COMPTE-RENDU opĂ©ra, critique. LIVE STREAMING du 5 mai 2021, Lille, Nouveau SiĂšcle. MOZART : THAMOS. Orchestre National de Lille, David Reiland (direction). La partition relĂšve de lâesthĂ©tique galante mais colorĂ©e des Ă©clairs et contrastes saisissants du Sturm und drang auquel le jeune Mozart apporte sa propre sensibilitĂ© instrumentale ; il accorde une place privilĂ©giĂ©e aux choeurs (premiers Ă sâexprimer dans lâexplicitation du drame), porteurs de lâespĂ©rance des peuples, exprimant cette aspiration viscĂ©rale Ă la fraternitĂ© universelle. Nous sommes bien dans un contexte moral franc-maçon (« accorde Ă la jeunesse frivole, vertus et disciplineâŠÂ ») ; tout le drame qui va se jouer met en scĂšne lâapplication des prĂ©ceptes des LumiĂšres pour lâĂ©dification des hommes. Le politique (le jeune prince Thamos) est invitĂ© Ă favoriser et mettre en Ćuvre ce vaste programme dâĂ©ducation de la sociĂ©tĂ©. La forme orchestrale suit la lumineuse direction de cette philosophie musicale : le sens du dĂ©tail, les rebonds dramatiques, lâesprit des nuances sont ici garantis par la direction souple et sensible de lâexcellent David Reiland, venu de Metz (dont il est directeur musical de lâOrchestre National) pour diriger la phalange lilloise.
Sur scĂšne, lâaction illustre ce passage de la gangue originelle, boueuse, bitumeuse, brute Ă lâaccomplissement de lâindividu humain, maĂźtre de son destin, corps enfin libĂ©rĂ© de son enveloppe archaĂŻque et primitive. Selon la conception de Damien Chardonnet-Darmaillacq (qui a rĂ©alisĂ© une adaptation d’aprĂšs la piĂšce de théùtre dont la partition assure les inserts musicaux), la mise en scĂšne et lâappareillage vidĂ©o (film tournĂ© au PhĂ©nix de Valenciennes prĂ©alablement au concert) exprime lâopĂ©ration de transformation de la matiĂšre vers sa sublimation ; passage oĂč se rĂ©alise lâalchimie organique, Ă lâimage dâun accouchement symbolique.
David Reiland veille Ă lâarticulation de chaque intermĂšde orchestral dont lâampleur et le souffle annoncent le Mozart Symphoniste dâIdomeneo et de la pleine maturitĂ©, celui des 3 derniĂšres symphonies.
Illumination de Thamos / Métamorphose de Saïs
David Reiland et lâOrchestre National de Lille jouent le drame qui prĂ©figure La FlĂ»te EnchantĂ©e,
Thamos, roi dâEgypte, musique de scĂšne maçonique
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Le chant des cordes dit Ă la fois la solitude du hĂ©ros Thamos et aussi lâespoir que sa vertu suscite au sein de la foule. La vitalitĂ© dĂ©taillĂ©e des instruments, timbres caractĂ©risĂ©s dans lâesprit dâun orchestre de chambre, souligne chaque Ă©tape de la sublimation du corps primitif vers sa rĂ©vĂ©lation finale : ainsi se dĂ©voile la figure de la princesse SaĂŻs, vierge du temple de soleil qui est aimĂ©e de Thamos, bien quâelle soit la fille de son ennemi tutĂ©laire. La vidĂ©o expose lâhistoire de Thamos Ă travers le regard et lâexpĂ©rience vĂ©cue par la jeune femme.
Orchestralement, David Reiland exprime toute lâactivitĂ© Ă©motionnelle de la texture mozartienne ; oui, Mozart est bien ce poĂšte du cĆur humain, des sentiments les plus ineffables, ce magicien qui explore et ausculte Ăąme et corps ; grĂące Ă lâĂ©loquence des instrumentistes lillois, lâĂ©criture orchestrale parle⊠et chante (comme un chanteur dâopĂ©ra) ; elle explique et commente mieux que des paroles chantĂ©es, tout ce qui se dĂ©voile peu Ă peu sur lâĂ©cran : la manifestation dâune mĂ©tamorphose. Pour autant, le lien entre la jeune femme qui dĂ©voile son visage et Thamos aurait pu ĂȘtre mieux expliquĂ©. Mettre en avant SaĂŻs ainsi est juste mais nâaurait-il pas aussi visualiser Thamos Ă ses cĂŽtĂ©s pour comprendre comment sa place est primordiale dans lâavĂšnement du Prince ?
