Tout cela compose autant de volets riches d’une riche programmation qui a mis depuis sa première édition, l’excellence artistique et un pur et authentique esprit de convivialité humaine et musicale au coeur de son développement. Ce n’est pas un hasard si les musiciens aiment ici revenir et jouer la carte de la passion, de la transmission, de l’échange: l’équipe compte deux musiciens, Pierre Hommage et Isabelle Salles, tous deux violonistes qui veillent très attentivement à la chaleur des échanges, la proximité des artistes et des publics, l’enchaînement des concerts, jusqu’au rythme même d’une succession d’autant plus intense qu’elle défend sa pluridisciplinarité et qui se déroule avec générosité, du 29 juin… au 16 octobre 2011: essor chronologique unique dans le sud de la France, à l’heure où les festivals se concentrent sur une ou deux villes, et resserrent leur programmation à quelques dates.
Sur plusieurs mois et pendant tout l’été (sauf cet année pour le mois d’août), les Floraisons rayonnent sur plusieurs départements et ce depuis ses débuts (Vaucluse, Bouche du Rhône…). C’est un voyage musical qui chaque année déroule sa partition en plusieurs étapes, mêlant les formes (musique de chambre, concerts symphoniques, récitals lyriques…) et les disciplines en dialogue … Ainsi ce concert d’ouverture, donné en création à Châteauneuf-du-Pape (cellier épiscopal) et qui mêle astucieusement littérature, peinture et naturellement musique.
Création aux Floraisons
Sur la proposition du comédien Alain Carré, complice familier pour ce type de spectacle associant lecture et musique, du pianiste François-René Duchable, les Floraisons 2011 présentent la première d’une performance où d’après le texte (intégralement lu) de Metin Arditi, le peintre Vincent Van Gogh se raconte: exprimant sous la forme de lettres à destination de son frère Théo, un chant souvent radical et très intime, où le verbe se fait exhortation, et même incantation lyrique souvent désespérée. On sait qu’en Arles, où il séjourna avec Gauguin, Van Gogh compose ses toiles les plus incandescentes, orchestrant les motifs saisis sur le motif dans une palette électrique et tendre à la fois, véritable hymne poétique à la couleur pure. Les difficiles et si dévorantes relations du peintre à son père, les visions d’une hypersensible souvent proche de la folie, sa tentation de la mort… forment autant de figures orales d’une danse sur le volcan.
Musicalement, le spectacle resserre encore sa tension progressive grâce à un choix de partition de première qualité. Pour en extraire tout le feu solitaire et cette activité intérieure, à la fois profonde et fragile, les instrumentistes du Quatuor Ludwig (25 ans d’activité en 2011) approfondissent encore et encore une somptueuse entente sonore jusqu’aux tréfonds des abîmes de la désespérance; c’est une descente aux enfers, où les points de suspension, trop fugaces attentes avant le plongeon final, se nomment D’Indy et surtout Lekeu. Du premier, les interprètes jouent avec une finesse ardente le premier mouvement du 2è Quatuor; du second, c’est un chant du cygne, ce fameux mouvement qui cite l’Evangile de Saint-Matthieu et dont le jeune compositeur décédé trop tôt, écrit ce chef d’oeuvre dramatique, expressionniste et si fervent, dont il souhaitait faire l’amorce d’un cycle religieux, à l’image des Sept Paroles du Christ en Croix de Haydn. Les Ludwig savent en particulier exprimer tout ce que ce romantisme crépusculaire de D’Indy a en partage avec Chausson… C’est d’ailleurs D’Indy qui achève le Quatuor laissé inachevé (dernier mouvement) de son ami et confrère, lui aussi fauché trop tôt. Dans le sud, comme ébloui par les paysages de Provence, Van Gogh élabore de nouveaux fonds colorés dont la luminosité interne s’associe à une touche plus souple et ondulante… cette activité souterraine continue se lit aussi dans l’interprétation des musiciens: De Ravel à Janacek, de D’Indy à Lekeu s’écoule un même flot bouillonnant, le sang d’une vie battue et contrainte mais si passionnément exaltée.
Ici la crise psychique se fait transe créative et le riche dialogue des arts entre musique, littérature, peinture compose une traversée sans pause ni faux semblants. On est saisi par le geste flamboyant et intérieur des musiciens, en particulier chez les compositeurs français. Même si l’on imagine une expression différente, plus secrète, moins tendue voire agressive pour Van Gogh, l’engagement du comédien ôte toute interrogation dès le début de la lecture: il s’empare corps et âme du texte pour ne plus en lâcher la fièvre tragique et constellée, jusqu’à la mort du peintre. Fort heureusement, les amateurs pourront revivre cette expérience ou la découvrir grâce à la reprise du spectacle, le 27 juillet à 21h30 (Moustiers Sainte Marie, 04). D’autres dates devraient suivre pour une tournée en 2012.
Châteauneuf-du-Pape (84). Cellier pontifical, le 29 juin 2011. Vincent Van Gogh: Dernière lettre à Théo. Concert d’ouverture, création. Alain Carré, récitant. Quatuor Ludwig. Texte intégral de Metin Arditi. Musiques de Ravel, Puccini, D’Indy, Janacek, Guillaume Lekeu…