Subtilité, étrangeté… et même « aériennité », l’écriture révolutionnaire de Pelléas et Mélisande en fait une oeuvre atypique, un joyau inclassable dont les facettes, multiples, – au demeurant remarquablement explicitées dans ce nouveau numéro d’Avant Scène Opéra-, désigne une partition climatique et liquide, d’une totale modernité… Est ce parce qu’elle interroge la forme lyrique elle-même, les limites ultimes du chant et de l’orchestre, les possibilités même du théâtre, que l’oeuvre de Debussy nous touche autant et davantage encore qu’au moment de sa création le 30 avril 1902? Voici l’une des éditions les plus réussies donc les plus passionnantes dédiées à l’opéra de Claude, légitimement fêté en 2012, pour le 150è anniversaire de sa naissance en 1862.
Reflets de Pelléas
Comme pour chaque publication, le lecteur prend bénéfice en parcourant le sommaire du dossier spécial: argument détaillé identifiant les moments forts du drame; guide d’écoute analysant d’abord, tous les éléments d’un ensemble parfaitement cohérent (le livret en prose, la prosodie, les voix, l’orchestre, les motifs, le langage musical, le symbolisme à l’oeuvre); puis, l’action, tableau par tableau avec un regard analytique sur chaque enjeu dramatique et sa correspondance musicale et vocale…
Les nombreux articles complémentaires éclairent la genèse d’une oeuvre de rupture, visionnaire et résolument originale: la composition de Pelléas; extraits de la correspondance témoignant chez Debussy, de « l’expérience Pelléas »; témoignage d’André Messager (qui dirige la création de l’opéra) sur les premières représentations de Pelléas en 1902…
« De Maeterlinck à Debussy »: quelles sont ces analogies créatrices qui assurent la réussite du traitement musical du livret? Debussy, passionné par le théâtre, ne laisse qu’une seule oeuvre totalement aboutie: les autres tentatives laissées inachevées accréditent-elles l’idée d’un théâtre idéal finalement irréalisable? « L’eau et l’air »: Pelléas serait-il un opéra des éléments? Une symphonie miroitante et climatique qui la rapproche des études impressionnistes et de Monet en particulier?
Ce que nous avons aimé:
– la vision du chef. En 1969, Pierre Boulez dirige Pelléas (Londres, Covent Garden). Il écrit alors un texte critique et analytique sur l’oeuvre magicienne (soulignant entre autres, la part d’étrangeté poétique entre symbolisme et réalisme) dont l’intégralité est publiée dans le dossier: « des personnages atemporels mais pas mythiques », « entre réalisme et onirisme », « les vrais contours des personnages », « information et réflexion », « l’influence de Wagner », « arrêtons d’asphyxier Pelléas », « un théâtre de la peur et de la cruauté », « fluctuations et contrastes »…
– la vision de l’interprète: immense Pelléas et aujourd’hui devenu brillant Golaud, douloureux et mystérieux (un Amfortas français?), François Le Roux évoque son travail interprétatif sur la langue, la prosodie, le chant dans Pelléas. Même quête d’un verbe libéré et signifiant pour l’actuel Pelléas français, Stéphane Degout dont on sait la passion de l’intelligibilité du chant.
En complément aux analyses et regards critiques, discographie (de Désormières en 1941, Ansermet et Fournet, – « réhabilités »-, à Karajan en 1954 mais aussi Boulez, Maazel, Kubelik, Abbado, et le plus récent, Haitink (2000)…; vidéographie (de Baudo, Gardiner, à Boulez, Davis, Haitink et Pelly…
En fin de publication: les critiques , livres, cd et dvd opéra.
Debussy: Pelléas et Mélisande. Avant Scène Opéra n°266. Nouvelle édition, janvier 2011. 154 pages. ISBN: 978 2 84385 285 5. 25 euros.
