samedi 26 avril 2025

Fabrice Creux, directeur artistique du Festival Musique et Mémoire. Entretien

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Qu’est pour vous une programmation réussie ?


Une programmation doit être un cheminement : pas une offre encyclopédique… concevoir un parcours qui rentre en connivence avec les lieux d’accueil ; création contemporaine ; artistes associés et en résidence… Il y a forcément un part de subjectivité. Je veux transmettre et faire partager l’esprit d’un « festival laboratoire ».

Qu’avez-vous appris de nouveau depuis que vous êtes directeur de ce festival ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la musique baroque m’a mené vers les écritures contemporaines. C’est cet aspect d’ouverture et de dialogue, de confrontations féconde et de mises en perspective qui est fondamental dans le travail que nous développons. Elargir la programmation vers les autres répertoires s’est imposé naturellement. On ne peut pas défendre un style sans mise en perspective. La révolution baroqueuse n’est pas un hasard. Mais il faut interroger justement les raisons de cette fascination. Il faut transférer la faculté des compositeurs anciens à innover, repenser la musique et le langage musical à notre époque. Les plus grands musiciens baroques sont des inventeurs et des visionnaires. Il serait plus juste de parler d’ailleurs de Baroque au pluriel. Comprendre et aimer le Baroque signifie puiser dans un creuset d’invention et de créativité. C’est pourquoi je suis très sensible aux principes de métissages, d’expérimentation, de renouvellement constant des formes…Ce désir de musique qui se réalise dans l’inventivité est très proche du travail des auteurs contemporains pour lesquels la notion de sonorités, de couleurs et de son, est primordiale.

En définitive, poser la question de la modernité du Baroque, nous invite à nous poser la question de notre propre modernité. Ainsi à ma demande, pour l’édition 2005, François Rossé a composé une suite pour viole de gambe solo, créée par Sylvie Moquet ; Jacopo Baboni Schilingi a conçu une pièce pour soprano, haute-contre et musique électronique.

Comment préparez-vous les publics du festival à comprendre votre travail, à les sensibiliser et à les fidéliser aux programmes ?

Il s’agit d’une préparation dont les fruits se révèlent sur la durée. C’est un travail de longue haleine dont le succès tient à l’assiduité et la constance des actions mises en œuvre. La musique fait partie intégrante des Arts de la scène. Choisir le lieu d’un concert, c’est déjà agir vers le public. Nous accordons aussi beaucoup de soin à l’éclairage. Benoît Colardelle réussit à mettre en valeur l’architecture d’un lieu, le décor des églises. Il apporte aussi beaucoup d’attention à l’éclairage des chanteurs : lumière diffuse sans ombres projetées grâce à un dispositif qu’il a conçu lui-même spécialement pour les musiciens. Tout cela, scénographie et lumière, souligne combien l’expérience de la musique vivante est une confrontation qui n’est pas neutre. Le public nous suit indéfectiblement. Nous sommes à présent très bien identifiés. Formé à l’identité sonore de la musique ancienne, il accepte d’explorer avec nous d’autres « terres » musicales (contemporaines, métissées,…).

Comment se compose votre audience ?

Au début notre public était surtout constitué de festivaliers extérieurs à la région. Aujourd’hui, la part des publics locaux a beaucoup progressé. Par ailleurs, les communes demandent que leur église intègre notre parcours musical. C’est donc pour nous un véritable succès en termes d’implantation et de reconnaissance locale.

                   
Quel soutien comptez-vous auprès des élus ? 

Le festival est né dans un contexte de développement local spécifique. Celui où les politiques intercommunales se mettaient en place. Le festival était l’incarnation de cette volonté. Il y eut à partir de notre berceau, Faucogney, une action rayonnante qui s’étend à présent à l’échelle du Pays des Mille Etangs et même au-delà avec l’intégration de sites prestigieux, telle que la Chapelle de Le Corbusier à Ronchamp.

Pourquoi être attaché au principe de la résidence d’artistes, inaugurée depuis 2004 ?

Le risque de la scène baroque actuelle est la sclérose, comme toutes les autres musiques d’ailleurs. Trop de productions téléphonées circulent. Si la technique est superbe, l’ennui, la répétition, le prévisible, le musicalement correct favorisent un risque de standardisation des programmes, du son et de l’interprétation. Depuis le début, je réunis des artistes dans des œuvres et des programmes inédits. Par exemple, Jérôme Correas a pu présenter au terme de sa résidence en 2005, un ensemble de partitions de Domenicho Mazzocchi jamais entendues depuis leur création. Il reprendra ensuite ce programme ailleurs, après l’avoir enregistré.

La résidence permet ainsi d’accompagner des ensembles pour expérimenter et renouveler l’approche des œuvres et des répertoires. J’aime aussi cette formule car elle est propice à la notion de troupe, si importante pour la musique baroque : l’identité sonore est une valeur de moins en moins sûre. Certes on peut concéder à la musique son statut de produit culturel mais alors il convient surtout de favoriser la magie et la surprise de la performance.

Voyons plus loin… Quel visage aura demain la poursuite de votre activité ?

Nous inaugurons en 2006 un nouveau projet. Celui des artistes associés. La Rêveuse est l’ensemble avec lequel nous serons associés pendant au moins deux ans. Il s’agit de permettre en dehors de la période festivalière d’autre type de rencontre avec le public différente, en dehors des cadres classiques du concert habituel. Je pense à des concerts en appartement ou au bistrot. La Rêveuse est une petite formation baroque dirigée par le théorbiste Benjamin Perrot. L’ensemble travaille dans cet esprit de troupe dont j’ai parlé. C’est une formation de solistes. Chacun a la même place, un peu comme dans un quatuor. En 2006, nous avons choisi d’aborder la musique anglaise en s’appuyant sur les textes du voyageur anglais Samuel Pepys, qui couvre la première décennie de la Restauration. Ce programme fait aussi appel à un récitant qui lira écrits et notes du voyageur : ils viendront dès février/mars jouer en milieu scolaire, en appartement. Pour réussir et développer ce projet, nous nous appuierons sur les ressources de l’association Musique et Mémoire dont les 300 adhérents, fidèles du festival, seront les ambassadeurs de notre projet.
Pour le futur, notre taille actuelle est quasi idéale. Ce que je souhaiterais davantage, c’est pérenniser notre offre tout au long de l’année. Le compagnonnage avec La Rêveuse sera une première étape pour y parvenir.


Votre réflexion en guise de bilan au moment où s’achève la XIIe  édition du festival, puisque nous nous rencontrons pendant le dernier week-end ?

Pour moi, une question demeure : quel respect avons-nous du public ? Comment le lui témoigner ? Par quelles actions précises ? Comment éviter le formatage?

Dans le rapport au public, il faut par ailleurs regretter l’extrême sanctification du phénomène musical qui a imposé une distance et donc souvent empêcher d’atteindre simplement le cœur de l’œuvre. Pour moi, il est primordial de préserver la musique comme un art vivant. En un mot, être en mouvement !


Propos recueillis par Alexandre Pham, en juillet 2005

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