mardi 29 avril 2025

Musiques au féminin, Trio Carpe DiemEcully (69), Maison de la Rencontre, le 17 février 2011 à 20h30

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Musiques au fémininin
Trio Carpe Diem

Ecully (69), Maison de la Rencontre
Jeudi 17 février 2011 à 20h30

Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Louise Farrenc, Lili Boulanger. Trio piano, flûte, violoncelle (1805-1847)

On se souvient de l’injonction d’un célèbre misogyne antique, Paul de Tarse (alias Saint Paul) : « Que la femme se taise à l’église ! ». Longtemps il s’est agi d’une défense de chanter ou de jouer des instruments. Et puis, le temps passant, on en est venu à considérer que cette défense continuerait, église ou pas, à viser au moins le droit de la femme à composer… Et certes il y a le bel aujourd’hui, où depuis un demi-siècle, les choses semblent avoir avancé. Mais il n’est inutile d’interroger le passé proche, celui du XIXe, où les exemples de F.Mendelssohn, C.Schumann et L.Farrenc éclairent sur l’obscur du non-dit. Trois instrumentistes de l’Ensemble Carpe Diem nous donnent à réfléchir et à mieux écouter.


Le fruit des entrailles cérébrales

« Musiques au féminin », annonce la XVIIIe saison d’Ecully Musical. Il existerait donc des musiques de femme, comme des cuisines, demandera l’humoriste de garde ce soir-là ? Et avec la vieille alternance (inventée par qui ? au secours ! musicologues et analystes, car cela semble se perdre dans la nuit des temps et des intentions), thème masculin et thème féminin auront fait défiler tout le cortège des stéréotypes. A l’homme puissance (virile, l’adjectif vient tout seul sous les touches du clavier, quasi-tautologie), audace, franchise, ampleur de conception. A la femme douceur, imagination (mais de détail), élégance(idem), conversation (un rien bavarde), habileté (et un peu de dissimulation en arrière-plan)… Bref, au chapitre de la créativité artistique, les femmes ne devraient-elles pas se contenter d’un enfantement pour lequel la Nature (et/ou le Créateur) l’ont placée, et laisser aux hommes le fruit de leurs entrailles cérébrales ? Comme en complément un peu de statistiques ne fait jamais de mal, et en consentant un appui sur « la réalité » des chiffres, n’est-il pas bien facile de « constater » la si faible part de compositrices dans l’histoire musicale européenne ? Ainsi au XVIIe en France, Elisabeth Jacquet de la Guerre. Elisabeth who ? demanderait un Américain (se référant au célèbre Jimmy who ? qui salua naguère la candidature présidentielle d’un certain Jimmy Carter, obscur Géorgien). Et elle seule ?… Encore l’a-t-« on » sauvée de l’oubli. Et au XIXe, parlez-nous de qui, au fait ?


A qui le pouvoir, la gloire et l’argent ?

