CD critique. CHERUBINI : discoveries (1 cd DECCA – oct 2016). Riccardo Chailly nous habitue au dĂ©frichement. Sâagissant de Stravinksy, le geste exhumateur et le choix des partitions qui en profitent, se sont avĂ©rĂ©s judicieux, et le rĂ©sultant probant (LIRE notre critique du cd STRAVINKSY : Chant funĂšbre, premiĂšre mondiale : http://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-stravinsky-le-chant-funebre-le-sacre-chailly-1-cd-decca-2017/ ). Ce corpus CHERUBINI produit les mĂȘmes effets. Et nous enjoint Ă parler sâagissant du directeur du Conservatoire (en 1822) et du crĂ©ateur naturalisĂ© français en 1794, dâun compositeur moins italien que⊠français et surtout parisien. Le sens du drame, le goĂ»t du fantastique voire terrifique, bien dans la veine digĂ©rĂ©e du gluckisme, lâĂ©criture symphonique qui se place aux cĂŽtĂ©s de Beethoven et du premier Mendelssohn, reprĂ©cisent, sous la figure du florentin Luigi Cherubini (1760 – 1842), un compositeur authentiquement romantique.
La Symphonie romantique de Cherubini
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Sa (seule) symphonie ici reconstruite de 1824, est digne des auteurs germaniques Ă©voquĂ©s : on sent mĂȘme poindre dans la vitalitĂ© des contrastes, une excitation qui casse le modĂšle classique basculant plutĂŽt vers une verve prĂ©weberienne, exactement comme câest le cas des Ćuvres de Sigismund Neukomm (1778-1858 : cf son oratorio la RĂ©surrection de 1828 : http://www.classiquenews.com/la-resurrection-de-neukomm-le-couronnement-de-mozart/ ). En 1824, quand Cherubini compose sa Symphonie, Ludwig a dâailleurs composĂ© quasiment lâensemble de son corpus symphonique. VoilĂ qui prĂ©cise la situation particuliĂšre de Cherubini, longtemps taxĂ© uniquement de faiseur de cĂ©rĂ©monies pontifiantes pour le pouvoir monarchique (aprĂšs lâEmpire) : lâĂ©lĂ©gance virile de son Ă©criture a, on le comprend, beaucoup plu Ă Beethoven lui-mĂȘme, mais aussi (admiration rĂ©vĂ©latrice) Ă Schumann et Ă Brahms !
Les Marches, dont la majoritĂ© premiĂšres mondiales, illustrent de fait lâinspiration circonstancielle de Cherubini, son talent pour fixer une plĂ©nitude Ă la fois solennelle et dĂ©clamatoire, avec ce goĂ»t pour le grave, le lugubre, lâampleur sombre des TĂ©nĂšbres, comme le rappellent les deux derniĂšres piĂšces, Ă mettre en relation avec son Requiem en rĂ© mineur.
Lâouverture initiale souligne le faiseur dâopĂ©ras, douĂ© pour les atmosphĂšres contrastĂ©es, comme lâincarnent aujourdâhui, deux de ses ouvrages clĂ©s : Lodoiska (1791) puis surtout MĂ©dĂ©e (1797, puis rĂ©visĂ©e en 2 actes en 1802).
Riccardo Muti a rĂ©vĂ©lĂ© lâampleur du dĂ©corum façon Cherubini dans ses Messes (Solennelle pour le couronnement de Charles X, pour le sacre de Louis XVIII, Missa SolemnisâŠ). Riccardo Chailly quant Ă lui sâintĂ©resse Ă la veine orchestrale, dĂ©voilant la grandeur et la profondeur sans omettre la vitalitĂ© parfois abrupte de la Symphonie en rĂ© de 1824.
PortraiturĂ© par Ingres, Cherubini montre un visage sĂ©rieux, presque austĂšre, Ă peu prĂšs aussi souriant quâun magistrat : le peintre acadĂ©mique a fixĂ© les traits dâune institution dont le mĂ©tier sâentend dans cette symphonie rĂ©alisĂ©e pour Londres et qui est comme une synthĂšse Ă son Ă©poque. ComposĂ©e entre mars et avril 1824, la Symphonie en rĂ© majeur est une commande de la Royal Philharmonic Society et créée in loco sous la direction de Cherubini lui-mĂȘme : le plan est classique, dans la tradition de Haydn et Mozart (Largo / Allegro – Larghetto cantabile – inuetto : allegro non tanto – Allegro assai), auquel Cherubini apporte une connaissance de la fureur beethovĂ©nienne, et son goĂ»t pour la caractĂ©risation atmosphĂ©rique, perceptible dans son goĂ»t des alliages et de timbres. Conscient de cette rĂ©serve riche en contrastes, dĂ©veloppements thĂ©matiques, couleurs et accents opĂ©ratiques, Cherubini reprit son ouvrage pour en dĂ©duire son 2Ăšme quatuor en 1829 (rĂ©actualisant tempo et ordre des mouvements).
Les Français ces derniĂšres annĂ©es nâont pas attendu pour rĂ©vĂ©ler au grand jour lâintelligence architecturale et dramatique de la partition, en particulier les chefs habituĂ©s des instruments dâĂ©poque tels David Stern ou Bruno Procopio, prĂȘts Ă articuler et caractĂ©riser chacun des mouvements.
VoilĂ qui explique les limites de la prĂ©sente lecture milanaise : dĂ©pourvue de la subtilitĂ© individualisĂ©e des instruments dâĂ©poque, lâorchestre dirigĂ© par Chailly manque de dĂ©tails, de finesse, de transparence⊠le son est souvent lisse, rond, diluĂ© voire Ă©pais. Quel dommage. Pourtant la lecture ne manque ni de nervositĂ© ni de tension contrastĂ©e. Câest pourquoi la redĂ©couverte est rĂ©alisĂ©e, explicite par moitiĂ©.
Par contre lâouverture (en sol majeur) – digne dâun lever de rideau pour le meilleur opĂ©ra (1815), abondante en pĂ©ripĂ©tie (au dĂ©triment cependant de lâunitĂ© architectonique), et surtout les Marches ici restituĂ©es sont passionnantes. On y lit sous le decorum de leur contexte et genĂšse, ce goĂ»t pour la terribilitĂ lugubre, fantastique, voire effrayante : les obsĂšques du gĂ©nĂ©ral Hoche (oct 1797), surtout lâadmirable marche funĂšbre (pour les funĂ©railles du Duc de berry, le 14 mars 1820), indiquent clairement lâexpĂ©rimentation tonale dâun Cherubini touchĂ© par la grĂące dâune inspiration noire, tĂ©nĂ©briste, au souffle singulier. LĂ est la grande dĂ©couverte.
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