Livres. François Bronner : François Antoine Habeneck (1781-1849). Voici enfin une biographie dĂ©diĂ©e Ă François Antoine Habeneck (1781-1849), figure majeure dans le Paris romantique et musical propre Ă la Restauration (le très rossinien Charles X) puis sous le règne de Louis-Philippe. Le sujet est d’autant plus important que la France ignore toujours que Paris fut avant Vienne, une capitale symphonique europĂ©enne, concevant 14 ans avant les concerts philharmoniques viennois (fondĂ©s en 1842 par Otto NicolaĂŻ), la SociĂ©tĂ© des concerts du Conservatoire dès 1828 Ă l’initiative du visionnaire Habeneck. L’idĂ©e Ă©tait de constituer un orchestre indĂ©pendant d’une salle, entièrement dĂ©diĂ© aux concerts, en s’appuyant sur la richesse des classes d’instruments du Conservatoire : dĂ©fense d’un rĂ©pertoire, professionnalisation des jeunes instrumentistes. Il est vrai que le rĂ©pertoire qui y est jouĂ©, dĂ©fendu par Habeneck lui-mĂŞme reste majoritairement germanique, centrĂ© surtout autour des Symphonies de Beethoven, modèle pour tous : de 1828 Ă 1840, le chef d’orchestre estimĂ© fait jouer toutes les symphonies de Beethoven, mais aussi les oeuvres de Mozart, sans omettre de donner sa chance aux jeunes compositeurs dont… le fougueux Berlioz : dans le temple de la musique beethovĂ©nienne, Habeneck crĂ©e la Fantastique le 1er novembre 1830, un Ă©vĂ©nement dĂ©cisif de l’histoire de la musique qui montre combien Paris grâce Ă Habeneck Ă©tait devenu l’annĂ©e de la RĂ©volution bourgeoise, un foyer musical particulièrement actif sur le plan symphonique. Après avoir soutenu de la mĂŞme façon Mendelssohn, les mĂ©connus Farrenc ou Onslow (le Beethoven français), Schneitzhoeffer (compositeur pour La Sylphide) et Elwart, sans omettre ses confrères, Ries ou Spohr, Habeneck aura moins de curiositĂ©, l’institution créée basculant dans une certaine routine. Dans le Paris post napolĂ©onien, Habeneck, dĂ©terminĂ©, assidu grava les Ă©chelons obstinĂ©ment au sein de l’orchestre de l’OpĂ©ra : son gĂ©nie de la direction d’orchestre (plus de bâton, plus de violon directeur) le distingue parmi ses pairs. Le chef s’impose irrĂ©sistiblement Ă Paris, comme chef principal Ă l’AcadĂ©mie royale (crĂ©ant les opĂ©ras de Rossini dont Guillaume Tell en 1829), puis Ă l’OpĂ©ra. Travail en profondeur, sens des nuances, respect de la partition : tout indique chez lui l’un des premiers chefs d’orchestre, ambassadeur d’une Ă©thique nouvelle, celle qui fit l’admiration entre autres de Wagner, le seul musicien parmi ses contemporains, sincère et tenace Ă lui rendre hommage ; mais aussi de Balzac qui le cite expressĂ©ment comme l’emblème de la prĂ©cision et de l’énergie. Cette exactitude lui inspire une autre rĂ©forme, celle de l’abaissement du ton de l’orchestre de l’OpĂ©ra devenu nĂ©cessaire au regard de l’Ă©volution des styles et du rĂ©pertoire jouĂ©. Habeneck est un boulimique, douĂ© d’une grande activitĂ©, passionnĂ© par la question de l’Ă©criture symphonique, beethovĂ©nien convaincu.
Habeneck, premier chef moderne
Pourtant engagĂ© Ă dĂ©fendre ses Ĺ“uvres, Habeneck fut bientĂ´t critiquĂ© vertement par Berlioz dont la carrière de chef (lui aussi) rivalisa rapidement avec celle de son contemporain…. triste retournement d’estime pour celui qui crĂ©a la Symphonie Fantastique (1830) puis le Requiem (1837). Après avoir recherchĂ© pour la rĂ©ussite de ses concerts au Conservatoire, la direction foudroyante de son ancien ami, Berlioz n’aura plus bientĂ´t d’adjectifs assez dĂ©prĂ©ciatifs pour enfoncer son premier dĂ©fenseur… Violoniste dans l’Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris (1804), Habeneck devient aussi professeur au Conservatoire (1808) ; nommĂ© premier violon de l’Orchestre de l’OpĂ©ra en 1817 Ă 26 ans, il devient directeur de l’AcadĂ©mie royale de musique en 1821, puis premier chef d’orchestre Ă l’OpĂ©ra en 1825. Il assure la crĂ©ation des opĂ©ras majeurs de son temps : Guillaume Tell de Rossini, Robert le diable de Meyebeer, Benvenuto Cellini de Berlioz… A l’AcadĂ©mie, autour d’un recrĂ©ation de l’IphigĂ©nie en Aulide de Gluck (1822), il tente de soutenir les opĂ©ras français signĂ©s (Reicha, Berton, HĂ©rold, Kreutzer)… sans grands rĂ©sultats car le goĂ»t est italien et rossinien : un autre Ă©chec demeure la crĂ©ation du Freischutz de Weber, finalement accueilli par l’OdĂ©on (certes dĂ©formĂ© et dĂ©naturĂ© en 1824). Son grand Ĺ“uvre demeure la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© des concerts du Conservatoire en 1828, l’ancĂŞtre de notre Orchestre de Paris instituĂ© par Charles Munch en 1967. Outre ses travaux pour la qualitĂ© d’un orchestre permanent Ă Paris, dĂ©fenseur du rĂ©pertoire symphonique, Habeneck en crĂ©ant la nouvelle SociĂ©tĂ© des concerts, institua le premier, une caisse de retraite en faveur des membres et musiciens sociĂ©taires. Mort en 1849, Habeneck participe indiscutablement au milieu musical parisien, constatant l’engouement pour l’opĂ©ra italien et la faveur unanime pour Rossini. ElĂ©ment finalement dĂ©risoire de la grande machine officielle française, son pĂ©rimètre d’action est cependant fort Ă©troit, confrontĂ© aux dysfonctionnements multiples et aux intrigues d’une administration paralysĂ©e, sans guère de moyens, mais aux ambitions affichĂ©es, contradictoires, toujours conquĂ©rantes.
L’auteur auquel nous devons chez le mĂŞme Ă©diteur : La Schiassetti, Jacquemont, Rossini, Stendhal… une saison parisienne au Théâtre-Italien, signe lĂ une nouvelle rĂ©ussite : il ne s’agit pas tant de prĂ©ciser le portrait d’un chef et musicien exceptionnel (l’esquisse historique est en soi rĂ©ussie) que de restituer surtout le bouillonnement d’une pĂ©riode musicale extrĂŞmement riche sur le plan des initiatives nouvelles et de la crĂ©ation des Ĺ“uvres. Le destin et l’oeuvre d’Habeneck malgrĂ© les tensions, oppositions multiples, jalousies qui sèment son parcours, n’en sont que plus admirables. Passionnant.
Livres. François Bronner : François Antoine Habeneck (1781-1849). Collection Hermann Musique. ISBN: 978 2 7056 8760 1. 288 pages (15 x 23 cm). Prix indicatif : 35 €.
Lire aussi notre entretien avec l’auteur, François Bronner