Bon, arrêtons ces ironies faciles, selon lesquelles notre compteur se fût arrêté aux années 60 du XXe. Car depuis 50 ans, n’a-t-on pas immensément progressé dans la re( ?)connaissance du rôle féminin dans la création musicale, d’ailleurs en (re)partant du salut aux interprètes (d’abord le piano, et la voix bien sûr, puis les cordes, les bois, et même, horresco referens, les cuivres, la percussion ). Tout l’orchestre en somme, même pour…le diriger, conquête tardive, et encore aujourd’hui contestée, frontalement ou sournoisement . Comme le déclarait au Monde en 2005 la chef Claire Gibault (qui fut à l’Opéra de Lyon, « permanente », puis assistante de J.E.Gardiner ) : « C’est un métier lié au pouvoir, à la gloire, à l’argent, une trilogie typiquement masculine. » Disons donc qu’il faut nuancer la conviction qu’une peu résistible ascension de la femme musicienne serait désormais en place. Et dans le domaine compositionnel, donc ! Certes en notre début de XXIe prolongeant le XXe, qui nierait le rôle, entre autres, de Betsy Jolas, Sofia Gubaidulina, Kaija Saariaho, Edith Canat de Chizy, Maria de Alvear, Michèle Reverdy, Edith Lejet, Graciane Finzi, Pascale de Montaigne, ou Adrienne Clostre (disparue en 2005) ? Mais qu’en fut-il au XIXe des « droits de la femme compositrice » après un XVIe-XVIIe qui en Europe (Italie, France) avait été presque « libéral » ? Le XIXe, carrefour de tous les paradoxes au sujet de la femme musicienne, il faut aller le débusquer à l’articulation de « la femme inspiratrice », et on ne connaît sans doute pas de document aussi comico-accablant que la lettre par laquelle Gustav Mahler édictait à l’intention d’Alma Schindler, amoureuse-folle mais prétentieuse compositrice, le « programme commun » de leur vie conjugale : « se soumettre ou se démettre », Alma serait seulement l’Humble Servante de son Seigneur-et-Maître, renoncerait au mariage ou à la composition. Alma céda. Eut tort. Plusieurs années après, Gustav finit par revenir en arrière mais c’était trop tard, à tous points de vue.


Fanny, fille et soeur

Ecully-Musical ne l’inscrit pourtant pas à son programme, mais donne la parole harmonieuse à trois autres « cas féminins » du XIXe. En parallèle chronologique, Fanny et Clara. Fanny était née Mendelssohn, fille et sœur , doublement empêchée par père et frère, qui ne badinaient pas sur la retenue que devait garder la Femme en ce domaine : interprète, oui, et même divinatrice des intentions les plus subtilement dissimulées du Compositeur, collaboratrice même du Petit Frère Félix pour la résurrection des œuvres sacrées de J.S.Bach et la création de ses œuvres (elle mourut à 42 ans, cérébralement foudroyée en 1847 en faisant répéter La Nuit de Walpurgis écrite par Félix)… Mais malgré les encouragements de Moscheles (« on peut l’appeler un bon musicien », notez tout de même le masculin !), de Gounod (« elle est douée de facultés rares comme compositeur ») et surtout de son mari Wilhelm Hensel (un peintre qui à la mort de Fanny cessa de créer !), elle n’osa pas trop passer outre les interdits paternel et fraternel, avouant : « Je ne suis pas une femme libre ». On a sauvé malgré tout de son écriture des sonates pour piano, des lieder, un oratorio, et son Trio (op.11) , une des belles œuvres du romantisme « tempéré », choisi pour le concert du 17 février.


On a encore oublié Madame Schumann

Dans la série « Zut on a encore oublié Madame Schumann » (pour paraphraser le spirituel titre d’un livre de Françoise Xenakis), domine évidemment le destin, plus ambigu, de Clara Wieck. La jeune pianiste-prodige fut au contraire mise en avant par son père qui voulut la « protéger » de ce jeune fou de Robert (il n’avait pas totalement tort…) mais ne put empêcher un mariage d’abord heureux où l’on sait que l’équilibre chancela et se perdit en folie suicidaire. Pianiste-prodige, l’honneur de son siècle au clavier, certainement, et Clara resta cela jusqu’à sa mort (40 ans après celle de Robert). Mais la compositrice qu’elle était aussi ? Brimée par le génie étouffant de celui dont elle dut conquérir la présence en sa vie, obligée de concilier les exigences de sa carrière européenne, son rôle de mère (7 enfants !), et celui de gardienne d’un foyer où elle était, en raison de ses cachets de concertiste, la seule à pouvoir « faire bouillir la marmite »… Le journal de raison et de mariage tenu en alternance dès les noces par les époux qui s’étaient promis d’y consigner l’essentiel et le détail constitue un document passionnant. On sent bien que Clara, aux yeux de son Robert, est restée l’enfant qu’il émerveillait par ses histoires à faire peur, puis l’adolescente si douée dont il fallait tout de même guider les élans compositeurs : ainsi sur 3 lieder écrits par elle en décembre 1840, Robert dit que c’est « plus clair que jadis », et qu’il va « les insérer dans un groupe de lieder de moi pour les faire imprimer ensuite »…Six mois plus tard, on voit Clara lisant la Vie de Goethe…et « épluchant les haricots ». Moins pittoresque mais plus ennuyeux : Robert se mettra souvent à « mobiliser » le piano quand il compose, ne laissant même pas l’instrument à Clara qui en a pourtant besoin pour ses programmes de concerts. Alors, la composition, vous pensez ! Elle avait commencé à 10 ans, elle cessera définitivement à 34 ans, un peu avant le suicide manqué de Robert. Son œuvre est essentiellement pour le piano (soliste, concerto), la musique de chambre et les lieder : ici on écoutera l’ardent et profond Trio op.17, et un Impromptu pour piano, Souvenir de Vienne.

