CD, critique. BERLIOZ : Harold en Italie / Les Nuits dâĂ©tĂ© (Zimmermann, Degout, Les SiĂšcles / FX Roth – 1 cd Harmonia Mundi, 2018). DâemblĂ©e, sâimpose Ă nous, le souffle Ă lâĂ©chelle du cosmique, exprimant ce grand dĂ©sir de Berlioz de faire corps et de communiquer avec une surrĂ©alitĂ© spectaculaire, Ă la mesure de sa quĂȘte idĂ©aliste. De telle vision conduisent lâorchestre en un parcours expĂ©rimental que le collectif sur instruments anciens, Les SiĂšcles concrĂ©tise avec une rigueur instrumentale bĂ©nĂ©fique ; lâattention et la prĂ©cision continue du chef fondateur François Xavier Roth font merveille dans une partition inclassable : poĂšme symphonique et concerto pour alto, opĂ©ra pour instrument : chaque mesure soliste est ciselĂ©e, creusĂ©e, habitĂ©e ; chaque couleur harmonique intensifiĂ©e⊠en un cycle de visions superlatives qui placent dâabord le geste instrumental au cĆur dâune vaste dramaturgie orchestrale.
Dans le I dâHarold (« aux montagnes : mĂ©lancolie, bonheur et joie »), le hĂ©ros / alto sâalanguit, sâenivre, affirmant Ă lâorchestre prĂȘt Ă le suivre, ses Ă©lans, ses dĂ©sirs, sa profonde nostalgie (lâItalie reste malgrĂ© un contexte mĂ©dicĂ©en difficile pour Hector,jeune pensionnaire de la villa Medicis Ă Rome, la source finale dâun grand bonheur artistique). Le premier mouvement du cycle orchestral nuance cet Ă©tat dâenivrement personnel et un rien narcissique, auquel la vitlalitĂ© fruitĂ©e de lâorchestre dâinstruments dâĂ©poque, apporte un soutien palpitant et mĂȘme Ă©lectrisĂ©e (bien dans la mouvance de lâeuphorie rĂ©volutionnaire de la Fantastique).
Tout ce premier tableau exprime la facilitĂ© du hĂ©ros (Hector lui-mĂȘme) Ă sâenivrer de son propre dĂ©sir et de son propre rĂȘve, de maniĂšre Ă©chevelĂ©e et Ă©perdue. La fusion sonore entre la soliste (Tabea Zimmermann, qui ne tire jamais la couverture Ă elle) et de lâorchestre est jubilatoire ; offrant cette extase instrumentale millĂ©mĂ©trĂ©e, emblĂšme captivant du gĂ©nie berliozien, divin orchestrateur, alchimiste des couleurs.
Harold captivant, suractifâŠ
Le II permet lâapaisement aprĂšs la premiĂšre dĂ©charge collective : marquĂ© par la marche des pĂšlerins dans cette mĂȘme campagne italienne, Berlioz en capte la douce et pĂ©nĂ©trante sĂ©rĂ©nitĂ© crĂ©pusculaire : la sobriĂ©tĂ©, le naturel font la saveur de cette « pause » qui berce par le chant orchestral en bĂ©atitude, sur lequel lâalto Ă©tire ses longues caresses rassĂ©rĂ©nĂ©es, comme lâĂ©cho aux accents des cors enveloppants. Roth respecte Ă la lettre lâindication « allegretto », allant, lĂ©ger, veillant Ă la transparence malgrĂ© le chant instrumental lĂ encore dâune grande richesse. Lâalto bercĂ©, sâhypnotise, sâenivre dans la paix murmurĂ©e : lĂ encore louons lâintonation trĂšs juste et fonciĂšrement poĂ©tique de Tabea Zimmermann.Soliste et chef adoptent de concert et en complicitĂ© un tempo de marche noble et tranquille, Ă lâĂ©noncĂ© final arachnĂ©en dâune finesse irrĂ©sistible.
La voluptĂ© du dĂ©sir amoureux nâest jamais loin chez Berlioz : en tĂ©moigne lâĂ©pisode III : la SĂ©rĂ©nade dâun montagnard des Abruzzes⊠lui aussi languissant, dans le dĂ©sir et donc lâattente (pas la frustration) : le caractĂšre rustique se dĂ©ploie dans le frottement des timbres dâĂ©poque, en un Ă©lan plein dâespoir (et de promesses pour lâamoureux Ă©perdu ?) : bavard, assez terne dans lâĂ©criture, le tableau pourrait ĂȘtre le moins intĂ©ressant : câĂ©tait oubliĂ© lâhyperactivitĂ© des instruments dont on loue encore lâĂ©quilibre sonore.
