Compte rendu, critique, opĂ©ra. SALZBOURG, le 1er aoĂ»t 2020. Strauss : Elektra. Welser- Möst / Warlikowski. Toute lâaction se dĂ©roule au bord dâune piscine ; dâun saunatorium, Ă lâĂ©cart du palais des Atrides. Lâeau glacĂ©e de la vengeance : Pour Warlikowski, Elektra demeure la proie dĂ©passĂ©e, dĂ©bordĂ©e dâun trop plein de haine vengeresse : comment laver la souillure propagĂ©e par lâassassinat de son pĂšre Agamemnon ; crime commis par sa mĂšre Clytemnestre, aidĂ©e de son amant Egiste. Quand Elektra plonge sa main dans lâeau du bassin royal, le dĂ©sir de puretĂ© doit sâaccomplir. QuĂȘte radicale, irrĂ©pressible, âŠ
Volcan orchestral et lave vocale
Pour son centenaire, Salzbourg rĂ©ussit sa nouvelle production d’Elektra
Eau pure contre sang versĂ©. LâidĂ©e est juste, mais pourquoi encore et toujours nous infliger un monologue parlĂ©, rĂ©citĂ© de Clytemnestre avant lâaction lyrique ? Le metteur en scĂšne polonais dĂ©livre sans pudeur ses propres tourments obsessionnels quitte Ă rompre le fil musical et tuer lâimpact du chant lyrique. Strauss et Hofmannsthal (2 cofondateurs du Festival de Salzbourg en 1922) nâauraient certes pas apprĂ©ciĂ© cette incursion du théùtre parlĂ© (et surtout hurlĂ©) dans lâopĂ©ra, genre total qui se suffit Ă lui-mĂȘme. Dâautant que le théùtreux ajoute encore et toujours ses images vidĂ©os, censĂ©es expliciter les relations (incestueuses ou sadomaso) entre les personnages. Mais la vraie folle ici est bien la mĂšre (Clytemnestre) plutĂŽt que la fille⊠De mĂȘme, Ă la quasi fin de lâaction, Warlikowski rĂ©pĂšte encore, insiste toujours, assĂšne jusquâĂ lâĂ©cĆurement visuel (lâimmense giclĂ©e de sang quand sont tuĂ©s Clytemnestre et Egiste puis la nuĂ©e de mouches volantes). Il est comme cela : trivial ; et volontiers redondant plagiant la musique qui elle est un volcan dâune force inouĂŻe.
Dans le premier quart dâheure, Elektra est raillĂ©e et diabolisĂ©e par les suivantes de la cour mycĂ©nienne. Sa haine affichĂ©e suscite lâironie cynique des unes, la dĂ©testation dâune mĂšre aigre, quand seule sa soeur ChrysotĂ©mis admire sa loyautĂ© au pĂšre⊠Puis seule Elektra exprime sa profonde solitude impuissante, lâimpossibilitĂ© pourtant de laisser le meurtre de son pĂšre Agamemnon, impuni. « Agamemnon, pĂšre oĂč es-tu? ». La vision du sang versĂ© lâobsĂšde jusquâĂ la folie : Ausrine Stundyte habite le personnage avec une clartĂ© qui foudroie, un chant hallucinĂ©, Ăąpre et tendu qui prend appui sur les vertiges et crispations dâun orchestre complice qui danse et trĂ©pigne, quand la fille enfin victorieuse sâimagine aprĂšs avoir tuĂ© la mĂšre vicieuse et sanguinaire, danser sur la tombe de son pĂšre vengĂ© (somptueuse plasticitĂ© des Wierner Philharmoniker et direction contrastĂ©e, dĂ©taillĂ©e, ardente de Franz Welser-Möst, lequel confirme ses affinitĂ©s straussiennes). Plus lĂ©gĂšre, ChrysotĂ©mis (parfaite Asmik Grigorian, plus insouciante, plus lĂ©gĂšre) parvient Ă peine Ă contenir la rage furieuse de sa soeur Electre : elle nâa pas sa force morale ni son courage. Car leur frĂšre Oreste, exilĂ©, se fait attendre⊠Celui ci trouve dans le baryton Derek Welton, un chant aussi profond et pĂ©nĂ©trant, actif et vengeur que sa sĆur. Câest lui lâĂ©tranger (et pourtant de la maison) qui vengera le crimeâŠ
La Clytemnestre, maladive insomniaque, supersitieuse mĂ©dicalisĂ©e, qui cauchemarde (Warlikowski montre tout cela avec un cynisme minutieux) affecte dâĂȘtre victime⊠de sa propre fille dont elle fait cette « ortie »rebutante, ingrate et barbare (honnĂȘte Tanja A. Baumgartner Ă la vocalitĂ© fauve de louve qui se tortille). La mĂšre, adepte aux rites et aux magies sanglantes, est une charogne qui sait trop la force divine qui habite la juste Electre.
