vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE CD événement. RACHMANINOV : intégrale des œuvres pour orchestre, WDR SinfonieOrchester, Christian MACELARU (3 cd Linn)

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Le triple conffret est l’un des meilleurs et des plus convaincants dédié à l’intégrale orchestrale de Rachmaninov : les 3 symphonies dont une somptueuse 3ème ; l’Île des morts (d’après Boecklin), le méconnu Caprice Bohémien – l’absence des Danses Symphoniques et des Cloches laisse supposer une suite à cette intégrale en cours, totalement superlative. De quoi retrouver le chef roumain remarquablement sensible et imaginatif, Cristian Macelaru et les instrumentistes Colonais du WDR SinfonieOrchester, une phalange qui comprend Rachmaninov comme s’il s’agissait de leur langue maternelle…

 

 

Symphonie n°1 (CD1): Dès l’Allegro, une énergie générale, impérieuse souffle et gronde même, associée à une maîtrise contrapuntique aiguë. Le second Allegro cultive une agilité brillante, nerveuse, très vive qui détaille bois et vents… avec une précision expressive que porte une énergie continue, parfois inquiète (vitalité des cordes). Le larghetto est parfaitement réalisé, continûment déployé sous le sceau d’une gravité impérieuse (alerte des cuivres cinglants, glaçants)… que tente d’adoucir la caresse éperdue des cordes : là encore la parfaite lisibilité des bois renforce l’acuité et l’éloquence de l’approche. Feu et esprit de conquête habitent le Finale, guerrier voire presque sauvage.

Peu connu Le Caprice bohémien est aussi caractérisé et contrasté que le Cappricio espagnol de Rimsky : un morceau de bravoure qui permet à l’orchestre de démontrer sa cohérence dans l’expressivité la plus débridée. C’est pourtant moins Rimsky que l’on citera, que Tchaikvoski dont Rachmaninov prolonge la flamme dramatique, la maîtrise des couleurs. Bien que de jeunesse, numérotée avant la Symphonie n°1, Rachmaninov exprime déjà un souffle enivré, le sentiment d’une gravité empoisonnée qui convainc et trouble. Le chef sait autant faire rugir la soie éperdue des cordes que détailler le solo de violoncelle auquel répondent les vents (flûtes) qui imposent ensuite à tout l’orchestre dans la séquence finale, le motif de la danse hongroise conclusive, enfiévrée, trépidante, lumineuse que n’aurait pas renié Brahms…

Les 2 cd suivants sont aussi convaincants, voire davantage. Le cd 2, dédié à la Symphonie n°2 est une réussite accomplie, celle d’un Rachmaninov désormais plus confiant et plein d’espoir amoureux… Macelaru sachant et déployer cette ampleur de ton (proche de Sibelius) et assouplir dans une opulence sensuelle, la riche et foisonnante parure instrumentale dont l’orchestration doit à Tchaikovsky (le modèle récurrent de Rachmaninov). Le premier mouvement exprime une énergie de révolte et de conquête quand le second Allegro soigne la clarté polyphonique, la vitalité caractérisé de chaque pupitre (dont la sinuosité chorégraphique des cordes ou le chant éperdu initié par le solo de la clarinette) ; le chef sait rapprocher la motricité orchestrale de la symphonie, et ce morceau en particulier avec l’énergie impérieuse des Danses Symphoniques… L’Adagio respire, rêve, étire une soie sereine et sensuelle totalement apaisée, aux respirations suspendus mahlériennes…
Le dernier mouvement fait une synthèse très habile et naturelle entre l’impérieuse énergie retrouvée et le sentiment de plénitude déployé dans l’Adagio.

 

Le cd3, comprenant la Symphonie n°3 puis l’île des morts confirme les affinités du chef avec l’imaginaire post romantique de Rachmaninov.
Aboutissement de sa recherche orchestrale dans le cadre strictement symphonique, la symphonie n°3 de Rachmaninov, évidemment conjure l’insuccès de la 1ère, et prolonge dans une conception désormais maîtrisée du tissu polyphonique et d’une orchestration flamboyante, la cohésion recouvrée de la 2è. Christian Macelaru convainc spécifiquement dans les deux premiers mouvements, aussi somptueusement ouvragés que d’une activité sourde, complexe, ambivalente… L’Allegro immerge immédiatement dans un climat agité à l’énergie impérieuse, dont Cristian Macelaru fait scintiller la parure trouble et d’une étonnante richesse, entre enivrement empoisonné et texture éperdue aux vertiges impressionnants ; de tels contrastes ne s’entendent avant Rachmaninov que chez son maître… Tchaïkovski ; avec le sentiment d’une déflagration maudite exprimée en tutti secs et terrifiants.
Le chef comprend et caresse la matière instable émotionnellement du flux orchestral qui se tempère dans sa section finale (irrépressible ascension vers la lumière victorieuse). Hollywoodienne, cinématographique, l’étonnante fresque se déploie ici avec naturel et éloquence, sensualité et même majestueuse profondeur (dans l’accord final avec les cors). Et pourtant la pâte orchestrale, somptueuse et onctueuse, ne sonne jamais épaisse ni vulgaire car Macelaru soigne la transparence et la continuité claire de l’étonnante texture polyphonique, clairement d’une prodigieuse richesse.
L’Adagio non troppo se fait rêveur, comme une romance d’une pureté enchantée ; où charme le sinueux ruban des cordes… entre légèreté aérienne et sensualité plus inquiète. Rachmaninov semble y recycler une marche alla Tchaikovski, mais intégrée dans sa propre matrice d’un raffinement sonore, opulent et sensuel. La vivacité qu’obtient le maestro de tous les pupitres éclaire aussi la couleur hallucinée et fantastique de ce mouvement en réalité inclassable. Là encore la volubilité émotive, la versatilité des climats, le soin détaillé que leur réserve le chef alchimiste, le geste ample qui confère au cycle entier, son souffle et sa respiration unitaire, se révèlent superlatifs (le dernier accord tenu où règnent souverain les bois et leur vibration diffuse).
Le dernier Allegro est plus somptueux encore, construit en larges phrasés éperdus – straussiens – avec la splendeur des cors, particulièrement exposées, en connivence avec les cordes et les bois ; accents, éclairs sont électrisés par un entrain impérieux qui annonce évidemment la vitalité rayonnante, totalement enivrée et conquérante des Danses Symphoniques à venir. La sensibilité du chef, son sens du flux organique, de la couleur (la sensualité comme abandonnée de la clarinette…), des rythmes et de certains motifs américains… ; ses immersions fugaces, fulgurantes dans un sous texte enchanté, soudainement nocturne, suscitent l’enthousiasme, jusqu’à la construction du finale en apothéose, jaillissant comme un printemps inattendu, rien qu’heureux et dansant.

 

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CD événement, CRITIQUE. RACHMANINOV : Intégrale orchestraleWDR SinfonieOrchester, Christian MACELARU (3 cd LINN) – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025

 

 

 

VIDÉO Cristian MACELARU joue le Caprice bohémien de Rachmaninov (oct 2021 avec la Philharmonie de Cologne / Köln Philharmonie)

 

 

 

 

 

VIDÉO Cristian MACELARU joue un extrait de la Symphonie n°2 de Rachmaninov

 

 

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