dimanche 4 mai 2025

Berlioz et l’Italie. Voyage musicaléditions Libel, catalogue d’exposition

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Hector Berlioz et l’Italie
catalogue d’exposition

L’exposition présentée par le musée Berlioz de la Côte Saint-André (maison familiale du compositeur d’un rare intérêt) éclaircit une question épineuse de la carrière et de la vie d’Hector. Le catalogue qui en découle distingue chacun des volets d’une thématique centrale dans l’inspiration du créateur romantique dont les résonances dans sa vie furent infiniment plus décisives qu’on le croit. Berlioz et l’Italie composent une équation à la fois explosive, vénéneuse, dont les avatars relèvent à la fois de la contradiction et du malentendu. C’est dans les faits, une tragédie intime dont le jeune homme récompensé saura tirer profit au delà de ce que l’on a dit.
Il appartient à l’excellente publication de faire le point sur la question: Berlioz aima-t-il l’Italie? Contre ce qu’il écrit de son séjour à la Villa Médicis après avoir remporté enfin le Prix de Rome, contre l’idée d’une détestation profonde qui tient de la haine tenace et longuement développée dans la correspondance, osons répondre: oui, passionnément !

S’il déteste Rome (il a ses raisons), restant très peu sensible aux beautés des ruines du Forum par exemple, Berlioz fuit la ville éternelle et sait s’émerveiller pour les paysages alentours: ceux de Tivoli, de Subiaco à quelques lieues de là; combien il aima errer dans la campagne authentique, jouant volontiers dans un esprit d’abandon et de lyrisme shakespearien au brigand des Abruzzes, guitare et fusil à l’épaule, s’émerveillant jusqu’aux larmes de la rustre mais noble vie rurale, éprouvant cette liberté qui la tant marquer et… restructurer… après la blessure au coeur infligé par son aimée, Camille Mocle, laquel lui préfère Pleyel. Rome reste entâché dans son âme par cette ombre sentimentale: le gouffre d’une trahison incommensurable. Il a songé à se tuer, mais les forces vitales d’une résistance nouvelle se sont affirmées malgré la peine et le deuil amoureux.


Italie détestée, Italie adorée

Il faut lire absolument les chapîtres du catalogue qui renvoient eux mêmes aux sections de l’exposition pour comprendre et mesurer ce que l’Italie incarne pour Berlioz: une épreuve de vie qui dura à peu près une année (de mars 1831 à juin 1832); un rite qui l’ébranla au plus profond de son être et lui permit de se trouver lui-même. S’il croit mourir, Berlioz, à Nice (alors italienne), Gênes, surtout dans les Abruzzes, apprend le goût d’une indépendance nouvelle, l’énergie d’une liberté inédite. Comme un peintre sur le motif naturel, le musicien sait capter et se nourir de la force des éléments (la mer à Nice, la nature sauvage de la montagne au delà de Rome vers Naples…). Voilà pourquoi ce séjour romain, en fait Italien, s’avère des plus profitables dans la maturation du jeune romantique: le livre révèle tout cela et bien davantage encore. Nombre de partitions majeures seront conçues pendant le séjour italien; nombre de partitions porteront après 1832, les traces de cet aprentissage majeur: des Nuits d’été (villanelle, barcarolle…), à la Messe des morts, de Benvenuto Cellini à Roméo et Juliette, jusqu’au Harold en Italie… S’il pense de façade détester Rome et l’Italie, Berlioz y vit des heures inoubliables; jamais il n’aura éprouver dans le sein italien des sensations aussi nettement formatrices: après l’Italie, Hector ne sera plus jamais le même. L’Italie pour cette âme ardente et déchirée en quête d’idéal, demeure profondément shakespearienne; il sait retrouver en peintre, la noblesse antique et atemporelle des sites fondateurs, ceux qu’a connu l’immense Virgile (si vénéré). Peu de lauréats du Prix de Rome auront à ce point profiter de leur séjour pour voyager hors de Rome: Florence, Pise, la Campanie, les Abruzzes donc, la montagne et ses brigands aux moeurs libres et naturelles…

Autre mérite, le texte rétablit l’ensemble des oeuvres présentées pour obtenir le Prix de Rome, les envois de Rome, les oeuvres projetées nons réalisées pendant le séjour italien, celles qui furent de facto achevées, ou celles qui portent indirectement l’empreinte de l’épreuve italienne. Hector se rélève ici dans sa grandiose contradiction; surtout dans sa sincérité de créateur romantique d’une inégalable frénésie.

Le lecteur attentif se réjouira de découvrir aussi toutes les facettes d’une vive intelligence et d’une sensiblité très estimable qui sait toujours exprimer avec verve et justesse ses goûts: sa détestation des opéras italiens et de Bellini en particulier; son admiration pour Spontini; ses amitiés et relations fécondes à Rome: la famille Vernet, les académiciens peintres, Glinka… et pour finir, pour mieux comprendre l’enjeu de ce séjour des plus constructifs pour notre cher romantique, Berlioz mieux que quiconque cible au plus juste la vérité de ce qu’il vit: « L’agitation continuelle dans laquelle j’ai vécu, les déchirements de coeur, les orages de toute espèce qui ont grondé sur moi pendant l’année qui vient de s’écouler, me serviront d’excuse (pour ne pas avoir écrit plus tôt). Je n’ai presque jamais habité Rome deux mois de suite; courant sans cesse de Florence, à Gênes, à Nice, à Naples, dans les montagnes à pied, dans le seul but de me fatiguer, de m’étourdir et de résister plus facilement au Spleen qui me tourmentait »… ainsi écrit Berlioz à Spontini, le 29 mars 1832. Tout Berlioz est là dans cette agitation et cette précipitation illusoirement délirante et pourtant très juste. Quel discernement dans l’agitation, quelle finesse autobiographique. Berlioz reste décidément inclassable et immense. La thématique féconde explorée dans le catalogue nous en apporte une nouvelle preuve. Superbe travail éditorial donc lecture incontournable.

Berlioz et l’Italie, voyage musical. Editions Libel. Parution: juin 2012. 23 euros. ISBN: 978 2 917659 24 3. 112 pages. Riches illustrations comprenant entre autres de nombreuses reproductions du peintre paysagiste Guillaume Bodinier qui comme Berlioz, sut exprimer la beauté sauvage et authentique des sites italiens aux environs de Rome.
L’exposition  » Berlioz et l’Italie, voyage musical  » a lieu au Musée Hector Berlioz de La Côte Saint-André (Isère), jusqu’au 31 décembre 2012.

Illustration: portrait de Berlioz, lauréat du Prix de Rome, vers 1832 par Emile Signol (DR)

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