Aix en Provence : L’Enlèvement au sĂ©rail de , 2-21 juillet 2015. Dans le théâtre de l’ArchevĂŞchĂ©, Mozart a toujours sa place privilĂ©giĂ©e : rappelons que Cosi fan tutte est le premier opĂ©ra reprĂ©sentĂ© Ă Aix en 1948, au sortir de la guerre, alors que le festival n’Ă©tait pas encore celui qu’il est devenu aujourd’hui. Jouer Mozart dans la Cour de l’ArchevĂŞchĂ© rĂ©sonne donc d’une signification particulière pour laquelle les spectateurs attendent grâce et magie. Sera-ce le cas en juillet 2015 ?
Avant Fidelio de Beethoven, L’Enlèvement au sĂ©rail est le premier ouvrage important chantĂ© en allemand. Mozart s’Ă©carte de l’opĂ©ra seria italien et de ses conventions ; il prĂ©fère ici pour Joseph II Ă Vienne, favoriser un genre mixte, entre profondeur et comĂ©die, comme il le fera dans Don Giovanni, drama giocoso. Le gĂ©nie facĂ©tieux du salzbourgeois sait combiner des genres illusoirement opposĂ©s : la vie n’est-elle pas une succession de bonheur et de tragĂ©die? Or en 1782, soit en pleine esthĂ©tique des Lumières, L’Enlèvement au sĂ©rail dĂ©voile Ă quel point le jeune compositeur peut caractĂ©riser avec une finesse jamais Ă©coutĂ©e auparavant, le profil psychologique des protagonistes comme l’enjeu de chaque situation ; ici l’opĂ©ra mĂŞme s’il est complètement chantĂ©, est aussi du théâtre (nombreux dialogues parlĂ©s, le personnage du Pacha SĂ©lim est un rĂ´le parlĂ© : il est essentiel car, instance dĂ©cisionnaire, c’est lui qui distille les valeurs humanistes et fraternelles des Lumières : pardon et pacification). L’exotisme du sujet (l’action se passe dans le sĂ©rail du Pacha) concerne Vienne. La ville est le dernier rempart europĂ©en contre l’avancĂ©e des musulmans en Europe. L’Empereur (portrait ci dessous) et la cour voyaient-ils dans ce Pacha pacifiĂ© et civilisateur, leur idĂ©al politique, soucieux d’une interruption rapide et favorable de la guerre contre les Ottomans ? Très probablement.
En 1782, Mozart se taille une solide rĂ©putation d’auteur lyrique avec L’Enlèvement au SĂ©rail, Die EntfĂĽrhung aus dem serail
Partition politique, philosophique et opéra des femmes
Pour l’heure les Habsbourg Viennois se rapprochent de leurs homologues russes et pour la venue du Grand Duc de Russie, (futur Paul Ier), Mozart, juste arrivĂ© Ă Vienne, reçoit la commande de ce singspiel, mi parlĂ© mi chantĂ©, assimilant la subtilitĂ© des comĂ©dies italiennes. Joseph II se montre très curieux de la valeur musicale du gĂ©nie mozartien. Mais Mozart avait un temps d’avance sur ses contemporains : l’Empereur ne regretta-t-il pas après la première : “trop de notes” ? De fait, c’est l’officiel Gluck qui lui vole la prĂ©sĂ©ance avec pas moins de 3 opĂ©ras crĂ©es pour l’occasion. L’Enlèvement au sĂ©rail mĂŞme créé plus tard connaĂ®t un succès populaire immĂ©diat (Vienne, Burgtheater, le 16 juillet 1782). Le raffinement de la musique, dĂ©licieusement orientaliste, l’intelligence de la dramaturgie associant Ă©panchements lyriques et tendres particulièrement sincères (dĂ©sir et amour de Belmonte pour Constanz), et scènes comiques affrontant occidentaux et orientaux, mais aussi femmes et hommes (Blonde et Osmin), produisent un joyau dramatique saisissant de vĂ©ritĂ©, de justesse, de sincĂ©ritĂ©. Mozart alors amoureux lui-mĂŞme et passionnĂ©ment Ă©pris de sa jeune Ă©pouse… elle aussi prĂ©nommĂ©e Contanz (d’oĂą la justesse des sentiments amoureux qui y sont exprimĂ©s). Mais la veine comique, d’une finesse toute rossinienne, en particulier dans le rĂ´le très linguistique de Pedrillo (le serviteur de Belmonte et le cerveau de l’Ă©quipe, initiateur de l’enlèvement des femmes captives) ne doit pas ĂŞtre minimisĂ©e et l’opĂ©ra mozartien exige des chanteurs qui savent jouer. et vivre un texte. Enfin avant les Noces de Figaro, les deux hĂ©roĂŻnes de l’Enlèvement sont deux maĂ®tresses facĂ©tieuses : dĂ©terminĂ©e et insoumise (Constanz), piquante et insolente (Blonde) : et si l’Enlèvement, ouvrage particulièrement philosophique et politique comme on l’a vu dans son contexte, Ă©tait dĂ©jĂ l’opĂ©ra des femmes ? Le gĂ©nie de Mozart est Ă la mesure de cette fertile invention poĂ©tique.
Aix en Provence 2015 : du 2 au 21 juillet 2015. Mozart : L’Enlèvement au sĂ©rail, 1782.
Freiburger BarokorchesterJérémie Rhorer, direction. Martin Kusej, mise en scène.
Pas sĂ»re que la nouvelle production aixoise ne satisfasse totalement : en dĂ©pit de la direction musicale qui devrait ĂŞtre Ă©nergique et nerveuse voire subtile, la rĂ©alisation scĂ©nique et le jeu d’acteur dans l’univers dĂ©jantĂ© souvent rien que provocateur de Kusej, devrait encore et toujours gommer toute poĂ©sie pour un expressionnisme outrancier, dĂ©lire scĂ©nographique bien peu respectueux de la finesse mozartienne. Et Mozart dans cela ? Telle est la question que ne doivent pas omettre les spectateurs aixois cet Ă©tĂ©.