CD, Ă©vĂ©nement. SAINT-SAĂNS : IntĂ©grale des 5 Symphonies (Cristian Macelaru, National de France, 3 CD Warner classics). Cette intĂ©grale conduite par le bouillonnant et trĂšs dĂ©taillĂ© Cristian Macelaru (nĂ© en 1980 en Roumanie) dĂ©finit dĂ©sormais une nouvelle rĂ©fĂ©rence pour la rĂ©pertoire symphonique français : heureux interprĂšte qui a la puissance et le sens du dĂ©tail, douĂ© aussi dâune Ă©nergie intĂ©rieure assez fabuleuse. Directeur musical du National de France depuis septembre 2020, Cristian Macelaru se distingue de toute Ă©vidence par cette intĂ©grale ainsi constituĂ©e en 2020 et 2021, qui scelle lâĂ©vidente alchimie entre le chef et lâorchestre parisien au moment oĂč est cĂ©lĂ©brer le centenaire de la mort de Camille Saint-SaĂ«ns (1921 – 2021).
CD1 – La « Symphonie in A » regarde par son entrain vers Mozart et Mendelssohn et sa carrure vers le Beethoven de la Pastorale. DĂšs le premier mouvement (Allegro vivace), la maĂźtrise rayonne, avec en plus des compositeurs viennois et germaniques citĂ©s, lâentrain Ă©perdu lyrique dâun Schumann. Cela grĂące Ă la fluiditĂ© dĂ©taillĂ©e du chef Macelaru, trĂšs attentif aux Ă©quilibrages entre pupitres, au format sonore global comme Ă la qualitĂ© individuelle des nuances instrumentales. LâAndantino, par son acuitĂ© sensible rĂ©vĂ©lant chaque timbre choisi par Saint-SaĂ«ns impose une tranquillitĂ© royale, dont la noblesse sait ĂȘtre simple (jamais grandiloquente), sans omettre une hypersensibilitĂ© (comme paniquĂ©e et Ăąpre), dâune gravitĂ© foudroyante, dâessence mozartienne lĂ encore. Le Vivace du Scherzo est affĂ»tĂ©, sans sĂ©cheresse ni tension, idĂ©alement nerveux et nuancĂ©., avec un dĂ©tail apporte Ă lâĂ©loquence de chaque instruments (bois et vents), dĂ©lectable. Un vrai travail dâorfĂšvre. Le dernier Allegro reprend Ă son compte la nuance « maestoso », parfaitement comprise et mĂȘme ciselĂ©e par maestro C. MÄcelaru. La clartĂ©, la transparence font tout ici et distingue lâapproche des autres, mĂ©diocrement respectueuse de toutes les indications et dynamiques pourtant souhaitĂ©es par Saint-SaĂ«ns.
Symphonie opus 2 (1853). GravitĂ© noble, par les contrebasses dâouverture dâun premier mouvement solennel, aux accents russes mais dont le dĂ©tail instrumental indique le travail dâorfĂšvrerie Ă©crit par Saint-SaĂ«ns. Le compositeur nâoublie pas la finesse ni lâĂ©lĂ©gance du cor en solo, dâune ampleur onirique dont le chef roumain sait exprimer toute la subtilitĂ©. Macelaru sait aussi restituer lâappel irrĂ©pressible, lâurgence quasi organique qui Ă©treint tous les pupitres ;
Se distingue la danse enivrĂ©e le scherzo Ă la pĂ©tillance et la lĂ©gĂšretĂ© dâun Mendelssohn, ce que comprend parfaitement le chef qui allĂšge, Ă©claire, obtient des nuances enivrantes, en vrai conteur qui sait mesurer, doser, contrĂŽler lâintonation et lâintensitĂ© sonore. Comme un rĂȘve dĂ©roulĂ© avec une grĂące infinie, lâAdagio plutĂŽt grave (portĂ© dâabord par le chant de la clarinette, suave, onctueuse) allĂšge aussi la texture orchestrale qui sous la baguette de Macelaru, trĂšs inspirĂ©, Ă©volue en une lĂ©vitation sensuelle de plus en plus Ă©thĂ©rĂ©e, aux scintillements oniriques (harpe), dâautant plus Ă©laborĂ© quâil sâagit du plus long mouvement (11 mn). Le dernier mouvement est dâune grandeur martiale qui connaĂźt trĂšs bien son Beethoven, avec toujours un fini dans toutes les sĂ©quences instrumentales qui Ă©carte toute impression de pesanteur grandiloquente.
CD 2 – La Symphonie en fa maj « URBS ROMA » amorcĂ©e en 1854, aboutie courant 1857, tĂ©moigne dâun goĂ»t historiciste, proche de la tendance archĂ©ologique et Ă©clectique du Second Empire ; les 4 mouvements empoignent le sujet de lâhistoire et de la grandeur romaine, avec une certaine pompe solennelle (premier Largo – Allegro) ; une dĂ©termination nerveuse, acĂ©rĂ©e voire impatiente (frĂ©nĂ©sie orgiaque / Bacchanale du Molto vivace inscrite dans une urgence dĂ©taillĂ©e par lâOrchestre parisien) ; auxquels rĂ©pond le 3Ăš mouvement sous le sceau dâune terribilitĂ parfois inquiĂšte et grave (Ă©vocation de la chute de lâEmpire Ă©noncĂ©e comme une longue plainte ou marche funĂšbre – Moderato assai) ; Saint-SaĂ«ns conclut avec un sens de lâĂ©quilibre, en une joie rayonnante qui se dĂ©voile progressivement, dans lâurgence et la volontĂ©, mais aussi une tranquillitĂ© souveraine et lumineuse, auxquelles chef et instrumentistes apportent de somptueuses couleurs et une Ă©lĂ©gance toute âŠ. parisienne.
