Après une ouverture magique dans le cloître des Jacobins qui lui a donné son nom, le 32ème festival piano aux Jacobins retrouve à son habitude depuis plusieurs années le musée les abattoirs pour un tableau-concert. Un programme d’une grande intelligence associe une toile étrangement vivante de Erro : moteur à explosion à plusieurs œuvres phares du piano moderne naissant. Cet éclaté d’un moteur rempli d’homoncules dépecés provoque un effet surréaliste visuel autant que sonore. Après une analyse pleine d’humour et une présentation de la thématique du programme passionnante, toutes des pièces composées autour de 1910, la pianiste lituanienne, Ieva Jokubaviciute, a habité de sa présence discrète la scène. Son jeu est d’une grande variété chaque pièce trouvant sous ses doigts son exacte couleur et ses nuances subtilement relevées. Le son a souvent semblé prendre une forme visuelle. Cette artiste très sensible sait en effet peindre des mondes très divers, complexes ou purs, terribles ou tendres, joyeux ou tristes. Une pointe d’humour lui permet de donner un éclairage nouveau à certaines pièces. C’est la poésie pure, liquide et aérienne des pièces extraites du sentier recouvert de Janáček qui mettent en valeur des qualités de délicatesse, de finesse et de mystère évoquant une musique d’elfes faite par une princesse venue sur la terre des hommes. Vraiment l’étrange devient proche avec une telle interprète. 
Rarement une toile aura été si musicale et des musiques si diverses et proches auront évoqué des images si fortes. Tous ces compositeurs nés dans le XIXe siècle qui a vu le piano s’imposer comme instrument virtuose absolu ont construit le piano moderne avec des moyens très divers. L’engagement entier de Ieva Jokubaviciute, l’amenant parfois à chantonner, a produit une écoute très concentrée d’œuvres pas toujours faciles. Aucune difficulté technique ne limite l’engagement de la pianiste. Tout est réalisé avec une rare précision, sans virtuosité ostentatoire. Le public a beaucoup apprécié cette forme de concert stimulant. La cohérence des choix artistiques a forcé l’admiration et la qualité des interprétations a galvanisé l’écoute. Une belle soirée prouvant comme le disait Baudelaire, qu’ici les couleurs et les sons se répondent.
Toulouse. 32ème festival Piano aux Jacobins. Musée les Abattoirs, le 5 septembre 2011. Claude Debussy (1862-1918) :Extraits des préludes, l’Isle joyeuse ; Arnold Schoenberg (1874-1951) : 6 petites pièces pour piano, op.10 ; Alexandre Scriabine ( 1872-1915) :Sonate n°4 en fa dièse majeur, op.30 ; Leoš Janáček (1854-1928) : Extraits de Sur un sentier recouvert ; Alban Berg (1885-1935) : Sonate pour piano, op.1. Ieva Jokubaviciute, piano.
Illustrations: Ieva Jokubaviciute © Piano aux jacobins. Tableau : musée les Abattoirs
