samedi 26 avril 2025

Compte rendu, concert. Lille, Nouveau Siècle, le 1er décembre 2016. Probst, Berlioz, Prokofiev… Orch national de Lille. Jean-Claude Casadesus, direction.

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Compte rendu, concert. Lille, le 1er décembre 2016. Jean-Claude Casadesus, ONL. Volet 1 « L’Amour et la Danse »… En préambule et comme pour chauffer progressivement l’orchestre, c’est d’abord une partition contemporaine, exigeant de tous les pupitres – en particulier dès les premiers tutti du début (fracassants et lumineux, ce sont de vrais carillons orchestraux résonnant comme des appels à l’éveil): « Nuées » de Dominique Probst (né en 1954), -partition efficace dans sa durée, contrastée dans son déroulement, – créée en octobre 2014, alliant énergie, mais aussi allusions intérieures savamment dosées (solos successifs de la flûte, du hautbois puis du violoncelle…), soit une série de visions, de plus en plus affirmées, inspirées manifestement par le lyrisme d’une nature grandiose, à mesure que la partition prend de la hauteur, jusqu’aux Nuées annoncées… Dans son développement premier, l’œuvre dévoile de somptueuses alliances instrumentales – qui traduisent une sensibilité concrète pour une forme de plasticité sonore (clarinettes / flûtes).

Sous la direction de Jean-Claude Casadesus (en réalité le frère du compositeur), les instrumentistes occupent le bon espace, accordant largeur de vue et sonorité épanouie, concentrés jusqu’au terme de l’opus, dans un périple au dramatisme croissant, d’un vaste souffle progressif. Les musiciens prennent possession du formidable espace de l’Auditorium du Nouveau Siècle, – affirmant une volonté collective indiscutable, ne serait-ce que par cette sonorité d’emblée affirmée, vive, nerveuse… électrique ; incontestablement la salle lilloise est l’écrin idéal, adapté aux concerts éclectiques et généreux de l’Orchestre national de Lille.
Tout au long du concert, le chef maître des lieux veille à l’équilibre sonore, attentif à l’éloquence directe de chaque pupitre, au relief de chacun des instruments solos, mis en avant par l’écriture musicale. Jusqu’au final, conçu comme la reprise flamboyante des carillons du début, la matière sonore se déploie dans une texture de plus en plus généreuse, d’une clarté qui frappe par le sens d’une exaltation revendiquée. L’ivresse des hauteurs et la conquête des altitudes ont porté chef et instrumentistes. L’élan irrépressible exprimé par cette mise en orbite de l’’orchestre vers des nuées vertigineuses, traduit dans la thématique du concert (« L’amour et la danse »), le volet spirituel de la soirée.

 

 

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A Lille, Jean-Claude Casadesus, ardent, engagé, inaugure son nouveau cycle symphonique

PROBST, BERLIOZ, PROKOFIEV
3 facettes de l’amour inconditionnel…

 

 

 

Au jeune Berlioz qui suit, -une autre ivresse, vénéneuse celle-ci et fatale, c’est à dire hautement tragique-, : le mérite d’évoquer alors, en fin de première partie, l’amour passionnel, radical, sombre de la reine Cléopâtre. Dans la cantate « La mort de Cléopâtre », on reconnaît immédiatement l’orchestration filigranée, sertie de mille nuances incandescentes imaginées par le jeune compositeur romantique, alors candidat pour le Prix de Rome : essayiste malheureux quoique récidiviste dont le langage violent, harmoniquement audacieux, d’une âpreté suspecte, a finit par terrifier le jury de l’époque (dont Boïeldieu comme le rappelle la notice du programme). Jean-Claude Casadesus affirme un climat nerveux, tendu, électrique, totalement suspendu à la respiration de la chanteuse dont à défaut de vraiment comprendre la totalité du texte, on se délecte de la beauté onctueuse du timbre, comme celle d’une soie réellement royale. La sensibilité du chef capte et saisit chaque frémissement, indice de la lente destruction de l’Egyptienne, veuve de César et qui s’abîme progressivement dans l’ombre la plus glaçante.