CD3 – Le dernier et 3Ăš cd regroupe la Symphonie n°2 opus 55 et la n°3 avec orgue opus 78. La n°2 composĂ©e en 1859, créé par Jules Pasdeloup en mars 1860 Ă©claire encore la maĂźtrise formelle de Saint-SaĂ«ns dans le genre symphonique. LâĂ©nergie du premier Allgero notĂ© « marcato » ; lâĂ©pure sereine de lâAdagio qui suit ; le bouillonnement primitif qui anime le scherzo (Presto) ; enfin la vive allure, allĂ©gĂ©e, mendelssonnienne du dernier Prestissimo affirme lâengagement de Saint-SaĂ«ns comme un symphoniste passionnĂ©, câest Ă dire un maĂźtre en la matiĂšre.
Symphonie n°2 opus 55 (1859) – ĂpretĂ© « marquĂ©e » dĂšs le dĂ©but Ă laquelle sâĂ©chappe le chant solo du violon, des bois avant que lâauteur ne construise un ample portique contrapuntique aux cordes qui ouvre lâascension urgente vers laquelle aspirent tous les pupitres en bon ordre. Un Ă©lan schumannien, dâune irrĂ©pressible ferveur empote tout le premier mouvement. LâAdagio est lui plein de retenue, de pudeur tout aussi solennisĂ©e mais sans emphase, jouant sur les vents (flĂ»tes et hautbois, lumineux, aĂ©riensâŠ).
Le Scherzo est fougueux, dâune vitalitĂ© mordante et martiale oĂč contraste le solo de hautbois, appel Ă une aubade finement pastorale.
Le Prestissimo fonce Ă trĂšs vive allure en une ivresse orgiaque et trĂ©pidante, grĂące Ă lâarticulation des vents et des bois et lâagilitĂ© fiĂ©vreuse des cordes. Ăquilibre magnifiquement atteint et cultive de bout en bout par le chef qui sâautorise aussi dâultimes Ă©clats poĂ©tiques dâune rĂȘverie ciselĂ©e.
Rien ne surpasse le souffle de la Symphonie n°3 (1886) et son dĂ©but mystĂ©rieux, majestueux, schubertien (Adagio – Allegro moderato) appareillĂ© Ă son double (qui dĂ©passe les 10 mn aussi), le Poco adagio, « cathĂ©drale pour orgue » oĂč sâaffirme la lumiĂšre salvatrice. Le chef dans lâopulence solaire de la forme fait jaillir la structure et rĂ©ciproquement, en un geste ample et clair, aux respirations trĂšs justes. En alliant puissance et noblesse dĂ©taillĂ©e de chaque timbre, lâorchestre impressionne par sa clartĂ©, sa transparence, un souci aussi du relief et des textures colorĂ©es. Le travail est somptueux rĂ©vĂ©lant la sensualitĂ© du cĂ©rĂ©bral Saint-SaĂ«ns. Cette Ă©loquence sans surenchĂšre atteint un sommet de plĂ©nitude sobre et oxygĂ©nĂ©e dans le sublime adagio pour lâorgue⊠éthĂ©rĂ©, poĂ©tique, aux voluptĂ©s simples et enveloppantes. De tous les paysages musicaux, celui ci dessine des horizons lointains dâune infinie nostalgie, dâune rayonnante bĂ©atitude, pour laquelle le maestro trouve des effets de cordes absolument gĂ©niaux (pizzicati suspendus, chant des violons inscrits dans le rĂȘve ; nâest-il pas violoniste de formation et dâun tempĂ©rament trĂšs affirmĂ©, spĂ©cifiquement attentif Ă la couleur des cordes ?).
LâĂ©lĂ©gance simple et trĂšs articulĂ©e du doublĂ© qui suit (Allegro moderato – Presto- couplĂ© au maestoso / allegro) inscrit cette lecture dans lâintelligence, le nerf, la prĂ©cision, la transparence. Lâhommage de Saint-SaĂ«ns Ă son cher ami Liszt ne pouvait trouver meilleure interprĂ©tation ; le dĂ©tail, lâarchitecture y dialoguent avec une carrure et un souffle rarement Ă©coutĂ©s jusque lĂ . Le dernier mouvement montre Ă quel point la puissance sonore peut sâaccorder Ă un scintillement de timbres des plus raffinĂ©s. Le geste est inouĂŻ. Le coffret est la meilleure surprise de cette annĂ©e Saint-SaĂ«ns et une sublime rĂ©alisation qui assoit la complicitĂ©, et visiblement lâestime, entre le chef et les instrumentistes du National de France. Magistral.
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SAINT-SAĂNS : IntĂ©grale des 5 Symphonies de Saint-SaĂ«ns – Orchestre National de France, Cristian MÄcelaru – 3 cd Warner classics. Enregistrement studio Ă Paris, Ă lâAuditorium de Radio France entre 2020 et 2021.
Symphonie n°1 en mi bémol majeur, op.2 (1853)
Symphonie n°2 en la mineur, op.55 (1859).
Symphonie n°3 en ut mineur, « avec orgue, dédiée à Liszt, op. 78 (1886).
Symphonie n°4 en fa majeur « Urbs Roma » (1857).
Symphonie n°5 en la majeur (1850)
VOIR aussi des extraits de Saint-Saëns : Symphonie n°2 en la mineur op. 55