ADN BAROQUE, nov 2018. ENTRETIEN avec ThĂ©ophile Alexandre (chant) et Guillaume Vincent (piano). En une plongĂ©e inĂ©dite au cĆur de la passion baroque, les deux interprĂštes du spectacle ADN BAROQUE offrent un dĂ©voilement de lâintime, celui oĂč rĂšgnent fragilitĂ©, dĂ©sir, vertiges de lâĂąme humaine. Lâapproche est dĂ©pouillĂ©e, intimiste, ⊠elle souhaite dĂ©voiler comme une radiographie (chorĂ©graphiĂ©e sur scĂšne par JC Gallotta), les ressorts de la psychĂ© baroque, itinĂ©raires et passages entre ordre et dĂ©sordre, Ă©quilibre et chaos, autant de dĂ©rĂšglements fĂ©conds et miraculeux qui ont inspirĂ© les plus grands compositeurs⊠Pour classiquenews, aprĂšs les premiĂšres dates de leur tournĂ©e et aprĂšs la publication chez Klarthe records du cd qui en dĂ©coule (distinguĂ© par un CLIC de CLASSIQUENEWS en octobre 2018), le chanteur ThĂ©ophile Alexandre et le pianiste Guillaume Vincent reprĂ©cisent la genĂšse de ce programme en clair-obscur, en blanc et noir comme ils Ă©clairent sa dramaturgie entre chant, musique et danse. Entretien croisĂ©.
Selon quels critĂšres avez-vous sĂ©lectionnĂ© les extraits dâopĂ©ras et les piĂšces instrumentales ?
TA / ThĂ©ophile Alexandre : Au coup de cĆur, bien sĂ»r, mais surtout avec la volontĂ© de raconter une histoire, qui nous plonge au cĆur des Ă©motions humaines, chaque piĂšce incarnant un Ă©tat dâĂąme particulier, dĂ©codĂ© par notre musicologue Barbara Nestola (CNRS de Paris).
GV / Guillaume Vincent : Et nous nâavons choisi que des piĂšces courtes, ou raccourcies aux da capo, et uniquement en mode mineur, pour accentuer cette dramaturgie dâinstantanĂ©s Ă©motionnels, et crĂ©er du sens, une cohĂ©rence globale entre des compositeurs trĂšs diffĂ©rents (7 pour le disque, 9 pour le spectacle).
TA : Le tout en 21 piĂšces, comme les 21 grammes du poids de lâĂąme humaine, comme les lĂ©gendes populaires aiment Ă le raconter⊠(sourire)
Comment sâarticule chaque Ă©pisode afin de composer une dramaturgie cohĂ©rente ?
TA : Tout le propos dâADN Baroque est une relecture intime et inĂ©dite du baroque en piano-voix, un peu comme des lieder, pour mieux faire ressortir sa radiographie Ă©motionnelle de lâĂȘtre humain : cette « perle irrĂ©guliĂšre », en rĂ©fĂ©rence Ă son Ă©tymologie « Barocco », sans cesse tiraillĂ©e entre ses sentiments les plus nobles et ses instincts les plus primaires. Autant de facettes que le disque exploreâŠ
GV : Le fil conducteur Ă©tait de crĂ©er un voyage dans les clairs-obscurs de lâĂąme humaine, que le spectacle dĂ©cline en trois actes, dans un crescendo vers le plus intime de lâhomme : la LumiĂšre, les Ombres et la Nuit.
Comment avez-vous travaillé votre voix et le jeu pianistique pour ce programme ? Afin de préserver quels caractÚres en particulier ?
GV : DĂ©jĂ , nous signons toutes les adaptations en piano-voix de ces arias, Ă©crites Ă lâorigine pour orchestre : transcriptions sur lesquelles nous avons travaillĂ© pendant plus dâun an pour crĂ©er une relecture au plus proche des intentions des compositeurs, et en gardant les tonalitĂ©s Ă 415, mĂȘme avec piano. Mais dans certains cas, nous avons fait le choix de pousser plus loin la rĂ©invention, par des accents jazzy dans le Strike The Viol de Purcell, ou en passant Ă lâoctave lâinstrumental du Eja Mater et la ligne de baryton des Sauvages, ou encore avec un piano prĂ©parĂ© au cachemire pour le Cold Song et le Cum dederit.
TA : AprĂšs, vocalement, tout le travail sâest concentrĂ© sur lâexpressivitĂ©, la juste théùtralitĂ©, pour faire ressentir la puissance Ă©motionnelle de chaque morceau. Lâenjeu Ă©tait de privilĂ©gier le sens, dâincarner chaque Ă©tat dâĂąme plus que de chercher la belle vocalitĂ©, en assumant ces fragilitĂ©s qui servent lâĂ©motion. Car câest bien par nos failles que filtrent nos lumiĂšres, et quâĂ©merge ce petit supplĂ©ment dâĂąme qui nous rend humains.
