CD. Coffret Ă©vĂ©nement. Sibelius : the Symphonies, remastered edition (Leonard Bernstein, 1960-1966, 7 cd Sony classical. Leonard Bernstein, – comme c’est le cas de Mahler, est le premier chef Ă s’intĂ©resser spĂ©cifiquement aux Symphonies de Sibelius : voici rééditĂ© en version remastĂ©risĂ©e, le cycle des 7 Symphonies du compositeur finnois, première intĂ©grale enregistrĂ©e au disque par le maestro quadragĂ©naire (Bernstein est nĂ© en 1918). Depuis Anthony Collins dans les annĂ©es 1950, et surtout Serge Koussevitsky pionnier et crĂ©ateur pour Sibelius, il n’existait pas de cycles symphoniques dĂ©diĂ©s aux Symphonies de Sibelius, en particulier de corpus spĂ©cifiquement enregistrĂ©. L’épopĂ©e visionnaire et fondatrice de Leonard Bernstein pour l’intĂ©grale des Symphonies de Sibelius, en complicitĂ© avec le Philharmonic de New York, remonte Ă mars 1960 (7ème) et jusqu’à mai 1967 (6ème). C’est la première intĂ©grale de l’histoire du disque.
En vĂ©ritĂ©, la connaissance de Bernstein et son amour pour le Finnois remontent Ă beaucoup plus loin. Assistant Ă Tanglewood du mĂŞme Koussevitzky, le jeune Bernstein des annĂ©es 1940 apprend auprès de son maĂ®tre, une maĂ®trise orchestrale inĂ©dite et aussi un goĂ»t spĂ©cifique pour les symphonistes du XXè. Ecartant Richard Strauss, il s’engage logiquement pour Gustav Mahler (prolongeant l’oeuvre de Bruno Walter) et surtout se passionne avec un zèle d’une juvĂ©nile ardeur pour le catalogue sibĂ©lien. Les 7 Symphonies de ce coffret en tĂ©moignent, de surcroĂ®t dans une prise de son remastĂ©risĂ©e qui dĂ©voile tout ce travail sur l’équilibrage des pupitres et le choix des tempo, d’un mouvement Ă l’autre, d’une symphonie Ă l’autre. Dès 1960, dans la 7ème, Bernstein opte pour une vision Ă©lastique et versatile des tempo selon les mouvements : ralentissant volontiers pour mieux accuser la profondeur poĂ©tique des atmosphères (comme dans l’Adagio Ă©tirĂ© de la 2ème ; introspection Ă©tale – trop?-, dans le Finale de la 4ème de 1909), tout en assurant la continuitĂ© et le jeu des correspondances organiques d’une sĂ©quence Ă l’autre. Bernstein assure la vision de l’architecte tout en ciselant des dĂ©tails d’ornementation ou d’orchestration saisissant de finesse.
Cette 7ème, synthèse de toute la pensée symphonique et musicale de Sibelius, reste le testament le mieux affiné de Bernstein, plus proche des tempo -lents- de son mentor Koussevitzky-, rompant avec la rapidité voulue par Sibelius et que respecte Beecham par exemple.
Plus instinctive et sentimentale, moins intellectuelle et analytique (comme cela peut être le cas d’un Rattle), la passion de Bernstein pour Sibelius révèle des trésors d’invention instrumentale, d’autant plus passionnants que le traitement remastérisé des bandes de 1960 à 1967 nettoyées (restituées dans leur prise originelle soit 24 bit / 96 khz), souligne ce travail particulier sur les combinaisons de timbres, couleurs, caractères et climats enchaînés (les bois clarinettes, bassons et hautbois, le tapis des cordes, les cuivres aussi… gagnent en particulier un relief particulier) qui nous placent au cœur du fourneau orchestral, comme si nous étions au cœur du cyclone, dans la matrice à la fois euphorique et palpitante de la matière sonore (expression du fatum dans l’ample Andante de la IIè, ou questionnement perpétuel du Finale de la 6ème, à la fois accomplissement et ouverture baignées de mystère : la clé des symphonies de Sibelius ne serait-elle pas dans leurs dernières mesures, toutes énoncés comme des énigmes?).
