vendredi 9 mai 2025

Ambronay (01). Abbatiale, le 3 octobre 2008. Georg Friedrich Haendel: Theodora, 1750. Christoph Spering, direction

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La constance des justes

C’est un peu l’histoire de Tristan et Yseult… mais sur le mode sacré: Theodora et Didymus forme dans l’oratorio de Haendel, un couple continûment languissant, juste et vertueux dont la constance, exemple moral, touche à l’aveuglement et les conduit à leur perte. Pas d’effets de théâtre, ni de surenchère passionnelle, mais l’intense fascination d’une intrigue fondée sur un drame chrétien plutôt contemplatif. Martyrs dans ce monde, les deux amoureux sont « libérés » par la mort; le sacrifice de leur vie, les fait « élus » et modèles absolus… s’ils ne peuvent réaliser leur quête spirituelle sur terre, Theodora et Didymus pourront dans le ciel, s’aimer sans contraintes.

On peut demeurer déconcertés par l’absence quasi totale d’action; on peut aussi être saisis par la lente et inéluctable progression de cette apologie édifiante de la dévotion chrétienne dont Haendel fait son sujet principal: princesse romaine, Theodora s’est convertie au christianisme. Sa foi inébranlable quoique parfois tourmentée par le doute au regard de la dureté des épreuves qui lui sont imposées, la glorifie et entraîne aussi ses proches (dont surtout Didymus, lequel par amour la suit jusqu’au sacrifice final). Pour eux, l’apothéose des chrétiens suppliciés et humiliés… Près de 3 heures de récitatifs et d’arias, entrecoupés par l’intervention des choeurs (païens et chrétiens), constituent donc une geste baroque fleuve, véritable fresque imposante par sa durée et sa construction plus psychologique que vraiment dramatique, dont le cours mystifie peu à peu la figure de l’héroïne. Autour d’elle, et de Didymus, paraissent leurs « adorateurs »: Irène, admirative, et dans une moindre mesure l’ami de Didymus, Septimus, qui cependant reste captivé par l’exemple de loyauté morale que lui offre à méditer le jeune romain, lui aussi converti.

Première à Ambronay pour Christoph Spering et ses instrumentistes (Das Neue Orchester, fondé en 1988), et choristes (Chorus Musicus Köl, créé en 1985) : les interprètes abordent pour la première fois l’avant dernier oratorio de Haendel (avant Jephté). D’une partition qui témoigne, et de la dernière manière du Saxon, et de son mysticisme catholique ardent (dont découla une relative incompréhension des spectateurs à la création, car la plupart était protestants), le chef et son équipe, désormais reconnus pour leur approche vivante et détaillée des textes, ajoutent un surcroît de nervosité musclée, de tension dramatique qui ne faiblissent jamais. Dans l’ascétisme musical auquel s’est conformé le compositeur, Christoph Spering impose sa manière: vive, souvent exaltée, ample et lumineuse. Chaque protagoniste est finement traité: on peut rêver Septimus moins neutre (quoique d’une fluidité vocale impeccable), mais les trois personnages principaux: Valens, Theodora, Didymus sont bien caractérisés. Dès le début où Haendel « diabolise » la laideur païenne, son intolérance et sa barbarie cruelle, le baryton-basse Johannes Weisser incarne en Valens, ce président des Antioch, haineux et agité, en proie à toutes les nuances de la méchanceté sadique. Assurance, tempérament, relief linguistique (l’oratorio est chanté en anglais), voici la figure du maléfique que Haendel sait placer en un fort contraste psychologique aux côtés de la douce, digne et vertueuse Theodora. Les autres solistes sont loin de démériter: ils imposent une présence dramatique constante, aux côtés du choeur d’un exceptionnel engagement. Rien à reprocher à ce travail impeccable dans l’accentuation comme dans les couleurs qui accrédite la lecture de Spering, en nous rappelant que nous tenons là, l’équivalent germanique, sur instruments d’époque, d’un Gardiner et d’un Herreweghe.

Ici le souci de l’articulation sert le texte et la progression de l’action psychologique: portés par l’espérance d’un miracle comme l’opéra ou la musique savent le préparer, les spectateurs attendent la clémence de Valens. Chacun souhaite une fin heureuse pour le couple des tendres chrétiens… D’autant que le dernier choeur des païens, jusque là associés au timbre « diabolique » des cors, semblent éprouver, enfin, de la compassion devant leur abnégation mystique, d’une étonnante constance. Mais c’est bien la tragédie qui imprime à la partition sa terrifiante conclusion: pas de rémission terrestre pour les justes. Theodora et Didymus périssent sans jamais douter de la foi qui les réconforte. Superbe leçon de droiture morale et spirituelle à laquelle l’équipe menée par un Spering des grands soirs, sait apporter souffle et humanité.

Ambronay (01). Abbatiale, vendredi 3 octobre 2008. Georg Friederich Haendel (1685-1759): Theodora, (Londres, Covent Garden. Le 16 mars 1750). Textes de Thomas Morell. Anna Korondi, Theodora. Juliette Galstian, Irène. Johannes Weisser, Valens. Didymus, AlexPotter. Andreas Karasiak, Septimus. Das Neue Orchester, Chorus Musicus Köln. Christoph Spering, direction.

Illustration: Christoph Spering (DR). Christoph Spering dirige Theodora de Haendel à Ambronay © Patoch, Ambronay 2008

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