Brahms lumineux, transparent, sublime…
Le poison d’amour qui étreint le fugitif traversant le bois se distille avec une sauvagerie tout aussi mesurée, contrôlée et millimétrée dans la Rhapsodie opus 53: les couleurs, le climat, l’onde tragique et noire s’accomplissent grâce à un orchestre dominant son sujet, d’une sincérité et d’une justesse hagogique irrésistible; au venin tristanesque, Brahms répond par cette Rhapsodie qui semble recueillir et transmuter toute la peine du monde; Ann Hallenberg, au point crucial du poème de Goethe, quand le narrateur prend parti pour le salut de l’assoiffé du désert, « Ach, wer heilet die Schmerzen… Ah! qui apaisera les souffrances… la musique de houle amère et empoisonnée, laisse enfin s’écouler une prière pour l’amour humain: le timbre est somptueux, l’articulation du verbe soliste, intense et sans affectation, malgré quelques aigus tirés… mais quel superbe tissu linguistique, accordé à l’activité des instrumentistes. Le baume qui se répand dans le dernier épisode, amour pacificateur, laisse enfin s’écarter les nuages pour une clarté de plus en plus présente. Magistrale réalisation du chef et des ses troupes.
Le Begräbnisgesang opus 13 met en lumière en 1858, l’oeuvre première de Brahms, alors chef de choeur à la Cour de Detmold, premier essai magistral dans sa solennité progressive. Là encore le verbe articulé, les sons filigranés composent une fresque à la fois dense et légère, toujours illuminée qui de l’intérieur nous éblouit par sa sincérité.
Avec une acuité de sclapel, qui fouette et transperce le coeur et l’esprit, l’activité ténébriste et tragique du Chant des Parques, dernière oeuvre pour choeur et orchestre de Brahms (1882) s’impose là encore: l’articulation du texte (pas moins que le destin tragique d’Iphigéne en Tauride revu par Goethe, et derrière lui, l’arbitraire cynique et barbare des dieux contre les hommes) est magistrale, idéalement coulée dans le tissu orchestral aux déchaînements puissants mais jamais lourds… L’intensité expressive de l’orchestre éclaire l’architecture vertigineuse de cette montagne brahmsienne, à la fois bouleversante et éperdue, et aussi fracassante et vertigineuse; sans jamais se diluer ni épaissir l’impact des effectifs, Philippe Herreweghe rétablit de justes proportions à un monstre choral et orchestral, privilégiant toujours et avec quelle finesse, et l’intelligibilité du texte, et les couleurs d’une orchestration si subtile. Bouleversant. La collaboration du Collegium Vocale Gent (40 ans en 2010), des musiciens de l’Orchestre des Champs Elysées (20 ans en 2011) ne pouvait produire plus bel accomplissement. Coup de coeur de la rédaction cd de classiquenews.com.
Brahms: Lieder avec orchestre. Chant Du Destin Op.54. Rhapsodie Pour Alto Op.53 Motet Op.74/1. Ch. Funebre Op.1. Ann Hallenberg, alto. Collegium Vocale Gent & Accademie Chigiana Siena. Orchestre des Champs-Élysées. Philippe Herreweghe, direction. 56 mn. 1 cd Phi