CD, critique. STRAUSS : lieder / DIANA DAMRAU / MARISS JANSONS (1 cd ERATO, janv 2019). Dâabord, analysons la lecture des lieder avec orchestre : Diana Damrau, soprano allemande, mozartienne et verdienne, au sommet de son chant charnel et clair, parfois angĂ©lique, se saisit du testament spirituel et musical du Strauss octogĂ©naire, le plus inspirĂ©, qui aspire alors Ă cette fusion heureuse, poĂ©tique, du verbe et de la musique en un parlĂ© chantĂ©, « sprechgesang » dâune absolue plasticitĂ©. Une lecture extrĂȘmement tendre Ă laquelle le chef Mariss Jansons (lâune de ses derniĂšres gravures rĂ©alisĂ©es en janvier 2019 avant sa disparition survenue en nov 2019) sait apporter des couleurs fines et dĂ©taillĂ©es ; une profondeur toute en pudeur.
NĂ©e en BaviĂšre comme Strauss, Diana Damrau rĂ©alise et concrĂ©tise une sorte de rĂȘve, dâĂ©vidence mĂȘme en chantant le poĂšte compositeur de sa propre terre. Strauss Ă©tait mariĂ© Ă une soprano, Ă©crivant pour elle, ses meilleures partitions. Celle qui a chantĂ© Zerbinette, figure fĂ©minine aussi insouciante que sage, Sophie, autre visage dâun angĂ©lisme loyal, Aithra du moins connu de ses ouvrages HĂ©lĂšne dâEgypte / Die Ăgyptische Helena, se donne totalement Ă une sorte dâenivrement vocal qui bouleverse par sa sincĂ©ritĂ© et son intensitĂ© tendre comme on a dit.
Des Quatre derniers lieders / Ver Letzte Lieder, examinons premiĂšrement « FrĂŒhling » : Ă©perdu, rayonnant voire incandescent grĂące Ă lâintensitĂ© ardente et pourtant trĂšs claire des aigus, portĂ©s par un souffle ivre. Cependant, la ligne manque parfois dâassise, comme si la chanteuse manquait justement de soutien. Puis, « September » sâenivre dans un autre extase, celle dâune tendresse infinie dont le caractĂšre contemplatif se fond avec son sujet, un crĂ©puscule chaud, celui enveloppant dâune fin dâĂ©tĂ© ; la caresse symphonique y atteint, en ses vagues ocĂ©anes gorgĂ©es de voluptĂ©, des sommets de chatoyance melliflue, – cor rayonnant obligĂ©, pour conclure, oĂč chez la chanteuse sâaffirme cette fois, la beautĂ© du timbre au legato souverain.
« Beim Schlafengehen » dâaprĂšs Hermann Hesse, plonge dans le lugubre profond dâune immense lassitude, celle du poĂšte Ă©prouvĂ© par le choc de la premiĂšre guerre et le dĂ©clin de son Ă©pouse : impuissance et douleur ; la sincĂ©ritĂ© et cet angĂ©lisme engagĂ© quâexprime sans affect la diva, bouleversent totalement. En particulier dans sa rĂ©ponse au solo de violon qui est lâappel Ă lâinsouciance dans la candeur magique de la nuit. Cette implication totale rappelle lâinvestissement que nous avons pu constater dans certains de ses rĂŽles Ă lâopĂ©ra : sa Gilda, sa Traviata⊠consumĂ©es, ardentes, brĂ»lantes. Presque wagnĂ©rienne, mais prĂ©cise et mesurĂ©e, la soprano au timbre ample et charnel reste, -intelligence suprĂȘme, trĂšs proche du texte, faisant de cette fin, un dĂ©chirement troublant.
« Im Abendrot » : malgrĂ© lâĂ©mission premiĂšre de lâorchestre, trop brutale, Ă©paisse et dure, le soprano de Damru sait sâĂ©lever au dessus de la cime des cors et des cordes. La qualitĂ© majeure de Diana Damrau reste la couleur spĂ©cifique, mozartienne que son timbre apporte Ă lâarticulation et lâharmonisation des Lieder orchestraux : irradiĂ©, embrasĂ©, et pourtant sincĂšre et tendre, transcendĂ© et humain, le chant de Diana Damrau convainc totalement : il sâinscrit parmi les lectures les plus personnelles et abouties du cycle lyrique et symphonique.
La flexibilitĂ© des registres aigus, lâaccroche directe des aigus, la prĂ©sence du texte, rendent justice Ă lâĂ©criture de Richard Strauss qui signe ici son testament musical et spirituel, un accomplissement musical autant quâun adieu Ă toute vie.
Le reste du programme enchaĂźne les lieder avec la complicitĂ© toute en fluiditĂ© et dĂ©licatesse du pianiste Helmut Deutsch, Ă partir de Malven⊠qui serait donc le 5Ăš dernier lieder dâun Strauss saisi par lâinspiration et dâun sublime remontant Ă nov 1948, « derniĂšre rose » pour sa chĂšre diva Maria Jeritza⊠laquelle, comme soucieuse et trop personnelle, rĂ©vĂ©la lâair en 1982 ! Le soprano de Damrau articule, vivifie les 4 MĂ€dchenblumen dont la coupe et le verbe malicieux, enjouĂ© rappelle constamment le caractĂšre de Zerbinette. Ce caractĂšre de tendresse voluptueuse quasi extatique appelant Ă un monde pacifiĂ©, idyllique qui nâexistera jamais, semble dans le pĂ©nultiĂšme Befreit, chef dâoeuvre Ă lâĂ©noncĂ© schubertien, traversĂ© par la mort et la perte, le deuil dâune ineffable souffrance bientĂŽt changĂ©e en bonheur final, que la diva incarne embrasĂ©e dans le moelleux dâaigus irrisĂ©s et calibrĂ©s, son timbre Ă©prouvĂ©, attendri.
Morgen lâultime lied orchestrĂ©, dâaprĂšs le poĂšme de Mackay, se cristalise en une ivresse Ă©perdue qui aspire au renoncement immatĂ©riel, Ă lâĂ©vanouissement, Ă la perte de toute chose : legato, flexibilitĂ©, beautĂ© du timbre, associĂ© Ă lâĂ©lĂ©gie du violon solo font un miracle musical pour ce programme dâune Ă©vidente musicalitĂ©. Splendide rĂ©cital, Ă©lĂ©gant, tendre, musical. Bravo Diana.
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CD, critique. STRAUSS : lieder / DIANA DAMRAU / MARISS JANSONS (1 cd ERATO, janv 2019). Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks / Mariss Jansons. Lâheure nâest pas aux comparaisons dĂ©raisonnables tant leurs timbres et moyens respectifs sont trĂšs diffĂ©rents mais le hasard des parutions fait que ERATO publie en janvier le mĂȘme programme des Quatre derniers lieder, par Diana Damrau donc (orchestre) et par la franco-danoise Elsa Dreisig (piano), cette derniĂšre interprĂšte hĂ©las moins convaincante et naturelle que sa consĆur allemande⊠dâautant que la chanteuse française intercale diverses mĂ©lodies françaises et russes entre chaque lied de Strauss, au risque dâopĂ©rer une cĂ©sure dommageableâŠ
VIDEO : Diama DAMRAU chante September de Richard Strauss
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