Deuxième temps fort (après le concert des Cris de Paris/Geoffroy Jourdain du 21 juillet 2007), à l’affiche de notre trop bref séjour à Lure et à Faucogney, dans le cadre du 14 ème Festival Musique et Mémoire 2007 : concert Alla Francesca. Fidèle à sa ligne artistique, Fabrice Creux, directeur du festival, répète sans l’épuiser, avec l’intelligence et la constance humaine que nous lui connaissons à présent depuis plusieurs années, les concepts visionnaires de l’événement qu’il dirige: défrichement et audace, déclinés sur les modes des musiques anciennes et contemporaines. Davantage qu’une scène ouverte qui a fait de la découverte, le cœur de sa démarche artistique, le festival Musique et Mémoire est un événement majeur de l’été, qui chaque année ose toujours le risque et l’expérimental, la rencontre et la découverte. Ainsi ce concert de musique médiévale, « éclairée » en un cycle de partitions inédites (en création mondiale), signées de Philippe Schoeller, dans le chevet intimiste de la Chapelle Saint-Martin de Faucogney. Le lieu est d’autant plus « magique » que le petit édifice, bordé de sépultures centenaires, est placé sur un promontoire rocheux qui dévoile à 360 degrés, une vue panoramique sur les vallons qu’il domine, entre bois et massifs vosgiens.
Chants de l’âme humaine
Comme pour chacun de leur concert, les deux artistes qui ont fait des musiques médiévales, leur spécialité, recréent en un dialogue heureux et généreux une scène ouverte, quasi improvisée (mais avec quel art) car beaucoup de pièces choisies sont transmises selon la tradition orale, et l’absence des traités sur la pratique ou le jeu de scène, font appel à la déduction musicienne comme à l’improvisation. La présence et le charisme de Brigitte Lesne et de Pierre Hamon établissent immédiatement une connivence avec leur public.
Pierre Hamon ouvre le concert, flûte et tambourin, « proférant » en guise de fanfare d’ouverture, un appel à l’éveil des sens. C’est un artiste accompli, faisant miracle de l’instant, osant, se risquant, portant toujours plus haut l’expression et plus intensément encore le geste musical. A ce titre, le concert est tout autant un voyage sonore, qu’un spectacle où le mouvement des corps modifie les repères et la perception du son.
A Brigitte Lesne revient l’éclat murmurée, particulièrement investi, de la ligne vocale. Voix chaude et agissante : le seul timbre épanoui porte la déchirure d’une berceuse nostalgique, cisèle plus profondément encore l’appel à la prière et aux lamentations. 
Peines, douleurs, extase et révélation sont suggérées avec infiniment de grâce et de finesse. Chant d’une âme implorante et incantatoire, dialoguée avec la harpe, les grelots (cousus dans sa robe), les flûtes de Pierre Hamon, la divine prestation des artistes expriment avec économie et même épure. C’est une série de tableaux et de scènes, frappés sous le sceau de l’humaine méditation, dont les scansions multiples rythment le balancement même de la plainte et du ressentiment.
Magie de l’instant
Dans le cadre de leur travail pour le festival 2007, Brigitte Lesne et Pierre Hamon ont souhaité travailler avec le compositeur contemporain Philippe Schoeller. L’aboutissement de leur dialogue s’est manifesté sous la forme de miniatures, insérées entre chants et musique médiévale, créant un monde sonore bâti sur la tenue du souffle et l’incise évocatoire du timbre vocal, en particulier sur l’un des textes de Saint-François. 
