Une sagesse qui se voit couronnée de succès, avec, au rideau final, un véritable triomphe pour le chanteur. Car, pour une prise de rôle, c’est véritable un coup de maître.
Prise de rôle marquante pour Ludovic Tézier
Annoncé malade avant le début de la représentation, sa prestation est d’autant plus à saluer bien bas. On craignait la voix plus lyrique que dramatique de Ludovic Tézier trop légère pour ce rôle, force est de constater que, dans le cadre de ce théâtre à taille humaine, elle convient parfaitement. Richement timbré sur toute la tessiture, d’un beau velours sombre, l’instrument se plie à toutes les volontés de son interprète. Fidèle à lui-même, il cisèle le texte ainsi qu’il le fait en français, s’en sert pour projeter sa voix, trouvant un naturel vocal qu’ont aujourd’hui peu de titulaires du rôle, trop souvent adeptes du grossissement et de l’artifice, procédés que le baryton bannit totalement de sa construction vocale. Plus encore, c’est dans le legato et le jeu des nuances que son art s’épanouit pleinement, la filiation belcantiste du rôle apparaissant ainsi dans toute sa force. On s’incline également devant son jeu scénique, digne et sobre, sans cabotinage aucun, tout en retenue, celui d’un grand artiste. Jusqu’au bout, le chanteur assure son rôle sans faiblir, et c’est un Ludovic Tézier épuisé, fiévreux, mais heureux, qu’on retrouve une fois le drame achevé, accueillant avec un réel soulagement et un vrai plaisir les ovations du public.
Sa Gilda n’est autre que sa femme, la soprano française Cassandre Berthon. Elle aussi annoncée souffrante, elle n’atteint malheureusement pas les mêmes sommets que son époux. La voix semble affaiblie, manque de puissance et d’impact, et les aigus sonnent difficiles. Mais, si l’instrument apparaît petit, la ligne de chant finit par se déployer au second acte, et sa mort la révèle touchante dans sa fragilité.
En Duc jouisseur et politiquement engagé dans des promesses fantômes, Florian Laconi manque de souplesse, vocale aussi bien que physique, bien qu’il emplisse aisément la salle. Ses aigus sonnent souvent forcés et lourdement attaqués par en-dessous, alors que le soutien apparaît dur et brutal. Toujours un très bel instrument, mais qui pourrait, avec une autre technique et un autre placement de la voix, se révéler bien plus beau et rayonnant.
Incarnant à la fois Monterone et Sparafucile, Frédéric Caton se montre solide et efficace, tueur à gages moins inquiétant qu’à l’ordinaire.
Remarquons particulièrement la belle voix de mezzo, très bien conduite, de la française Anaïk Morel, dans le triple emploi de la comtesse Ceprano, Giovanna et Maddalena. Développant un moelleux appréciable, évitant tout poitrinage excessif, donnant vie à ses personnages sans vulgarité aucune, elle se révèle un nom à suivre de près.
Les excellents seconds rôles et le chœur Contre Zut, percutant et d’une superbe homogénéité, complètent cette distribution, chose rare, entièrement française.
La mise en scène de Brontis Jodorowsky, devant composer avec des moyens réduits, se limite à l’essentiel, quelques tables, des chaises, une croix envahie par le lierre, des barreaux, un banc, des rideaux. Finalement, c’est la scène finale, sur une scène vide, qui émeut le plus. Seule la neige, rajoutant une touche trop naïve à la dimension pathétique de l’instant, aurait pu être évitée.
Soutenant toute cette équipe, Jean-Françoise Verdier accomplit un travail convaincant à la tête de l’Orchestre de Besançon-Montbéliard France-Comté, avec des cordes soyeuses, des cuivres et des bois précis et sonores. Ce chef sait galvaniser ses musiciens et soutenir les chanteurs, utilisant les uns pour magnifier les autres.
Un public en liesse a salué la naissance de ce nouveau Rigoletto, sans doute l’un des plus beaux de ces dernières années. Un défi relevé avec brio et remporté avec les honneurs par Ludovic Tézier.
Besançon. Théâtre Musical, le 3 avril 2011. Giuseppe Verdi : Rigoletto. Livret de Francesca Maria Piave. Avec Rigoletto : Ludovic Tézier ; Gilda : Cassandre Berthon ; Il Duca di Mantova : Florian Laconi ; Monterone, Sparafucile : Frédéric Caton ; Contessa Ceprano, Giovanna, Maddalena : Anaïk Morel ; Marullo : Jean-Philippe Catusse ; Borsa : François Rougier. Chœur Contre Z’Ut. Orchestre de Besançon-Montbéliard Franche-Comté. Jean-François Verdier, direction musicale ; Mise en scène et scénographie : Brontis Jodorowsky. Collaboration artistique : Nina Savary ; Lumières : Rémi Nicolas ; Costumes : Elisabeth de Sauverzac ; Maquillage et coiffures : Michelle Bernet ; Chorégraphie : Cécile Danjou ; Chef de chant : Benjamin Faure