CRITIQUE, CD Ă©vĂ©nement. Molière / Lully : musiques pour la comĂ©die-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021) – IntercalĂ©es dans la pièce de Molière, les musiques de scènes (ballets, divertissements, airs…) de Lully soulignent le gĂ©nie facĂ©tieux du surintendant de la musique depuis 1661 ; sa verve n’a de limite que le gĂ©nie de Molière ; chacun semble mĂŞme rivaliser d’astuces expressives, de finesse parodique sur le thème d’un Bourgeois dĂ©sireux d’être anobli… Ă l’heure oĂą la Cour ne parle que des Turcs en audience près du Roi-Soleil. Les 2 Baptistes ont prĂ©cĂ©demment prĂ©sentĂ© (Ă©galement Ă Chambord, devant la Roi) Monsieur de Pourceaugnac (1669). Pour cette restitution des parties intĂ©grales que Lully a alors façonnĂ©es, le Poème Harmonique met en lumière l’articulation langoureuse des jeunes tempĂ©raments du chant baroque actuel ; le Bourgeois Gentilhomme s’il moque l’exotisme des moeurs du Grand Turc Ă travers une charge contre son ambassade alors Ă Versailles pour une rĂ©ception attendue, reportĂ©e auprès de Louis XIV, exprime d’abord au I, l’empire de l’amour sur des cĹ“urs enivrĂ©s ; se distingue avant tout, l’essor poĂ©tique des premières scènes du drame de 1670, la flamme dĂ©sirante de l’élève du MaĂ®tre de musique, de la musicienne, du 2è musicien, trio vocal en extase que la musique sublime par ses Ă©lans nostalgiques et caressants. DĂ©jĂ , Lully et Molière Ă©laborent le futur opĂ©ra français Ă venir, 3 ans plus tard.
Délire poétique, verve satirique…
Molière & Lully : un génie théâtral à 4 mains
Mr Jourdain veut ĂŞtre gentilhomme certes : il devra d’abord passer par plusieurs rites / « apprentissages », dont celui de la musique amoureuse. Ce que nous fait entendre Le Poème Harmonique non sans un sens de l’ivresse la plus enchantĂ©e dans les accents et les inflexions du chant accompagnĂ©. MĂŞme les intermèdes (airs des « garçons tailleurs » puis « entrĂ©e des cuisiniers » qui suit), s’ils n’ont pas l’ampleur de l’orchestre de Lully qui fut plus nombreux et Ă©toffĂ©, dansent avec une belle vivacitĂ© ; caractĂ©risent suffisamment les chansons Ă boire (vĂ©ritable apologie du vin!).
 Le point d’orgue reste la cĂ©rĂ©monie turque en 9 sĂ©quences (finale grandiose et farcesque de l’acte IV) que les musiciens inscrivent avec justesse entre parodie et sincĂ©ritĂ©, tension dramatique et recrĂ©ation exotique, truculence et joie ironique, irrĂ©vĂ©rencieuse voire sacrilège… ; l’entrĂ©e accorde les gestes en une vaste supercherie collective oĂą le Mufti, les 12 turcs, les 4 dervis exposent leur foi ; Molière explore toutes les nuances du dĂ©lire d’une critique libre et dĂ©jantĂ©e des croyances orientales. Pas sĂ»r aujourd’hui, que tel affront railleur ne passe inaperçu chez certains : la verve insolente de Molière annonce celle de Voltaire et la musique de Lully se montre d’une gĂ©niale Ă©nergie, prĂŞte Ă enflammer le jeu des mots, la gastronomie des allitĂ©rations en fĂŞte. De sorte que dans l’élan de la satire enjouĂ©e, ce rituel qui intronise le vaniteux Jourdain, pourtant heureux de se voir glorifiĂ© ici en vrai mahomĂ©tan, se termine en belle bastonnade : l’orgueil de Jourdain est châtiĂ©. Et sa naĂŻvetĂ© Ă©pinglĂ©e : dindon rhabillĂ©, il donne finalement la main de sa fille au fils du grand turc !
Tout autre est le Ballet des nations oĂą des gens d’origine (et de langues accentuĂ©es) diverse(s) : gascons, suisses, espagnols, italiens,… se disputent, s’énervent franchement, rĂ©clamant « le livre du ballet » dont il est question (comme si les acteurs fixaient alors la question que se pose le spectateur Ă ce moment du drame : de quoi est-il question ? Quel est l’enjeu de ce tableau ?) ; en maĂ®tres des foules et des ensembles ciselĂ©s, Molière et Lully s’entendent Ă portraiturer une humanitĂ© contrastĂ©e, bariolĂ©e, lĂ aussi dĂ©jantĂ©e ; bel effet de leurs talents accordĂ©s oĂą musique et chant, danses et textes exacerbent toutes les possibilitĂ©s et ressources poĂ©tiques sur les planches. Il n’est que la musique, divine, noble, Ă©lĂ©gantissime, versatile comme les sĂ©quences théâtrales (sublime chaconne des comĂ©diens bouffes italiens, …), qui puisse unifier tout cela, au son d’un Ă©lan qui pointe le but ultime (et l’un des derniers mot du livret) : l’Amour. A la cacophonie rĂ©pond ainsi des stances subtilement langoureuses (lamento et plainte dans la 3è entrĂ©es des « Espagnols chantant », idĂ©alement / douloureusement, amoureux…). Fin et engagĂ©, Le Poème Harmonique exprime cette surenchère drĂ´latique et dramatique, ce grand chaos poĂ©tique et satirique, Ă la fois libre et dĂ©lirant qui est Ă la source du Baroque français. IrrĂ©sistible. D’autant mieux apprĂ©ciĂ© et bienvenu pour les 400 ans de la naissance de Molière en janvier 2022.
__________________________________________
CRITIQUE, CD Ă©vĂ©nement. Molière / Lully : musiques pour la comĂ©die-ballet LE BOURGEOIS GENTILHOMME (1670). Le Poème Harmonique (1 cd Château de Versailles Spectacles – avril 2021). Prise de son parfois confuse, dans les choeurs et les tutti.
CLIC de CLASSIQUENEWS de janvier 2022.
__________________________________________
Autre CD MOLIERE sur CLASSIQUENEWS :
CD Georges Dandin par l’Ensemble Marguerite Louise / Gaétan Jarry (1 cd Château de Versailles Spectacles – fev 2020 – CLIC de CLASSIQUENEWS) –  Les musiques des intermèdes et de la Pastorale pour la comédie Georges Dandin de Molière précise l’ambition de Lully sur le plan lyrique avant l’élaboration d’un modèle pour l’opéra français. Ici rayonnent déjà la puissance onirique des instruments, habiles à suggérer cet accord rêvé, harmonieux entre Nature et bergers ; a contrario de la peine de Dandin, les bergères disent par leur chant, l’empire de l’amour et ce flux tragique qu’il peut susciter (leurs amants semblent noyés)