COMPTE-RENDU, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Bastille, 14 sept 2019. PUCCINI : Madame Butterfly. Ana Maria Martinez, Marie-Nicole Lemieux, Giorgio Berrugi⊠Orchestre de lâopĂ©ra. Giacomo Sagripanti, direction. Robert Wilson, mise en scĂšne. Retour de la mise en scĂšne mythique de Madame Butterfly (1993) de Robert Wilson Ă lâOpĂ©ra National de Paris ! La direction musicale de lâarchicĂ©lĂšbre opus de Puccini est assurĂ© par le chef Giacomo Sagripanti. Une reprise qui nâest pas sans dĂ©faut dans lâexĂ©cution mais toujours bienvenue et heureuse grĂące Ă la qualitĂ© remarquable de la production.
Madame Butterfly est lâopĂ©ra prĂ©fĂ©rĂ© de Puccini, « le plus sincĂšre et le plus Ă©vocateur que jâai jamais conçu », disait-il. Il marque un retour au drame psychologique intimiste, Ă lâobservation des sentiments, Ă la poĂ©sie du quotidien. Puccini pris par son sujet et son hĂ©roĂŻne, sâest plongĂ© dans lâĂ©tude de la musique, de la culture et des rites japonais, allant jusquâĂ la rencontre de lâactrice Sada Jacco qui lui a permis de se familiariser avec le timbre des femmes japonaises ! Si lâhistoire dâaprĂšs le roman de Pierre Lotti « Madame ChrysanthĂšme » fait dĂ©sormais partie de la culture gĂ©nĂ©rale et populaire, de propositions scĂ©niques comme celle de Robert Wilson ont la qualitĂ© dâimmortaliser davantage et lâoeuvre, et lâexpĂ©rience esthĂ©tique et artistique que sa contemplation reprĂ©sente.
Madame Butterfly de Wilson,
minimalisme tu me tiens !
Lâopus, un sommet lyrique en ce qui concerne lâexpression et le mĂ©lodrame, trĂšs flatteur pour les gosiers de ses interprĂštes sur scĂšne, pose souvent de problĂšme dans la mise en scĂšne. Lâhistoire de la geisha rĂ©pudiĂ©e aprĂšs mariage et idylle avec un jeune lieutenant de lâarmĂ©e amĂ©ricaine est dâun cĂŽtĂ© trĂšs contraignante au niveau dramaturgique, et trĂšs excessive au niveau du pathos et de lâaffect.
Une Ćuvre aussi exubĂ©rante dans le chant et aussi tragique dans sa trame, se voit magistralement mise en honneur par une mise en scĂšne minimaliste et immobile comme celle que nous avons le bonheur de redĂ©couvrir en cette fin dâĂ©tĂ©. Ici, Bob Wilson, avec ses costumes et ses incroyables lumiĂšres (collaboration avec Heinrich Brunke pour les derniĂšres), se montre maĂźtre de lâart dans le sens oĂč lâutilisation de lâartifice, Ă©purĂ©, est au service de lâhistoire. Rien nây est ajoutĂ©, rien nây est jamais explicité⊠De la froideur gestuelle apparente des personnages sort une intensitĂ© maĂźtrisĂ©e, qui captive et qui hante bien au-delĂ des deux heures de reprĂ©sentation.
Un travail si particulier doit ĂȘtre un dĂ©fi supplĂ©mentaire pour les chanteurs, qui doivent se maĂźtriser et physiquement et psychologiquement, tout en chantant un petit Ă©ventail dâĂ©motions souvent excessives ou exacerbĂ©es. En lâoccurrence nous sommes mitigĂ©s par rapport Ă lâexĂ©cution. Le tĂ©nor italien Giorgio Berrugi faisant ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra de Paris dans le rĂŽle du lieutenant F.B Pinkerton, a un chant dĂ©licieux : sa voix est trĂšs seine et le timbre est beau. Le duo dâamour qui clĂŽt lâacte 1 « Bimba, bimba⊠dalli occhi pieni di malia⊠vogliatemi bene » est un vĂ©ritable sommet dâexpression musicale pour lui et pour la soprano, il le chante avec vaillance et sentiment. Sâil est lĂ©gĂšrement plus audible quâAna Maria Martinez en Butterfly pendant ce duo, nous avons trouvĂ© son interprĂ©tation bouleversante dâhumanitĂ©. Son air de lâacte II : « Un bel di vedremo » a Ă©tĂ© dâune grande intensitĂ© théùtrale, mais nous constatons en cette premiĂšre quelques problĂšmes dâĂ©quilibre entre la fosse et la scĂšne, et elle sây trouve pĂ©nalisĂ©e.
Les nombreux rĂŽles secondaires paraissent parfois Ă©galement affectĂ©s par cette question, plusieurs de leurs performances se distinguent cependant : Laurent Naouri impeccable et implacable en Sharpless, Marie-Nicole Lemieux Ă la prĂ©sence remarquable en Suzuki, ou encore le Goro plus-que-parfait de Rodolphe Briand ! Les chĆurs dirigĂ©s par Alessandro di Stefano, sont tout Ă fait dans la mĂȘme situation, et nous fĂ©licitons ses efforts.
La direction de Giacomo Sagripanti pourrait ĂȘtre Ă lâorigine du dĂ©sĂ©quilibre notoire et regrettable pour une si magnifique production. Il sâagĂźt dâune impression que nous avons surtout au premier acte. Sâil existe une certaine volontĂ© du chef dâapporter une lecture plus cristalline quâĂ©motive, bienvenue, lâorchestre rĂ©ussi Ă vibrer plus Ă©quitablement au troisiĂšme acte.
Reprise mythique Ă lâOpĂ©ra National de Paris Ă dĂ©couvrir et redĂ©couvrir encore Ă lâOpĂ©ra Bastille les 9, 12, 19, 26, 29 et 30 octobre ainsi que les 1, 2, 5, 6, 8, 9 et 13 novembre 2019 avec deux distributions.