lundi 5 mai 2025

Vinci: Artaserse, 1730. Franco Fagioli, Diego FasolisNancy, Opéra: 2-10 novembre. Paris, TCE, les 11 et 13 décembre 2012

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Vinci: Artaserse, 1730


(version de concert)


2-10 novembre 2012

A l’affiche de l’Opéra de Nancy (2-10 novembre) puis du TCE à Paris (les 11 et 13 décembre 2012),
le plus célèbre des opéras italiens, Artaserse ressuscite grâce à
l’engouement que lui réserve aujourd’hui le contre ténor Philippe
Jaroussky.
Ce n’est pourtant pas le chanteur français qui embrase la scène mais
bien deux contre ténors de la nouvelle génération dont surtout Franco
Fagioli
, ici formidable interprète d’Arbace.
Mordant et parfois âpre, c’est bien le chant des castrats, divinos divos
qui semble renaître ici, porté par la baguette superlative de Diego
Fasolis.

Chant naturel, beau, expressif: Vinci est, selon Charles de Brosses,
témoin d’époque particulièrement favorable à l’art italien lyrique, le  »
lulli italien « , voire  » le vrai dieu de la musique « . Rien de moins.
Créé à Rome en février 1730, Artaserse, contemporain des premiers grands
succès de Rameau et de Haendel, s’impose évidemment par l’urgence
électrique de sa vocalità, par l’embrasement dramatique de son action (l’acte III est de cepoint de vue le plus convaincant).
C’est un sommet lyrique d’après un livret de Métastase (qui fut l’ami) de Vinci)
et le dernier opus du compositeur, rival de Porpora, séducteur assez
scandaleux qui s’éteint prématurément 3 mois après la création
d’Artaserse (à seulement 34 ans).


L’Arbace de Franco Fagioli

Leonardo Vinci comme son homonyme en peinture, incarne un âge d’or esthétique: la
vocalità napolitaine spécifique qui allait s’imposer, portée par une
mécanique musicale virtuosissime de la même eau, dans toutes les cours
d’Europe, faisant péricliter les écoles romaines et vénitiennes, se
concentre ici non sans génie: que des voix masculines (1 ténor, 5 contre
ténors pour l’essentiel); avec avant l’apparition du héros perse
Artaserse, un Arbace ardent et fulgurant (chanté par le légendaire Carestini), d’une
coupe syncopée, haletante, superbement ciselée par la tenue superlative
du contre ténor Franco Fagioli (plage 7 cd 1:

Dévoré
de mille tourments…): sens du verbe, ligne polie, intensité claire,
absence totale d’affectation comme de tics expressifs: les modulations
et les nuances du chanteur, en voix de tête comme de poitrine sont
dignes d’une révélation ! Impression confirmée avec son air de triomphe
indirect, air traditionnel d’assurance opiniâtre qui clôt le I (Vo
solcando…
de presque 7 mn!): électrisé par le continuo lui aussi
palpitant et d’un souffle raffiné, le contre ténor latin saisit par
l’éventail des nuances, le phrasé, la ligne vertigineuse, sa science
expressive, une très rare intelligence du texte. Quel aplomb ! Même pris
dans un naufrage (selon le texte de cet air mémorable), l’artiste
éblouit par sa finesse souveraine, un style d’une impeccable musicalité
(d’autant que la séquence fut admirée pour sa perfection prosodique par
Grétry). Extase dramatique plus encore relevée au début du III, où
l’engagement du chanteur souligne admirablement la fièvre de la
situation en enchaînant un arioso déjà préromantique puis un nouvel air
étonnant de plus de 5 mn. Quelle classe : voici un chanteur suractif à
mille lieues des vocalistes ailleurs, si doucereux ou tièdes. Le vrai
héros de l’opéra, c’est lui. Né argentin en 1981, Franco Fagioli a été
élu meilleur chanteur en Italie, lauréat du Prix Abbiati 2011. De toute
évidence, un immense talent à suivre.