Précis, d’un geste sûr, économe, Jean-Claude Casadesus connaît la langue berliozienne comme il respire ; distillant le fluide tragique et maudit auprès d’un orchestre pointilliste, acéré comme le croc de l’aspic qui va bientôt mordre la chair royale, – soit un collectif concentré, affûté, lui répondant au doigt et à l’oeil.

 

 

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Tout au long du récitatif accompagné, préludant à l’air qui va suivre, l’auditeur mesure l’activité prodigieuse de l’orchestre imaginée par Berlioz, attentif aux déchirements qui bouillonnent dans l’âme de l’héroïne ; c’est une voilure scintillante, véritable chant des secousses qui éteignent le cœur de la femme détruite. Puis basculant peu à peu dans une dépression mortifère, l’orchestre éclaire une superbe scène d’introspection, où la soliste doit insuffler une lente transe libre et tragique jusqu’à son dernier souffle. Carnassier et félin, le jeune Berlioz conçoit le groupe instrumental comme un cercle de timbres prédateurs, déjà assoiffée du sang de leur victime : cette cantate revêt alors la couleur globale qui a tant frappé les premiers auditeurs (de surcroît rien qu’au piano puisque les membres du jury n’avaient pas comme nous, la palette de tout l’orchestre pour mesurer le génie des jeunes candidats présents pour le Prix de Rome). Sa couleur est du lugubre le plus saisissant, éloquent dans la marche sombre et grave qui dessine en définitive le tombeau minéral de la souveraine : invoquant les souverains d’Egypte qui l’ont précédée, Cléopâtre s’enfonce dans l’antre froide du sépulcre, puis, après la morsure de reptile, sur l’ultime mot déclamé retrouve dans la mort l’apaisement final et le seul amour qui ait jamais valu dans sa carrière : César. La scène qui ressuscite le sublime de Gluck, grandiose et digne comme un bas relief sculpté, réactive le nerf sanglant de l’histoire antique. Chef et instrumentistes savent en exprimer la noblesse altière, une tension hallucinée où pas une mesure n’est de trop, jusqu’aux dernières convulsions de la proie, passant de vie à trépas. La qualité du silence qui succède à la dernière note, indique combien l’audience a été saisie, captivée par l’articulation musicale d’une scène dont la structure suit étroitement les sections du texte. C’était une mise à mort, impériale et presque hautaine, magnifiquement assumée par la dignité et la posture naturelle de la mezzo-soprano Hermine Haselböck, au port de reine impeccable.

 

 

casadesus-jean-claude-orchestre-national-de-lille-hugo-classiquenews-582Même agonie plus proche de nous, et dans un langage néoclassique mais viscéral et organiquement quasi primitif pour ce qui suit (après la pause): de la Suite complète du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, Jean-Claude Casadesus cisèle une lecture d’une violence inexorable inouïe, sachant exprimer l’innocence et la candeur des jeunes amants de Vérone, comme le démonisme de la machine orchestrale destinée à les broyer. Quand ici meurt Juliette, c’est toute l’humanité qui meurt, explosion spectaculaire d’un cynisme dont le chef traduit exactement la menace, les climats angoissés, la terrifiante machine meurtrière et la barbarie glaçante qui l’inspire, comme, trop fugace, l’infini de la pureté de leur amour partagé. Précis là encore, et toujours prêt à s’abandonner dans l’effusion libérée d’un instrument soliste (en particulier, clarinette et saxophones…), dont il aime nous transmettre l’onctuosité poétique, le chef convainc par la fermeté de sa direction, la maîtrise de la tension, l’éclat sidérant des contrastes, entre tutti d’une ironie glaçante, et épisodes d’une insouciance recouvrée. La pureté d’un amour juvénile sans calcul, ardent, lumineux ; et face à lui, les machinations des familles et la perversité d’un destin aux quiproquos fatidiques.

