Depuis quelques temps croisant aussi l’anniversaire de la crĂ©ation de l’opĂ©ra comique (2015 marque le tricentenaire de sa crĂ©ation), le CMBV Centre de musique baroque de Versailles s’engage Ă restituer les premiers ouvrages qui ont jalonnĂ© l’essor et la maturation du genre. En tĂ©moigne ce nouveau spectacle oĂč Ă©blouit l’esprit des Forains, “la guerre des théùtres”…
RĂ©surrection de lâopĂ©ra comique Ă ses origines
Guerre des genres
AprĂšs les productions remarquĂ©es de La Belle mĂšre amoureuse (parodie d’Hippolyte et Aricie de Rameau rĂ©alisĂ©e sous forme d’un formidable spectacle de marionnettes) et plus rĂ©cemment des FunĂ©railles de la Foire – autre superbe spectacle avec acteurs et sans marionnettes, créé Ă Nanterre en mars dernier-, avril voit une nouvelle production illustrant l’histoire et la genĂšse du genre : la Guerre des théùtres qui s’inspire de la piĂšce de Fuzelier de 1714, La matrone d’EphĂšse. Le spectacle conçu par Jean-Philippe Desrousseaux et Arnaud Marzorati reprend contrastes et oppositions d’origine : nourrissant l’intrigue principale, se distingue en particulier ce tragique larmoyant et dĂ©ploratif de la Veuve (Jean-François Novelli) qui ne cesse de se rĂ©pandre, auquel rĂ©pond l’insolence des italiens dont Arlequin qui forcĂ© par Pierrot et Colombine (Arnaud Marzorati et Sandrine Buenda : vraie fourbe manipulatrice sous ses airs angĂ©liques) ont convaincu la matrone de ne pas se suicider (et accessoirement de ne pas entraĂźner avec elle, la mort de ses deux serviteurs les Pierrot et Colombine prĂ© citĂ©s).
C’est un peu propre au théùtre baroque, surtout Ă l’esprit de MoliĂšre, l’alliance inespĂ©rĂ©e du tragique et du comique que Strauss et son librettiste Hofmannstal sauront si subtilement recycler dans Ariadne auf Naxos (dâailleurs, la Veuve Ă©plorĂ©e rappelle ici la posture dâAriane abandonnĂ©e par ThĂ©sĂ©eâŠ).
Pour l’heure sur la scĂšne de l’OpĂ©ra Comique, les joyeux lurons de la Clique des Lunaisiens portĂ©e par le baryton Arnaud Marzorati, s’engagent sans compter pour un spectacle qui accorde dĂ©lire et poĂ©sie tout en rappelant les diverses formes que les forains durent concevoir et assumer en rĂ©ponse aux multiples contraintes imposĂ©es par ses concurrents offensĂ©s dont surtout l’inĂ©vitable ComĂ©die Française : monologue, pantomime, Ă©criteaux Ă l’adresse du public… (karaoke avant l’heure), et marionnettes dont frĂšre en insolence dâArlequin, le petomane Pulcinella qui pousse loin les rĂšgles de l’impertinence barbare en particulier Ă l’adresse des vieux hĂ©ros tragiques de la ComĂ©die Française.
Performances dâacteurs
MalgrĂ© la diversitĂ© des sĂ©quences qui se succĂšdent, l’unitĂ© dramatique est prĂ©servĂ©e grĂące au jeu souple tout en finesse des acteurs-chanteurs. Les lazzi dArlequin fusent (Ă©poustouflante versatilité imaginative du jeune Bruno Coulon dont on se dĂ©lecte de la facilitĂ© mordante dĂ©licieusement sĂ©dicieuse, d’autant que lui aussi dans le tableau des marionnettes trouve un placement en voix de tĂȘte idĂ©alement strident pour incarner et actionner la figure d’une vieille chanteuse de l’OpĂ©ra qui fait les frais de l’ironie de Pulcinella. ..) ; Colombine intrigue et caquĂšte ; Pierrot fait son benĂȘt (impeccable et irrĂ©sistible Arnaud Marzorati) et la ComĂ©die Française s’invite Ă la foire, pleine de haine jalouse et d’interdits exorbitants. Tous semblent bien Ă©trangers par leur drĂŽlerie satirique et parodique aux larmes mĂ©diterranĂ©ennes – et gitanes-, de la matrone (Jean-François Novelli) dont le spectateur note dĂšs son entrĂ©e, la longueur du voile de pleureuse, Ă©gale Ă la profondeur de son deuil, proportionnĂ©e Ă la volontĂ© d’en finir.
Le spectacle joue habilement des situations, chacune ayant autant de vertus comiques que pĂ©dagogiques car il faut restituer ce qui a fait l’essor de l’opĂ©ra comique Ă ses dĂ©buts : sa nature expĂ©rimentale, sa fascinante qualitĂ© Ă savoir rebondir malgré les interdits de toutes sortes. La pertinence de la conception y est dĂ©fendue par la spĂ©cialiste du genre Françoise Rubellin, dont la coopĂ©ration est le gage de la justesse et de la qualitĂ© : son intervention au dĂ©but du spectacle a rappelĂ© les enjeux du spectacle dans son contexte.
La volubilitĂ© des chanteurs acteurs Ă©clatent dans une frĂ©nĂ©sie collective (pilotĂ©e tambour battant mais subtilement jusquâau charivari final) ; une facilitĂ© aussi Ă endosser et changer de rĂŽles pendant la soirĂ©e : Jean-Philippe Desrousseaux qui signe aussi la mise en scĂšne incarne une ComĂ©die Française Grand SiĂšcle hurlant sa haine jalouse, son agacement colĂ©rique : diction, poses, gestuelle et intonation. … tout indique la maison mĂšre figĂ©e dans son jus dĂ©clamatoire et… poussiĂ©reux : l’acteur se dĂ©lecte Ă articuler son texte et ciseler son personnage que contrepointe toujours trĂšs subtilement la facĂ©tie irrĂ©vĂ©rencieuse d’Arlequin. Leur duo fonctionne à merveille. Il est tout autant irrĂ©sistible en acteur marionnettiste incarnant simultanĂ©ment et changeant de registre vocal de lâun Ă lâautre, et le malicieux et trĂšs inconvenant Pulcinella, et le pompeux acteur tragique, spĂ©cifiquement parodiĂ©.
On rit du dĂ©but Ă la fin d’autant que les interprĂštes d’une finesse dĂ©lectable nous servent de copieux entremets, riches en effets et saillies les plus diverses : toujours c’est la foire qu’on enterre et toujours elle se rĂ©invente pour mieux renaĂźtre. En voici une Ă©clatante et Ă©loquente illustration. LâOpĂ©ra Comique a Ă©tĂ© bien inspirĂ© de programmer ce spectacle idĂ©al pour illustrer son tricentenaire. Courrez applaudir ce spectacle haut en couleurs : on y rit sans mesure, en famille, pour petits et grands. Pour les enfants de tout Ăąge. Sur le plan artistique et théùtral, le spectateur enchantĂ© y mesure pas Ă pas la complicitĂ© d’une troupe en maturation, l’accomplissement de l’esprit forain directement venu des trĂ©teaux Ă Saint-Germain ou Saint-Laurent.