La gangue primitive qui emprisonne SaĂŻs fait rĂ©fĂ©rence Ă la momification ; peu Ă peu se dĂ©roule sa mise Ă nu ; et lâĂȘtre vertueux se rĂ©vĂšle ainsi, resplendissant selon le rituel maçonnique Ă©gyptien. Lâimpression de sĂ©quences enchaĂźnĂ©es qui nuit Ă la continuitĂ© dâun vrai drame sâexplique par la nature mĂȘme de la musique Ă©crite par le jeune Mozart : musique de scĂšne plutĂŽt que drame musical continu. Les airs de solistes sont rares. Mais pas la caractĂ©risation des instruments solistes (cor, hautbois, flĂ»teâŠ).
Dans ce parcours instrumental qui suit lâaction en sâilluminant, David Reiland et le metteur en scĂšne nous parlent dâhumanitĂ© renouvelĂ©e, Ă naĂźtre, porteuse des valeurs et vertus des LumiĂšres ; ce miracle est lâenjeu et le sujet du drame de Thamos. Tout le systĂšme philosophique et moral superbement incarnĂ© / explicitĂ© par lâorchestre, annonce les valeurs de lâopĂ©ra Ă venir, plus accompli dans sa forme lyrique, et aussi chantĂ© en allemand, La FlĂ»te enchantĂ©e de 1791. Du langage classique des annĂ©es 1770, David Reiland fait un organe vivant, palpitant qui nous parle directement, veillant constamment aux phrasĂ©s, Ă la vitalitĂ© des contrastes : dans lâalliage des timbres associĂ©s, on y perçoit dĂ©jĂ les couleurs et les accents des opĂ©ras Ă venir : Idomeneo bien sĂ»r, mais aussi Don Giovanni et sa noblesse grave, dâessence tragique.
Comme la rĂ©solution de lâĂ©nigme visuelle / orchestrale, surgit lâespĂ©rance du 2Ăš choeur (Ă 24â18 : « Dieu dont la puissance sâĂ©tend sur toute chose! / Toi qui tâĂ©lĂšve et jamais ne faiblitâŠ. rĂšgne, souverain sans Ă©gal dans la grandeur » : excellemment prĂ©parĂ©s par Thibault Lenaerts, le chĆur de chambre de Namur (et la soprano qui sort de la masse chorale soulignant la dĂ©licatesse des instruments) apporte sa couleur articulĂ©e, transparente, fusionnant sans Ă©paisseur avec la ductilitĂ© dâun orchestre lui aussi comme sublimĂ©, irradiĂ© par lâenseignement lumineux et initiatique (cĂ©lĂ©bration du guide et pĂšre pour tous, garant du bien commun).
En un couronnement tendre, lâair de basse qui conclut le cycle confirme la maturitĂ© de cette Ă©criture mozartienne frappĂ©e du sceau de la sincĂ©ritĂ© (« Vous fils de la poussiĂšreâŠÂ ») : son souffle incantatoire se rapproche aussi de lâair du commandeur de Don Giovanni, vĂ©ritable proclamation presque terrifiante et avertissement Ă qui se dresserait contre le couronnement de Thamos le valeureux ; câest aussi une claire prĂ©figuration du personnage de Sarastro, grand prĂȘtre du soleil dans La FlĂ»te enchantĂ©e. Lâultime choeur (« Sublime Soleil, protĂšge la couronne du roi⊠», solarisation collective et cĂ©lĂ©bration du souverain Ă©clairĂ©) sonne comme un hymne de dĂ©livrance et de rĂ©confort.
LâĂ©quilibre sonore, la souplesse et lâĂ©lĂ©gance de la direction de David Reiland prĂ©servent le charme fraternel de la partition, son ambition humaniste, son raffinement formel comme son sens dramatique.
Encore embryonnaire en sa discontinuitĂ© archaĂŻque, la partition de Thamos manifeste une maturitĂ© directe qui pourra se dĂ©ployer pleinement dans La FlĂ»te EnchantĂ©e. Ce jalon de la dramaturgie mozartienne est magistralement dĂ©fendu par lâĂ©quipe lilloise. Superbe spectacle irradiĂ© de grandeur, dâespoir, de lumiĂšre. Du pain bĂ©ni pour notre temps. Un spectacle fort et lumineux Ă vivre sur la scĂšne du Nouveau SiĂšcle en novembre 2021. Incontournable.
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VOIR et REVOIR THAMOS roi dâEgypte par lâOrchestre National de Lille
sur la chaĂźne youtube de lâON LILLE ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE ici :
https://www.youtube.com/watch?v=fh_8qngY3ow&list=PLjt12Zt-aSM12p3JI5CXB8zllWROJOD9-&index=1
EN REPLAY jusquâau 5 juin 2021.
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VIDEO : entretien avec David Reiland : « Thamos est un véritable bijou »⊠dont il faut réussir la synchronisation entre musique et image.
https://www.youtube.com/watch?v=IpmaG_XU8FQ&list=PLjt12Zt-aSM12p3JI5CXB8zllWROJOD9-&index=3