Aujourd’hui le geste de Bernstein à la tête du Philharmonic de New York outre qu’il montre la souplesse transparente dont est capable la phalange américaine, insiste sur la problématique clé de l’oeuvre sibélien : le rapport du développement de la forme rapporté à son expressivité. Adepte de la synthèse voire de la litote, Sibelius n’a cessé d’interroger le sens même du développement symphonique : que dire et dans quel discours, dans quel « programme », de quelle façon, selon quel « plan » ? A la fois musique pure et aussi climats musicaux que l’on ne saurait détacher d’un évident panthéisme, chaque Symphonie de Sibelius recueille et prolonge l’enseignement des grands maîtres qui l’ont précédé, Tchaikovski, Mahler, Brahms… C’est un laboratoire qui renouvelle totalement les choix du vocabulaire instrumental et l’architecture structurelle de chacune des pièces symphoniques. Des classiques premières à la suprême synthèse : cette 7ème aux mouvements fondus, enchaînés, en un flux permanent de moins de …23 mn précisément (sous sa baguette).
L’ivresse dionysiaque que Bernstein est le seul à épanouir chez Sibelius, avec cette acuité et cette sensualité débridée, étonne toujours aujourd’hui. C’est le fruit manifeste d’une complicité évidente entre un chef et son orchestre, entre un interprète et un monde sonore, en totale affinité. Une identification du chef au compositeur que l’on retrouve par exemple chez Karajan, s’agissant des Symphonies de Beethoven ou de Tchaikovski. Le legs discographique de Bernstein chez Sibelius est d’autant plus précieux que Karajan n’eut jamais le désir ni l’inspiration d’enregistrer les Symphonies de Sibelius (à l’exception de Finlandia, le cygne de Tuonela, la Valse triste et Tapiola, en février 1984 avec le Berliner Phil. : LIRE notre critique du coffret Karajan, les années 1980 chez Deutsche Grammophon).
Le coffret Sony classical 2015 comprend outre les 7 Symphonies, le Concert pour violon avec le violoniste français Zino Francescati (New York, 1963), ou d’autres morceaux indémodables nés du génie de Sibelius : La Valse triste, Le Cygne de Tuonela, Finlandia, La Fille de Pohjola, Luonnotar (soprano soliste : Phyllis Curtin), et proche du monde sibélien, l’univers onirique / épique de son confrère norvégien, Grieg (Suites de Peer Gynt).
Il faut absolument écouter lcomme un choix prioritaire le cd 5, réunissant comme en un écart récapitulatif les 6ème de 1967, et 7ème de 1960. La clarté scintillante qui éblouit le flux continu de la 6ème, la ré mineur (la plus autobiographique probablement, comme l’est aussi celle de Mahler) dès son amorce allegro, d’un épanouissement sonore rarement exprimé avec autant de plénitude, semé d’éclairs dramatiques, captive : le final du premier mouvement s’achève comme une question sans réponse. L’hédonisme sensuel, la vitalité et l’hypersensibilité de la direction font merveille dans une symphonie qui est l’expression même de l’âme et de la sensibilité. Enchaînée avec le 7ème et pourtant distante de 7 années, la 7ème touche par son économie, l’incandescence de sa matière sonore portée à la fusion : Bernstein nous offre un métal d’une pureté absolue, faisant couler la riche texture sibélienne gorgée de ce soleil éblouissant dont il a le secret dans cette gravure mythique de 1960 : l’amorce de son cycle discographique où préservant la fine cohérence structurelle de la Symphonie en un seul mouvement, la versatilité rythmique, le raffinement agogique, saisissent du début à la fin. Un must absolu.
Plurielle et généreuse, d’un fini instrumental exceptionnel admirablement servi par la nouvelle prise de son nettoyée dans cette réédition 2015, la vision de Bernstein sort régénérée, bouillonnante et dansante, d’une ivresse atmosphérique, souvent irrésistible. Chez Sibelius, Bernstein fait chanter les plus profondes aspirations de l’âme.
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LIRE aussi notre grand dossier Sibelius 2015.
Track listing / programme du coffret Sibelius par Bernstein 2015 :
Bruch: Violin Concerto No. 1 in G minor, Op. 26
Grieg: Peer Gynt Suite No. 1, Op. 46, Peer Gynt Suite No. 2, Op. 55
Sibelius: intégrale des Symphonies n°1 à 7.
Violin Concerto in D minor, Op. 47
Zino Francescatti (violin)
Valse Triste, Op. 44 No. 1
Lemminkäinen Suite, Op. 22: The Swan of Tuonela (No. 2)
Finlandia, Op. 26. Luonnotar, Op. 70 (Text: Kalevala)
Phyllis Curtin (soprano)