(NDLR: depuis plusieurs années, l’Ensemble sait honorer le legs musical du compositeur toulousain dont il a entre autres défendu avec ferveur l’éblouissant et si lumineux Requiem).
Formé à la musique italienne, Gilles trouve un équilibre rare entre la puissance de représentation du style grand siècle corseté par le Grand Intendand et le plaisir hédoniste du sud en des danses très souples. Tout chez Jean Gilles est lumière et délicatesse dans un style que l’ensemble de Jean-Marc Andrieu nous a révélé dans sa fraîcheur.
Le chef, pour cette résurrections de la Messe en ré, a du réécrire les parties d’ orchestre médianes. Le résultat est confondant de naturel et cette messe dans sa variété de forme est un petit bijou. Jouant l’alternance grands chœurs petits chœurs de solistes, airs courts, duo trios, quatuors, la variété est savamment organisée. Peut être le chef pourrait-il enchaîner les sections plus rapidement afin d’éviter un étirement du temps du à un inévitable et compréhensible sentiment de morcellement.
Les couleurs du midi français
C’est l’orchestre de Jean Gilles avec ce soutien des violons par les flûtes traversières qui irrigue de chaleur et de lumière toute la messe. L’acoustique ingrate de l’Abbatiale Saint-Robert a rendu les armes devant ces violons si unis entre eux et si amis avec les flûtes. De l’autre côté, les instruments graves ont creusé un jeu d’ombre et de lumière fascinant. Le serpent et le basson sont des instruments complémentaires d’une grande beauté et le violoncelle a su avec l’orgue être un continuo de rêve, énergique et soutenant les voix avec intelligence. Etienne Mangot au violoncelle a du génie en continuiste et soliste de grand prix. Lors des petits ensembles de voix grave, l’effet est saisissant.
Anne Magouët a su de son soprano rond et fruité lancer avec énergie et grâce le premier Kyrie. Les autres solistes savent aussi projeter leur voix à travers la vaste nef afin de donner tout le lustre nécessaire à ce début brillant. Le chœur de chambre les Eléments met un peu de temps à retrouver la cohérence de ses pupitres (les alti) et sa précision légendaire. La légèreté des ornements à été un régal de goût exquis tant chez les solistes que le chœur.

En deuxième partie de concert c’est le Te Deum écrit à Toulouse pour célébrer la paix de Ryswick mettant fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg qui a donné un air de fête à l’austère Abbatiale quand danse et chant orné ont envahi l’espace. La brillance et la légèreté des violons a été un véritable rêve et les instruments graves ont eu des parties solistes de toute beauté. Impossible de résister au trio de basses avec serpent, basson et violoncelle d’une grande originalité. Anne Magouët brille avec sa voix si chaude et brillante à la fois en duo avec une soprano sortie du chœur ; les deux voix admirablement mêlées et équilibrées illuminent la joie du Te Deum. Vincent Lièvre-Picard, ténor haute-contre, émacié et comme saisi par la grâce a osé un chant piano et des ornements de dentelles ineffables. L’artiste devient un poète inspiré et la voix est d’une facilité déconcertante (au point de s’autoriser dans le bis, en un sourire radieux, un suraigu planant plus haut que les sopranos). Jean- François Novelli, ténor et Alain Buet basse ont eu par moments plus de mal à dépasser les pièges de l’acoustique. Il y a eu des instants de grande beauté (nous avons déjà évoqué un trio de basse) avec les deux chanteurs sortis du chœur venu rejoindre les solistes. Notons au passage la grande valeur des chanteurs du chœur Les Eléments, admirables choristes autant que solistes.
En cette après-midi ensoleillée les belles couleurs du sud ont égayés le public du Festival de la Chaise Dieu venu très nombreux pour cette fête de l’élégance et de de la danse. Pour ce concert saisissant de joie et de couleurs, riien ne manque au jeu communicatif et aux arguments des deux chefs associés: Jean-Marc Andrieu, son ensemble les Passions, et Les Eléments de Joël Suhubiette.
Festival de la Chaise-Dieu 2012. Abbatiale Saint Robert. Le 26 août 2012. Jean Gilles (1668-1705). Messe en ré ; Te Deum. Anne Magouët, soprano ; Vincent Lièvre-Picard, haute-contre ; Jean-François Novellli, ténor ; Alain Buet, basse ; Chœur de Chambre les éléments, chef de chœur Joel Suhubiette ; Orchestre les Passions. Direction : Jean-Marc Andrieu.