Ici, l’alliance de l’écriture contemporaine et des incantations médiévales a rehaussé l’éclat et la résonance de l’instant, grâce entre autres à la profondeur du texte poétique qui mêlant l’extase à l’épure mystique. Les interprètes ont produit une superbe arche de suggestion. Il s’agissait bien d’une œuvre encore en gestation dont la première esquisse ou le premier état, donné ainsi à Faucogney, reste une étape dans l’histoire de la partition. « Hypnos linea » s’inscrit ainsi dans la lignée déjà riche des œuvres contemporaines dont le festival a passé commande aux auteurs d’aujourd’hui, tout au long de ses 14 éditions. Il n’est pas rare qu’une œuvre nouvelle déjà créée, soit ensuite reprise, modifiée, de plus en plus conforme à l’idée initiale. Scène vivante et critique, laboratoire des musiques anciennes et contemporaines, Musique et Mémoire est aussi un lieu de musique où l’expression des œuvres anciennes et modernes est remise en cause, jusque dans ses manifestations. Le public sait qu’il va être surpris. Sans être déçu. Ce lien de confiance, ce « pacte » désormais réglé entre le Festival et son public est assurément l’un des aspects les plus attachants de l’événement. Ainsi, l’invitation a été transmise à la violoniste Chiara Banchini pour un cycle de concerts conçus selon sa sensibilité, très éloignés des répertoires qu’on lui connaît habituellement. C’était un autre volet de l’édition 2007 du Festival, que, hélas, nous n’avons pu suivre cette année.
Avec « Hypnos linea », Philippe Schoeller poursuivait un aspect de son travail qui lui tient à cœur, l’émergence du matériau musical à partir du songe et du rêve ; selon aussi les affinités surprenantes et mystérieuses des rencontres humaines et musicales. Travailler avec Brigitte Lesne et Pierre Hamon lui a permis ainsi d’écrire sur les hauteurs et la résonance du son, le phénomène du timbre, l’alliance des tessitures entre la voix, les flûtes et la harpe…
Faucogney, concert des origines
Dans l’écrin de la chapelle Saint-Martin de Faucogney, le concert de 17h, (précédé par une « causerie » avec le compositeur contemporain qui a expliqué certains aspects de son mode d’écriture), s’inscrivait naturellement dans la ligne artistique du festival. Avec d’autant plus d’émotion pour les festivaliers les plus fidèles, dès la première heure, que c’est ici, qu’au démarrage de Musique et Mémoire, il y a presque 15 ans, avait été donné l’un des premiers concerts du Festival. 
Au cœur du Pays des 1000 étangs, aux pieds des Vosges saônoises, Fabrice Creux convoquait Les leçons de Ténèbres de Couperin, données … à 5h du matin. Ce concert des origines était déjà suivi par un noyau de mordus, preuve explicite d’une curiosité déclarée qui s’est mue depuis, en ce lien indéfectible entre le public et l’équipe du festival. A Musique et Mémoire, vous trouverez une ambiance chaleureuse et amicale où à la fin de chaque concert, les spectateurs rencontrent et discutent avec les artistes, encore portés par les œuvres inédites qui y ont été données. Découvertes musicales et rencontres humaines : que demander de plus à un festival de musique qui a d’autant plus de mérite, qu’il est enraciné dans une région rurale, à la rudesse rustique où l’on ne s’attend pas à pareille offre artistique !
En juillet 2008, le Festival Musique et Mémoire fêtera ses 15 ans. Une édition anniversaire qui tout en dressant un premier bilan sur son « histoire » et les chemins parcourus, ouvrira encore de nouvelles perspectives de travail et de découvertes pour artistes et publics. Le rendez-vous déjà pris.
Faucogney. Chapelle Saint-Martin, le dimanche 22 juillet 2007. Philippe Schoeller (né en 1957): Hypnos linea. Suite d’airs pour flûtes ou voix de femme, pour flûtes et voix de femme (création mondiale / commande du festival). Laudes et estampies de l’Italie médiévale. Alla Francesca: Brigitte Lesne (chant, harpe, percussions…), Pierre Hamon (flûtes, tambourin…).
Crédits photographiques
© David Tonnelier pour classiquenews.com
(1) Brigitte Lesne et Pierre Hamon © David Tonnelier 2007
Vitrail de la Chapelle Saint-Martin à Faucogney © David Tonnelier 2007
(2) Brigitte Lesne © David Tonnelier 2007
(3) Philippe Schoeller © David Tonnelier 2007
(4) Fabrice Creux © David Tonnelier 2007