Mordant, le geste de Roth Ă©claire comme jamais la langueur plus incisive et presque douloureuse de lâorgie de brigands, dont lâĂ©noncĂ© premier sera rĂ©utilisĂ© dans le Requiem⊠de plus en plus syncopĂ©, le flux se fait nerveux, idĂ©alement profilĂ©, jusquâĂ la transe collective qui Ă©voque son opĂ©ra Benvenuto Cellini et tant dâĂ©vocations italiennes ; cette orgie confine au cauchemar dans ses Ă -coups trĂ©pidants, Ă©lectriques ; ses rĂ©surgences symphoniques Ă la coupe shakespearienne. Brillant, mordant, incisif, dâune finesse permanente, lâorchestre fait mouche dans ce festival de couleurs et dâaccents symphoniques.
⊠mais tristes Nuits
On reste moins convaincus par Les Nuits dâĂ©tĂ© dans la version pour baryton quâen offre StĂ©phane Degout : lâĂ©mission manque de naturel, vibrĂ©e, comme maniĂ©rĂ©e (la ligne vocale manque dâĂ©quilibre et de continuitĂ©, avec des aigus Ă©trangement couverts mais nasalisĂ©s, des fins de phrases effilochĂ©es, dĂ©timbrĂ©esâŠ), et dans une prise de son surprenante, qui semble superposer la voix SUR lâorchestre, plutĂŽt comme fusionnĂ© avec lui. Pourtant, Les SiĂšcles dĂ©voilent lĂ encore, une suractivitĂ© instrumentale rĂ©jouissante, faisant de ses Nuits dâĂ©tĂ©, un voyage dâextase, de ravissement, de plĂ©nitude sensoriel, dâune tension inouĂŻe.
Pourtant le choix dâun chanteur masculin sâavĂšre juste dans lâĂ©noncĂ© des poĂšmes, renforçant lâimpression de prise Ă tĂ©moins du public (« Ma belle est morte » / Lamento, « Sur les lagunes » ; »Reviens, reviens ma bien aimĂ©e », dans « Absence » ; LâĂźle inconnueâŠ). Avec un autre soliste plus simple dans le style et lâarticulation du français, nous tenions lĂ une version superlative.
Nos rĂ©serves sâagissant des Nuits dâĂ©tĂ© ne retire rien Ă lâexcellente lecture dâHarold dont la texture instrumentale et la rĂ©alisation expressive produisent une lecture de rĂ©fĂ©rence : voilĂ qui atteste lâapport indiscutable des instruments dâĂ©poque dans le rĂ©pertoire berliozien, et lâon sâĂ©tonne que toujours aujourdâhui, prĂ©domine la tenue plus brumeuse et moins caractĂ©risĂ©e des orchestres modernes pour Hector comme pour le romantisme français en gĂ©nĂ©ral.
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CD, Ă©vĂ©nement critique. BERLIOZ : Harold (soliste : Tabea Zimmermann, alto), Nuits dâĂ©tĂ© (soliste : StĂ©phane Degout) – (Les SiĂšcles, François-Xavier Roth – 1 cd HM Harmonia Mundi). Enregistrements rĂ©alisĂ©s en aoĂ»t 2018 (Les Nuits dâĂ©tĂ©, Alfortville) et mars 2018 (Paris, Philharmonie).
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APPROFONDIR
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BERLIOZ 2019 : les 150 ans de la mort. 2019 marque les 150 ans de la mort du plus grand compositeur romantique français (avec lâĂ©crivain Hugo et le peintre Delacroix) : Hector Berlioz. PrĂ©cisĂ©ment le 8 mars prochain (il est dĂ©cĂ©dĂ© Ă Paris, le 8 mars 1869). Triste anniversaire qui comme ceux de 2018, pour Gounod ou Debussy, ne lĂšve pas le voile sur des incomprĂ©hensions ou des mĂ©connaissances mais les augmentent en rĂ©alitĂ© ; car les cĂ©lĂ©brations souvent autoproclamĂ©es et pompeuses, nâapportent que peu dâavancĂ©es pour une juste et meilleure connaissance des intĂ©ressĂ©s. Quâont prĂ©cisĂ©ment apportĂ© en 2018, les anniversaires Gounod et Debussy ? Peu de choses en vĂ©ritĂ©, sauf venant de la province, soit disant culturellement plus pauvre et moins active que Paris : voyez Le PhilĂ©mon et Baucis, joyau lyrique du jeune Gounod rĂ©vĂ©lĂ© par lâOpĂ©ra de Tours / fev 2018 ; et le PellĂ©as et MĂ©lisande de Debussy dĂ©sormais lĂ©gendaire du regettĂ© Jean-Claude Malgoire Ă Tourcoing / mars 2018⊠LIRE notre grand dossier Hector Berlioz 2019