samedi 10 mai 2025

Lille. Opéra, le 11 mai 2010. Georges Bizet : Carmen. Stéphanie d’Oustrac, Gordon Gietz, Olga Pasichnyk, Jean-Luc Ballestra. Jean-Claude Casadesus, direction. Jean-François Sivadier, mise en scène

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Naissance d’une grande Carmen

Très attendue, cette nouvelle production de Carmen s’est révélée enthousiasmante, d’énergie et de vie.
La mise en scène de Jean-François Sivadier, très sobre et dépouillée, concentre toute sa force sur les relations tendues entre les figures du drame et les forces qui les font agir. Seules de hautes parois mobiles suggèrent les différents lieux de l’action : la manufacture de tabac, l’auberge de Lillas Pastia, l’arène où va triompher Escamillo. Mais en faut-il davantage pour transporter le spectateur ?
Ici, pas d’espagnolades de fantaisie, pas de clinquant inutile, mais une Espagne quotidienne, nue jusque dans les moindres détails, rappelant irrésistiblement la Carmen de Carlos Saura. Chaque personnage, jusqu’au plus petit rôle, est détaillé, existe pour lui-même, et agit réellement. Une direction d’acteur merveilleusement fouillée et d’une pertinence admirable, du très grand art.
Félicitions pour leur performance remarquable des enfants épatants de naturel, et un chœur de l’Opéra de Lille superbe, aux personnalités fortes.
Des contrebandiers plus vrais que nature, avec un Dancaïre alerte et leste de Loïc Félix, un Remendado hilarant en hippie décontracté et décomplexé de Raphaël Brémard, et un duo Frasquita-Mercédès ardent, flamboyant et vocalement insolent, de Eduarda Melo et Sarah Jouffory, l’une faisant valoir sa voix percutante et ses aigus triomphants, lorsque l’autre lui répond avec le velouté de son timbre et son médium charnu. Zuniga et Moralès efficaces de Renaud Delaigue et Régis Mengus, avec, pour le second, un beau jeu sur la tendresse amicale qu’il porte à Don José.
En matador matcho et charismatique, Jean-Luc Ballestra se révèle comme l’une des plus belles voix de baryton français actuelles : le timbre, sombre et mordant, est somptueux, comme un feu qui couve sous la braise, la projection est remarquable; l’aisance vocale, totale. Seuls quelques aigus semblent excessivement couverts, là où il pourrait chercher une place vocale plus haute et ainsi conserver à sa voix tout son brillant. Mais ça n’est que vétille face à la beauté de son incarnation. Loin de l’oie blanche trop souvent vue dans le rôle de Micaëla, Olga Pasichnyk incarne une femme forte, bien décidée à sauver José par tous les moyens, y compris en affrontant Carmen sur son propre terrain, celui de la séduction. Vocalement, tout est en place, l’émission est juste et saine, le médium riche, l’aigu sonne assuré, et le frémissement de sa voix la rend très touchante. En Don José, Gordon Gietz se donne tout entier, avec franchise, et ne triche jamais, malgré un trac palpable et une voix audiblement fatiguée, car mise à rude épreuve. Méforme passagère, sans doute. En outre, force est d’admettre que, dans la conception du metteur en scène, ce José quelque peu effacé, devenu en quelques instants le jouet de Carmen, à l’énergie dévorée par la bohémienne, trop faible pour résister, tient parfaitement sa place.
Et la Carmencita ? La prise de rôle de Stéphanie d’Oustrac était attendue de pied ferme par bon nombre de mélomanes, saluons d’emblée la naissance d’une grande Carmen, avec laquelle il faudra désormais compter. Cette gitane-là n’appartient pas à la tradition des allumeuses un peu vulgaires qui colle encore souvent au personnage, mais à la race des séductrices nobles et fières, héritière directe de Teresa Berganza. Jamais de cabotinage excessif, mais toujours un port de reine. La célébrissime Habanera se révèle transfigurée par la leçon de séduction qu’elle devient, Carmen démontrant son art en riant, en attirant à elle un enfant, avant de remarquer Don José. Point de fleur jetée de la main au costume de l’officier, mais un cercle de lumière sur la scène, au milieu duquel, tombée des cintres, vient se planter une fleur qui a tout du poignard, invoquée par Carmen, comme un maléfice lancé, irréversible. Vocalement, on pouvait craindre la voix de Stéphanie d’Oustrac un peu petite pour le rôle. Bien au contraire, elle est celle qui se projette le mieux, émise sans effort, traversant littéralement l’orchestre et sonnant dans toute la salle. La tessiture de Carmen semble lui convenir parfaitement, et c’est avec une totale aisance qu’elle se promène littéralement dans le rôle, entrant en scène pour le crucifiant duo du quatrième acte dans une fraicheur vocale qui force le respect. Un sens des nuances confondant et une diction merveilleusement ciselée achèvent de faire d’elle une des plus belles Carmen vues à ce jour.
Dans la fosse, connaisseur et amoureux de ce répertoire, Jean-Claude Casadesus insuffle à son Orchestre National de Lille tout le feu et la finesse de la musique de Bizet, notamment dans une chanson gitane endiablée, enfiévrée, véritable tourbillon, embrasant littéralement la scène. Une grande leçon de musique.
Au rideau final, triomphe mérité pour cette production de Carmen anthologique, qui marque avec éclat l’engagement et l’activité de l’Opéra de Lille.

Lille. Opéra, 11 mai 2010. Georges Bizet : Carmen. Livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Avec Carmen : Stéphanie d’Oustrac ; Don José : Gordon Gietz ; Micaëla : Olga Pasichnyk ; Escamillo : Jean-Luc Ballestra ; Frasquita : Eduarda Melo ; Mercédès : Sarah Jouffroy ; Zuniga : Renaud Delaigue ; Moralès : Régis Mengus ; Le Dancaïre : Loïc Félix ; Le Remendado : Raphaël Brémard ; Lillas Pastia : Christophe Ratandra. Chœur maîtrisien du Conservatoire de Wasquehal. Assistante à la mise en scène : Véronique Timsit ; Décor : Alexandre de Dardel ; Costumes : Virginie Gervaise assistée de Tania Sayer ; Lumières : Philippe Berthomé ; Chef de chœur : Yves Parmentier ; Chef de chant : Nathalie Steinberg. Choeur de l’Opéra de Lille. Orchestre National de Lille. Jean-Claude
Casadesus, direction ; Mise en scène : Jean-François Sivadier.

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