Tissu psychĂ©dĂ©lique, en tensions et convulsions psychologiques, lâOrchestre fait jaillir la sauvagerie des pulsions de chaque protagoniste, toutes les Ă©nergies qui les submergent ; il exprime les obsessions de la fille (le regard du pĂšre assassinĂ©) ; son dessein surtout : tuer sa mĂšre ; puis les obsessions de la mĂšre (son rĂȘve / cauchemar en charogne dont la moelle sâĂ©puise : « je ne veux plus rĂȘver »)⊠son besoin de faire saigner une nouvelle victime pour retrouver le sommeil. Ainsi dans cette version sâaffirme comme un roc la claire dĂ©termination dâElektra : elle rĂ©fute ce quâon lui dit (quand ChysotĂ©mis annonce la mort dâOreste, « Ă©crasĂ© par ses propres chevaux ») ; face Ă sa mĂšre dont elle ne souhaite quâune chose : sa mort. Et celle de son amant Egiste. Plus radicale face Ă ChrysotĂ©mis qui lui rĂ©siste : Elektra nâaccepte pas que sa sĆur refuse de tuer avec elle, les assassins de leur pĂšre : elle maudit ChrysotĂ©mis. A travers lâorchestre, lâĂ©criture de Strauss offre lâĂ©tendard sonore et sanguinaire de la tragĂ©die grec antique. A coups dâarchets nets et prĂ©cis, dâĂ©clats mordants, le corps instrumental sculpte la matiĂšre incandescente
Quand paraĂźt Oreste⊠surgit la sĂ©quence la plus bouleversante : le frĂšre et la soeur se reconnaissent ; deux dĂ©calĂ©s, solitaires qui sâignorent dâabord puis comprennent que leur sort est lié⊠pour venger leur pĂšre. LâOrchestre dit alors toute la souffrance qui les submerge et les aimante ( Ă 1h20) : « Oreste, Oreste, Oreste ! Tout est calme »⊠fugace accalmie dans un torrent de barbarie familiale. Elektra exprime ce renoncement Ă sa libertĂ© de femme car le destin de la vengeance doit consumer son ĂȘtre. TrĂšs juste et naturel, Derek Welton parfait, dans le texte, submergĂ© par son destin et la tragĂ©die qui le frappe comme sa sĆur.
Il y a dĂ©jĂ dans les convulsions voluptueuses de lâOrchestre dâElektra toute la charge vĂ©nĂ©neuse et chaotique de la danse de SalomĂ© Ă venir. La fin pour Electre est sans ambiguĂŻtĂ© : elle est danse de mort et Oreste porte lui aussi le poids de son crime : apeurĂ© et fuyant Ă la fin du drame, il erre comme un lion solitaire dans la nuit de la salle salzbourgeoise. Vocalement et orchestralement, la production est superbe. Le trio de la fratrie : Elektra, ChrysothĂ©mis, Oreste, trĂšs convaincant. VoilĂ qui marque le centenaire du Festival autrichien, sa tĂ©nacitĂ© estivale malgrĂ© la crise sanitaire.
Photo © SF / Bernd Uhlig / Salzburg Festspiele 2020
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OPERA INTEGRAL EN REPLAYÂ jusquâau 30 octobre 2020 sur Arte tv :
https://www.arte.tv/fr/videos/098928-000-A/elektra-de-richard-strauss/
TEASER ELEKTRA Salzbourg 2020
https://www.salzburgerfestspiele.at/en/p/elektra#&gid=1&pid=1