CD, critique. La Guerre des TE DEUM : Blanchard / Blamont (Marguerite Louise, Stradivaria, 1 cd ChĂąteau de Versailles, 2018). Live Ă Versailles, Chapelle royale, juin 2018 : DâemblĂ©e, saluons lâexcellente caractĂ©risation en particulier chorale de chaque section : dans le Blanchard, lâarticulation du portique dâouverture, arche majestueuse et exaltĂ©e tout autant (Te Deum Laudamus), plus collectif dâindividualitĂ©s Ă©lectrisĂ©es que massif monolithique indiffĂ©renciĂ©, montre le travail du chĆur Marguerite Louise dont la majoritĂ© des membres vient des Arts Florissants : ceci expliquant cela, leur maĂźtrise, le sens dâune théùtralitĂ© palpitante, le jeu des brillances individuelles au sein du chĆur, ce fiĂ©vreux scintillement au service du texte⊠se montrent ⊠superlatifs. Lâorchestre Stradivaria sait exalter lui aussi la vitalitĂ© engageante des instruments : bois et cuivres (flamboyant, incisifs) soutenus par les timbales dans un cadre idĂ©alement rĂ©verbĂ©rant, solennisant. Avec le Te Deum, câest le bruit voire le vacarme des armes qui investit la Chapelle.
Le ChĆur Marguerite Louise est exaltant,
percutant, habitĂ© : jouissifâŠ
un comble pour un Te Deum, dâesprit martial
Petite rĂ©serve pour le haute contre prĂ©liminaire chez Blamont, Ă©troit, trop frĂȘle, aux aigus maigrelets, trop minces pour une partition dâexaltation et un sujet oĂč lâon fĂȘte la gloire divine. Ce qui perce directement ici câest le geste du chĆur, flexible et expressif comme jamais, tirant des Ćuvres de commande et cĂ©lĂ©bratives vers un théùtre de tĂ©moignages investis : retenez le nom du choeur excellemment prĂ©parĂ© « Marguerite Louise » : sa vibrante implication fait la diffĂ©rence.
Le focus se fait ici sur une querelle musicale, un fait dâarmes chez les compositeurs, si nombreux dans lâhistoire royale et versaillaise (il y eut dâautres Ă©pisodes de ce type rĂ©vĂ©lant la concurrence entre Blamont et⊠Campra) : alors que Rameau fait crĂ©er sa PlatĂ©e mirobolante, sommet lyrique dĂ©jantĂ© propre au rĂšgne de Louis XV, le Te Deum Ă©crit pour la Victoire de Fontenoy, est composĂ© et dirigĂ© devant la Reine par Blanchard (1696 – 1770), quand lâusage eut voulu que ce soit le Surintendant de la musique de la Chambre qui accomplisse cette tĂąche (en lâoccurrence Blamont : 1690 – 1760, en poste depuis 1719). Par lâintermĂ©diaire du Duc de Richelieu (mai 1745) et contre lâintrigue de la Reine, Blamont adressa un avertissement au favori de Marie Leczinska.
Osons dire aprĂšs comparaison des deux Te Deum, notre prĂ©fĂ©rence pour celui de Blanchard (mĂȘme si les faits historiques optent pour la victoire de Blamont, prestige de sa position oblige) : plus tendre, plus humain, dâune vivacitĂ© qui rappelle celle de Rameau (redoutable rĂ©cits de la basse taille : ĂŠterna fac puis Salvum fac).
CĂŽtĂ© forme, Blanchard opte pour un enchaĂźnement plus traditionnel, sollicitant le haute contre quâaprĂšs 3 sections chorales (dâouverture) : dans Pleni sunt cĂŠli et terra (Romain Champion qui fut chez Hugo Reyne, un vibrant Atys), quand Blamont ouvre son Ă©difice par un solo (un peu trop fragile comme il a Ă©tĂ© dit / Sebastien Monti). Blanchard favorise les voix hautes davantage que Blamont : duo de dessus (Tu Rex gloriĂŠ, de plus de 4mn, la plus longue section : voix aigrelettes lĂ aussi, et tendues, en manque de souplesse et dâĂ©clat). Leur diffĂ©rence de style se dĂ©voilant surtout dans la section finale « In te Domine speravi » : mordant, théùtral ; sautillant, animĂ© chez Blanchard ; plus dĂ©clamatoire et martial (roulement de tambour Ă la clĂ©), un rien ampoulĂ© et rĂ©pĂ©titif chez Blamont.
Lâexcellente prise de son dĂ©taille, tout en restituant la vibration de lâespace rĂ©verbĂ©rant.
AprĂšs un excellent Te Deum de Madin, – applaudi par classiquenews (avril 2016, Ă©galement dĂ©fendu par Stradivaria / Daniel Cuiller), ces deux Te Deum rĂ©sonnent dâune vibration rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, en particulier grĂące Ă lâimplication caractĂ©risĂ©e du chĆur, au verbe articulĂ©, exaltĂ©, dâune prodigieuse activitĂ©. Ce qui frappe ici, câest lâimportance de la partie chorale qui exige des chanteurs de premier plan : dĂ©fi totalement relevĂ© par Marguerite Louise. La collection ChĂąteau de Versailles offre dâĂ©couter les partitions versaillaises dans les lieux naturels et historiques de leur crĂ©ation : lâapport musique et patrimoine est idĂ©alement restituĂ©e ; et mĂȘme dâune pertinence irrĂ©sistible. MĂȘme si en 1745, la Chapelle royale telle que nous la connaissons nâexistait pas : cette exaltation des timbres renforce au contraire le relief des instruments et du formidable choeur. MalgrĂ© les faiblesses de certains solistes, la rĂ©vĂ©lation est au rendez vous. Et avec elle, la concurrence Ăąpre livrĂ©e entre les compositeurs officiels eux mĂȘmes Ă l’Ă©poque de Louis XV. Passionnante exhumation.
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CD, critique. La Guerre des TE DEUM : Blanchard / Blamont (Marguerite Louise, Stradivaria, 1 cd ChĂąteau de Versailles, 2018)