A ses côtés, l’Artaserse de Philippe Jaroussky paraît
bien … terne; car il ne dispose pas d’une telle palette d’accents et
d’intonations: toujours langoureux et d’un abattage vocalisant moins
assuré, le français reste, sur la même ligne expressive: on aime ou pas,
l’acteur et l’interprète ne varient pas d’un pouce… chantant
invariablement comme depuis ses débuts.

Aux côtés de Franco Fagioli, les autres jeunes chanteurs également contre ténors, tel Valer Barna-Sabadus tirent
leur épingle du jeu ; voici un autre tempérament admirablement varié,
sûr, osant la prise de risque: chant âpre, caractérisé, fortement
individualisé qui affirme en une clarté trouble, idéalement claire, le
profil de la soeur d’Arbace et amante d’Artaserse, Semira (plage 15, cd
1: Bramar di perdere…). Avec son confrère Franco Fagioli,
Valer Barna
Sabadus représente la nouvelle génération des contre ténors, aussi
chanteurs qu’acteurs, au chant constamment expressif, brûlé,
imprévisible d’une mesure à l’autre, tant la richesse et la diversité
des intonations changent continûment la ligne vocale.

A Max Emanuel Cencic, revient l’honneur d’ouvrir ce
florilège pour voix de contre ténors (il chante le premier air de
l’opéra): sa Mandane (soeur d’Artaserse et donc en miroir, amante
d’Arbace) bénéficie elle aussi de l’engagement audacieux de l’artiste,
très habile dans l’individualisation ardente de son personnage: fougue
altière de son air  » Dimmi che un empio sei  » (plage 25, cd1: abattage
assuré et aigus claironnants dont aujourd’hui Jaroussky est incapable).
Son duo amoureux avec l’Arbace décidément superlatif de Franco Fagioli
(cd3, plage 15) est un autre sommet de la partition (presque 7 mn
d’extase à deux voix), rehaussé par la couleur associée de leur deux
timbres. Un duo que n’aurait certainement pas renié Steffani, récemment
ressuscité par Cecilia Bartoli, lui aussi expert dans l’art du duo
extatique.

A ce brillant aréopage, soulignons l’implication vocale de Yuriy Mynenkov
qui dans le dernier air de Megabise, ose toutes les audaces, autre
belle personnalité vocale qui embrase un air d’une rare intensité
expressive dont la performance entre voix et instruments est
réjouissante (cd3, plage 7:  » Ardito ti renda « ).

Sous la direction fruitée, aérée, inventive de Diego Fasolis,
Concerto Köln fait feu de tout bois: crépitant, traversé par l’urgence
lui aussi, alliant muscle et chair, tension et flexibilité, le collectif
instrumental est un modèle de variété, caractérisation naturelle et
fine. Quelle énergie à la fois mordante et tendre, souvent juste,
toujours sincère. Le chef nous fait découvrir non sans tendresse voire
enchantement, les mille failles émotionnelles qui nourrissent chacun des
profils dramatiques. La réussite est donc totale pour cette
enregistrement pionnier car si l’on connaissait les oeuvres comiques et
sacrées de Vinci, ce dramma per musica de la fin est une éblouissante
découverte: sa maîtrise préfigure celle de Piccinni dans la seconde
moitié du siècle. Embrasement vocal et intensité draamtique, le théâtre
napolitain le plus équilibré puise chez Vinci, une source inégalée.

Tout en soulignant l’excellence de trois nouveaux contre-ténors (Yuriy Mynenko, Valer Barna-Sabadus, Franco Fagioli) à
suivre absolument, l’enregistrement dévoile l’admirable écriture d’une
sensualité épanouie et exaltante de Leonardo Vinci. Né vers 1696 en
Calabre (Strongoli), le musicien baroque ne pouvait espérer meilleur
hommage. Après avoir acheté ce coffret superlatif, courrez écouter le
spectacle sur scène à Nancy puis Paris. La fine fleur du chant baroque,
côté contre ténors, s’y trouve miraculeusement réunie.

vidéo de Franco Fagioli: l’art du chanteur acteur, interprète montéverdien et haendélien déjà reconnu.

Illustration:
le contre ténor argentin, Franco Fagioli, vrai héros vocal de cet
Artaserse de Vinci et révélation du plateau vocal réuni pour cet
enregistrement de 2011.
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