vendredi 19 avril 2024

Vivaldi: L’Oracolo in Messenia. Biondi, 20112 cd Virgin classics

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cd opéra, critique, compte rendu
Vivaldi: L’oracolo in Messenia (Biondi, 2011)

L’opéra est créé au San Angelo de Venise en décembre 1737, le théâtre désigné de la créativité vivaldienne, puis repris à Vienne pour le Carnaval de 1742 (Kärntnertortheater), après la mort de l’auteur. Car Vivaldi dès le début des années 1730 avait tissé des liens concrets avec l’Empereur… et l’aristocratie autrichienne. L’Oracolo est créé de façon posthume en terre autrichienne (avec sa muse Anna Giro, restée à Vienne, dans le rôle axial de Mérope). C’est cette version viennoise qui occupe ici Fabio Biondi lequel n’a pas hésité à  » reconstruire  » la partition pour la mettre en conformité avec sa supposée reprise viennoise (suivant le livret qui lui est totalement exploitable): puisant dans du matériel d’autres opéras pour combler opportunément l’action originellement fragmentaire (emprunts à la Griselda, Bajazet, Catone in Utica, Motezuma, Dorilla in Tempe, Farnace dans sa version ferraraise…). Aux musiques vivaldiennes, Biondi ajoute encore celles de Hasse, surtout du napolitain et donc concurrent direct de Vivaldi, Geminiano Giacomelli (La Merope, regina de Messenia, qui occupe près de la moitié de la musique ainsi proposée!).

Dès l’ouverture (une sinfonia issue de Griselda, en schéma vif lent vif), le geste du chef manque de transparence et de clarté, s’appuyant surtout sur la vivacité des violons et la mécanique rutilante souvent systématique des basses. On ne s’arrêtera pas à ce premier signe interprétatif qui indique clairement la faiblesse d’inspiration du maestro qui manque souvent et de finesse et d’imagination tout au long du programme…

Car mettre en perspective Giacomelli et Vivaldi n’est pas si incohérent: le premier se distingue sur la scène du Grisostomo avec sa Merope (1734) dont Vivaldi reprend l’histoire et les situations dans sa propre version de l’ouvrage devenu sous sa plume: L’Oracolo in Messenia (1737, San Angelo): riposte calculée d’un Vénitien soucieux dans sa ville de maintenir son leadership (s’il en eut jamais un car l’activité lyrique vénitienne reste permanente, faisant et défaisant les réputations).


Pasticcio flamboyant et posthume

L’Oracolo est d’autant plus important dans la carrière du Vénitien que la partition marque malgré sa disparition (dans des circonstances bien tristes), son séjour à Vienne où il comptait s’imposer après avoir quitté Venise; le livret de la version viennoise de 1741 montre les changements et amplifications opérés pour séduire l’audience impériale: ajout de 3 ballets (!), de 7 airs nouveaux, Argia y devient Elmira…
Aucune partition ne nous est parvenue, ni celle du San Angelo ni celle de Vienne; mais tout indique qu’il s’agissait dès l’origine d’un pasticcio: aux airs de Vivaldi, répondaient aussi ceux de compositeurs autres dont probablement ceux de son prédécesseur et rival dans la lagune, Giacomelli.
Bouillonnante mise en abîme donc de deux écritures directement affrontées composant la vitalité d’une action vive et nerveuse où se joue en plus du drame scénique, une joute esthétique entre manière napolitaine et vénitienne.
Pauvre Vivaldi cependant: le Prete Rosso allait vivre non seulement l’empire irrépressible des Napolitains sur le Vénitien mais aussi une triste fin en  » Germanie  » où il devait rapidemment mourir, délaissé et misérable… en 1741.

Somptueux plateau vocal

Et dès le premier air, somptueuse entrée d’Epitide,  » Dono d’amica sorte  » extrait de sa Merope tant enviée (et applaudie à sa création), le style frénétique et virtuose, mais aussi léger et fulgurant de Giacomelli s’impose indiscutablement: il est vrai aussi que Vivica Genaux, dans le rôle de la fille de Mérope, y brille d’un éclat et d’une fougue vocale plus que convaincante: évidente, triomphatrice.
On voit bien incidemment l’enjeu de cette production défendue par Biondi: rétablir Vivaldi dans son contexte artistique à la fin des années 1730, déjà dépassé par ses concurrents venus de Naples, véritables créateurs embrasés (à noter également, le rare Broschi: l’air dernier du cd1 extrait de Artaserse d’une grâce virtuose conquérante affirme cette agilité vocale difficile à battre, défendue par la jeune Julia Lezhneva (véloce et capable de beaux piani, malgré des défaillances de justesse dans les aigus). Le programme fait de confrontations stimulantes restitue Vivaldi dans son époque; son désir de dépassement, son énergie opiniâtre ainsi dans ses traits non moins puissants et eux aussi frénétiques (air de Polifonte, le méchant de l’histoire, qui suit celui d’Epitide:  » Non ascolto, che furore  » (extrait de l’Aténaïde).
La Merope (reine et veuve de Messénie ; grand air du II:  » No, non meriti pietà… » emprunté à la Griselda là encore) de l’excellente et brillantissime Ann Hallenberg (qui vient de publier un superbe récital dédié à Rossini en hommage à sa première muse, l’inénarrable Marietta Marcoli), le sirupeux et si dramatique timbre de Romina Basso (Elmira), sans omettre l’Anassandro du contre ténor Xavier Sabata ajoutent à la solide tenue vocale du plateau réuni pour cette première, captée dans ce live de janvier 2013 au Konzerthaus de Vienne.

En définitive, le génie vivaldien sort grandi dans un tel parcours concurrentiel et comparatif: le Prete Rosso se serait-il piégé lui-même en nourrissant son pasticcio des airs d’un Giacomelli supérieur? En réalité, au moments clés de l’action, Vivaldi place ses propres airs parmi les plus réussis, certains empruntés à des ouvrages précédents ou contemporains (c’est le cas de  » Sarebbe un bel diletto « , provenant de Catone in Utica, distribué à Epitide, à la fin du I).
Malgré nos réserves pour le début instrumental où Biondi paraîssait bien mou et lourd, l’électricité ne tarde pas à s’imposer, grâce à la vitalité caractérisée de chaque chanteur, et aussi à la diversité contrastée des airs sélectionnés, emportant l’action d’un drame reconstitué (et l’orchestre par la même occasion de plus en plus sensible à la trépidation du drame), entre la manière vivaldienne et celle de ses rivaux les plus directs.
Aux côtés de Bajazet (Biondi, 2004), voici donc un nouvel opus vivaldien de première valeur dont le mérite revient à l’initiative de Virgin classics: Vivaldi poursuit ainsi par le disque son irrépressible résurrection lyrique. L’Oracolo est une nouvelle surprise: riche en joyaux lyriques méconnus, la partition ainsi recomposée dévoile la dernière manière du « vieux » Vivaldi, cherchant vainement patron, place et commande dans la capitale impériale.

Vivaldi: L’oracolo in Messenia ou la Merope, créé en 1737. Version viennoise de 1742. Livret de Zeno (1711). Avec Ann Hallenberg, Vivica Genaux, Julia Lehzneva, Romina Basso, Xavier Sabata … Europa Galante, Fabio Biondi, direction. 2 cd Virgin classics 5099960254726

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