est un ouvrage actuel dont il faut mettre en lumière, ce « pathétique de la haute tragédie » dont parle Wagner. Ce dernier avoue avoir été profondément influence par Halévy. Pierre Audi décèle dans La Juive, plusieurs préfigurations du Verdi de Don Carlo, ou du Massenet de Werther. Les cinq actes de cette tragédie française touchent par leur intensité, leur énergie, une noirceur intime et grandiose. Sans lourdeur intentionnelle, le metteur en scène veut renforcer la part fantastique de cet ouvrage contemporain de la révolution industrielle. Il précise que pour lui, les choeurs seront plus une présence dans l’esprit des personnages qu’une masse physique sur la scène; de même, l’antisémitisme et l’actualisation, seront mesurés, mais à leur place. « Dans La juive, l’aliénation vient du pouvoir, de la société et catholicisme », affirme-t-il.
Aujourd’hui, Paris semble être séduit par le grand genre. Après Guillaume Tell de Rossini, ouvrage qui a marqué de façon décisive l’évolution du grand opéra à la française, voici La Juive d’Halévy, programmée à l’Opéra Bastille, du 16 février au 20 mars 2007. Sans présager de la réussite de la production, cette reprise attendue est l’événement lyrique parisien de février 2007.
La Juive à l’Opéra Bastille
Opéra en cinq actes (1835)
Livret d’Eugène Scribe
Direction musicale, Daniel Oren
Mise en scène, Pierre Audi
Décors, George Tsypin
Costumes, Dagmar Niefind
Lumières, Jean Kalman
Dramaturgie, Willem Bruls
Chorégraphe, Amir Hosseinpour
Chef des Choeurs, Peter Burian
La princesse Eudoxie, Annick Massis
Rachel, Anna Caterina Antonacci
Éléazar, Neil Shicoff / Chris Merritt (3, 20 mars)
Le cardinal de Brogni, Robert Lloyd / Ferruccio Furlanetto (14, 18, 20 mars)
Léopold, John Osborn / Colin Lee (3, 10, 14, 14,18 et 20 mars)
Ruggiero, André Heyboer
Albert, Vincent Pavesi
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
France Musique diffuse La Juive le 21 avril 2007
Illustrations
Cornélie Falcon, la créatrice en 1835 du rôle de Rachel
Le trio des créateurs en 1835, Levasseur, Nourrit et Falcon (DR)