GV : Jâajouterai que pianistiquement comme vocalement, ADN Baroque est un programme dâune exigence redoutable, par la virtuositĂ© technique quâil impose, notamment dans les furioso dâHaendel ou Vivaldi, mais aussi par la nĂ©cessitĂ© paradoxale de sâen dĂ©tacher pour explorer quelque chose de plus viscĂ©ral et dâinstinctif, tout en restant impliquĂ© dans lâesprit du compositeur.
Que signifie le Baroque pour chacun de vous ? Et de quelle façon cela est-il incarné dans le programme du disque, et le spectacle qui en découlent ?
TA : EmotivitĂ©, humanitĂ©, irrĂ©gularitĂ©. MalgrĂ© ses lourds habillages dâĂ©poque, ses fastes ou ses ornements, le baroque nâa eu de cesse de nous dĂ©shabiller pour mieux sonder nos Ăąmes et nous montrer sans fard, dans nos parfaites imperfections⊠Câest ce miroir trouble des clairs-obscurs de lâhumain, cette empathie des fragiles que nous avons voulu incarner par la puissance de lâintime que permet le piano-voix.
GV : Pour moi le baroque câest aussi un Ă©tat dâesprit de libertĂ©, que nous nous sommes autorisĂ©s dans cette relecture musicale inĂ©dite en dĂ©sobĂ©issant aux rĂšgles dâinterprĂ©tations sur instruments anciens, mais aussi sur scĂšne en cassant les codes du rĂ©cital traditionnel.
TA : Et puis le baroque câest le mouvement, ce que les changements dâhumeur permanents du disque retranscrivent et que la danse de Jean-Claude Gallotta me permet dâincarner dans le spectacle, crĂ©ant des va-et-vient incessants entre chant et danse, entre corps et Ăąme.
Y a-t-il des éléments du programme que vous avez adaptés voire modifiés au cours du travail scénique ? Lesquels et pourquoi ?
TA : Sur scĂšne, le programme sâenrichit dâinstrumentaux que je danse, sur des chorĂ©graphies créées sur-mesure par Jean-Claude Gallotta, en plus des mises en mouvement des piano-voix. AprĂšs, si le disque est construit comme une sĂ©rie dâinstantanĂ©s, le spectacle raconte un crescendo vers lâintimitĂ© de lâhumain : la setlist a donc Ă©tĂ© rĂ©organisĂ©e pour crĂ©er cette dramaturgie, tout en prenant en compte la fatigue que la performance chant et danse convoque. Par exemple : finir exsangue sur le erbarme dich sert lâĂ©tat de dĂ©pouillement total de la fin du spectacle⊠A lâinverse, les longues notes filĂ©es et tenues du Cum dederit nâĂ©taient plus chantables pour moi aprĂšs 1h de performance : la piĂšce nâa donc pas Ă©tĂ© retenue pour le spectacle.
GV : Le jeu des tonalitĂ©s a Ă©galement guidĂ© lâordre des piĂšces sur scĂšne, pour crĂ©er des continuum entre elles et faire monter la tension Ă©motionnelle de lâauditeur. Et puis nous nous amusons Ă rajouter des intro et des outro, variations libres sur les thĂšmes de certains morceaux, oĂč lĂ encore, lâenjeu nâest pas de restituer mais bien de faire vivre ces Ćuvres les unes par rapport aux autres et de raconter une histoire porteuse de sens.
Propos recueillis en novembre 2018.
APPROFONDIR
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VIDEO ADN BAROQUE : piano, danse, chant / Haendel / Vivaldi:
http://smarturl.it/ADNBAROQUE?IQid=www.klarthe.com
LIRE aussi notre critique du cd ADN BAROQUE
CD Ă©vĂ©nement. ADN BAROQUE (Alexandre / Vincent, 1 cd Klarthe records). Câest une mise Ă nu, au sens propre comme au sens figurĂ© : le chanteur pose nu sur le piano. Et dĂ©livre un chant brut mais millimĂ©trĂ© comme un diseur dans le lied ou la mĂ©lodie française. En blanc et noir, en une approche « radiographique », les deux artistes rĂ©gĂ©nĂšrent lâexercice du rĂ©cital lyrique. Le travail se concentre sur le relief intime, le souffle, lâintonation et la projection du verbe⊠rĂ©pond Ă ce souci du sens et de lâaffect (un principe moteur dans lâesthĂ©tique baroque, en particulier Ă lâopĂ©ra dont sont extraits maintes sĂ©quences ici), le piano, complice privilĂ©giĂ© pour cette exacerbation canalisĂ©e des passions humainesâŠ
Les titres de chaque extrait sont parlants, porteurs dâun imaginaire psychologique dĂ©sormais essentiel car il est ici vĂ©cu et jouĂ© de façon viscĂ©rale : « lâoubli, la cĂ©lĂ©bration, lâambition⊠lâeffroi, la colĂšre, lâabandon, les larmes, la liberté »⊠La palette est aussi large que lâimplication des deux interprĂštes profonde, parfois grave, toujours intense. LIRE notre critique complĂšte ici :
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-adn-baroque-alexandre-vincent-1-cd-klarthe-records/