Sculptant la pâte orchestrale comme une lave éruptive, d’une intensité magistrale, capable de ciselure instrumentale comme d’électricité collective, le maestro montre combien il est capable de sidération symphonique. Les tutti exhalent l’âpreté du destin tragique, comme l’impuissante candeur des jeunes victimes, Roméo et Juliette. L’intelligence de la vision, sa force comme sa tendresse édifient une fresque déchirante qui inscrit ce cycle d’extraits au delà de leur format chorégraphique; dans l’inexorable tension dramatique d’un opéra haletant : souvent la radicalité du geste, sa justesse expressive, sa forte caractérisation et son jeu double, ambivalent, – ironique, cynique, glaçant, mordant, ont dévoilé tout ce qui finalement rapproche le Prokofiev des années 1930, -celui revenu sur sa terre natale-, d’un Chostakovitch, maître des climats troubles, entre angoisse et fausse élégie. La fabuleuse machinerie orchestrale aux déchaînements sanglants détruit parfaitement les deux colombes, et à l’issue de l’action violente, la flûte piccolo dans les dernières mesures affirme in extremis, un frêle rayon de vie possible après l’abomination, – une note d’espérance après un déferlement maîtrisé de convulsion barbare.

Pour ce premier volet symphonique, thématisé avec cohérence (volet « L’Amour et la Danse »), le chef réussit un nouvel accomplissement impressionnant par sa fougue et sa recherche de vérité.
Non, pour le fondateur de l’Orchestre national de Lille, la retraite n’a pas sonné. Bien au contraire. Les volets à venir de ce cycle dédié à L’Amour, la danse promettent de prochaines réalisations complémentaires, incontournables. A suivre.

 

Illustrations : © U. Ponte / ONL Lille 2016

 

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PROCHAIN CONCERTS
Prochains concerts de Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille : Volet 2 du cycle L’Amour et la Danse, « Poème de l’extase », les 19, 20, 21, 24, 25 janvier 2017 : Triple Concerto pour violon, violoncelle et piano de Beethoven (piano : François-Frédéric Guy /
violon : Tedi Papavrami / violoncelle : Xavier Phillips), Danse de Salomé (Richard Strauss), Poème de l’extase (Scriabine). RESERVEZ VOTRE PLACE

 

 

CD
Jean-Claude Casadesus a récemment publié une excellente (et bouleversante lecture de la Symphonie n°2 Résurrection de Gustav Mahler, avec la mezzo soprano Hermine Haselböck… 2 cd CLIC de CLASSIQUENEWS de décembre 2016 (titre sélectionné dans notre dossier spécial cd de NOËL 2016) : Extrait de notre critique :

mahler casasesus jean claude orchestre national lille cd review cd critique classiquenews cd EVCD027-Cover-ONL-1024x1024D’une caresse maternelle, l’Urlicht trop fugace s’accomplit grâce au timbre chaud et enveloppant de la mezzo Hermine Haselböck. L’accord en tendresse et désir de conciliation se réalise aussi dans la tenue des instruments d’une douceur engageante. Vrai défi conclusif pour l’orchestre, le dernier mouvement, le plus long (Finale / Im tempo des scherzos / Wild herausfahrend), plus de 35 mn ici, réalise ce volet de résolution et d’apaisement qui rassure et rassérène idéalement : Jean-Claude Casadesus maîtrise cet exercice de haute voltige où la sublime fanfare, d’un souffle cosmique et céleste, répond à l’activité des cordes et à l’harmonie des bois. Comme le dit le maestro lui-même, il s’agit bien d’une page parmi les plus belles écrites amoureusement par Malher : appel souverain, olympien du cor, réponse de la trompette, caresse enivrante là encore des cordes en état de… lévitation. L’orchestre ouvre des paysages aux proportions inédites, aux couleurs visionnaires, absolues, abstraites. La direction récapitule et résout les tensions avec une hauteur de vue magistrale. EN LIRE +

 

 

Compte rendu, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 1er décembre 2016. Cycle L’Amour et la Danse I : Roméo et Juliette. Orch Nat de Lille. Jean-Claude Casadeus, direction.
PROBST (Nuées), BERLIOZ (Cantate La mort de Cléopâtre), PROKOFIEV (Suite du Ballet Roméo et Juliette, extraits).

 

 

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