Une liberté pour Louise Farrenc

Toute autre aura été en son siècle la destinée d’une Française, Louise Dumont (1804-1875), née dans une famille ouverte aux arts et à la pratique féminine de ceux-ci, épouse à 17 ans un flûtiste, Aristide Farrenc. Et ce musicien de talent mettra ses activités au service de…son épouse, dont il fait éditer les œuvres, et favorise la carrière de concertiste en France et en Europe. Berlioz, rapporte P.Gervasoni, va même jusqu’à noter que « Madame Farrenc compose pour l’orchestre avec un talent rare chez les femmes » (merci tout de même, Hector). Enseignante modèle (au Conservatoire de Paris), pionnière dans la recension des musiques anciennes pour le clavier, elle laisse une œuvre de belle ampleur, très appréciée en son temps (Schumann aime le « tout léger parfum romantique » de son Air Russe) : 3 symphonies et d’autres pièces pour grand orchestre, de la musique de chambre (Nonette, Sextuor, quintettes…), œuvres vocales et chorales, et bien sûr beaucoup de clavier. A Ecully, on entendra son Trio op.45.
Vivez si m’en croyez…
Quant à Lili Boulanger , morte de maladie en 1918 à 24 ans, elle fut météore et comète, annonciatrice de temps moins rudes pour la femme musicienne. Reconnue officiellement – 1ère « Grand Prix de Rome » en 1913, pour sa cantate Faust et Hélène -, élève de Fauré, personnalité rayonnante et mystique, traduite entre autres dans des partitions sacrées, notamment des Psaumes -, elle est l’absente-présente qui hantera la vie de sa sœur Nadia, « Mademoiselle », exceptionnelle pédagogue tout au long du XXe siècle. Ici, de la musique de chambre, en Cortège, et « un matin de printemps » qui répond à un « soir triste ». Le nom de l’Ensemble à géométrie variable que fondait en 1993 Jean-Pierre Arnaud, Carpe Diem (Cueille le jour, conseil épicurien et raisonnable du poète latin Horace), convient parfaitement à ce programme Lili Boulanger, la jeune femme à qui Ronsard eût pu dire aussi : « Vivez si m’en croyez, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Le piano de Sandra Chamoux, le violoncelle de Valériane Bonnet et la flûte de Vincent Guillot (qui transpose le violon, adaptant instrumentalement deux des trois Trios, ainsi que le fait fréquemment Carpe Diem) nous inciteront à mieux saisir ces « musiques au féminin ».

Ecully (69), Maison de la Rencontre, jeudi 17 février 2011, 20h30. Musiques au féminin. F.Mendelssohn ( 1805-1847) : Trio. C.Schumann (1819-1896) : Trio Souvenir de Vienne. Louise Farrenc (1804-1875) : Trio. Lili Boulanger (1893-1918) : Cortège, D’un soir triste. Ensemble Carpe Diem : Sandra Chamoux, piano. Valériane Bonnet, violoncelle. Vincent Guillot, flûte.
Information et réservation : T. 06 85 29 11 90 ; www.ecully-musical.fr

Illustrations: Fanny Mendelssohn Hensel, Clara Schumann (DR)
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